NOTES de LECTURES

UN ROMAN – DEUX AVIS

Stéphane HEAUME : Dernière valse à Venise (Ed Serge Safran) 156 pages
Original par sa structure, séduisant par son style, captivant par sa démarche, Dernière valse à Venise, est un roman qui séduira le lecteur à l’écoute du processus de création d’un écrivain.
Rythmé par trois temps- un court roman, des notes d’auteur puis une variation sur le thème, l’imaginaire de Stéphane Héaume, nous entraîne dans un tourbillon de références et de sensations propres à l’écrivain.
Nous sommes à Venise, deux personnages à la dérive, (elle est vâgée, il est très malade) se rencontrent à la terrasse d’un café, Place Saint Marc. Lui, ancien agent immobilier alcoolique et ruiné, s’invente une identité : il sera le richissime, Rodolfo Marchanti, ténor à La Scala. D’elle, plus discrète, nous apprendrons qu’elle a été Dorothy White, danseuse de revue. Belle mais « défraîchie », elle séjourne à Venise nostalgique du souvenir de son premier amour.
Le lieu est magique, le moment propice, la séduction opère. Ils se raccrochent à la vie coûte que coûte.
Ce sont des nuits à l’Hôtel Excelsior, des dîners au café Florian, des soirées à La Fenice. Et puis, un matin, elle a laissé un mot : « Vous êtes un songe, retrouvons nous à l’Opéra »; elle n’est jamais venue…
Dans les notes d’auteur qui prolongent ce texte Stéphane Héaume se justifie : « Je tiens à rétablir la vérité que j’ai tordue pour permettre la fiction ».
A Trouville il a assisté à une rencontre à la terrasse d’un café ; « Lui », quarante ans, est bel homme mais ivre, « Elle » a les mains tachées et les cheveux blancs… Une scène de séduction s’ensuit, « et tout est parti de là »!
Mais dans l’imaginaire de l’écrivain, Rodolfo Marchanti, ressurgit et le récit se prolonge par une dernière partie où désormais seul, le héros du roman, depuis le Capo Rosso en Amérique Latine « avance sur la terrasse de sa nuit ravagée » avec l’espoir de sa rencontre programmée avec Élisabeth la petite fille de Dorothy White, elle-même cantatrice en tournée internationale.
Trois temps, trois moments, presque trois pas de danse, la Dernière valse à Venise, dédiée, nous l’apprendrons, à Dorothée Blanck, héroïne des films de Renoir, Varda, Godard ou Demy nous interpelle face au pouvoir de l’imaginaire et au travail du créateur.
A lire pour être initié.

PARIS , FRANCE, le 2/4/2O16  Stephane  HEAUME , écrivain  français   edition Serge Safran

 

Le décor est planté dès les premières lignes, nous sommes à Venise, la ville où l’impensable devient possible, mais aussi la ville du carnaval et des masques, la ville du théâtre et de l’opéra.
C’est ainsi qu’apparaissent Rodolfo, prétendu ténor en villégiature et Dorothy, éclatante de beauté si elle veut bien relever son vilain chapeau à larges bords, une femme séduisante aux cheveux blancs, avec des taches de son sur les mains, mais quelles jambes,  » fines, avec juste ce qu’il faut de galbe, elles semblaient appartenir à une autre ; nulle varice, nulle envie, nulle boursouflure. Elle ne portait pas de bas ».
Un pas de deux complètement fou les enchaîne au-delà du raisonnable, Rodolfo malade et fauché joue le grand seigneur. Dorothy séduit mais ne donne rien jusqu’à la fin du premier acte, cruel pour Rodolfo qui découvre la vérité sur sa dulcinée de la semaine.
L’acte deux de cet opéra annonce la tournée internationale de la petite fille de Dorothée, cantatrice renommée et parcourant le monde . Dorothée est morte mais Rodolfo veut déclarer à la terre entière son amour demeuré intact pour la femme aux cheveux blancs et aux jambes sublimes. Le décor est prêt, les hauts- parleurs sont branchés, la jeune cantatrice est prévenue, son bateau passera exactement lorsque Rodolfo entamera son chant du cygne, mais Stéphane héaume a le talent du compositeur d’opéra, la fin sera tragique et la farce tourne au drame.
C’est une lecture fort agréable, enjouée, séduisante. L’auteur se permet de raconter l’origine du roman, c’est insolite. Mais le lecteur ne s’étonnera pas de la transcription de quelques notes d’une passacaille de Bach et de quelques vers de Tennessee Williams au début du livre.

Schmitt1 Cognetti Paolo © Roberta Roberto

Eric-Emmanuel SCHMITT: La vengeance du pardon (Ed Albin Michel) 336 pages
C’est un recueil de quatre nouvelles de longueurs inégales qui se regroupent autour du thème du pardon. L’auteur a choisi pour titre celui de la troisième nouvelle, la plus pathétique sans doute et qui met en scène une mère détruite suite à l’assassinat de sa fille par un sérial-killer qu’elle va visiter en prison.
Visite après visite elle l’interpelle afin de lui faire admettre son pardon. Admettre le pardon c’est reconnaître sa faute et en porter le poids. C’est cet oxymore qui sera le leitmotiv de ce recueil. D’abord le pardon au sein d’un couple de jumelles, ange et démon qui se déchirent dans la première nouvelle puis le pardon familial dans la vie d’un riche banquier qui cache un péché de jeunesse en arrachant à sa mère l’enfant qu’il avait conçu, ou l’attendrissement d’un grand-père au contact d’une petite voisine qui l’amènera à humaniser son passé sulfureux.
Le pardon sans connotation religieuse c’est le refus de la vengeance.
Dans ces suspens psychologiques écrits avec respect et pudeur, l’auteur explore les sentiments les plus profonds, les plus violents et les plus secrets qui gouvernent l’humanité.
Ces quatre nouvelles parfois très brèves auraient pu être développées pour en faire de véritables drames psychologiques.
Toujours d’une belle écriture et bien présentées, soutenues par un suspens qui interpelle le lecteur, ces nouvelles éveillent des émotions sincères et profondes.

Paolo COGNETTI : Les huit montagnes (Ed Stock la cosmopolite) 299 pages
Traduit de l’italien par Anita Rochedy
C’est dans le petit village de Grana du Val d’Aoste que Pietro passe ses vacances avec sa mère, c’est là qu’il va découvrir l’amitié et l’amour de la montagne.
A chaque vacances, Pietro, l’enfant des villes retrouve Bruno, l’enfant des montagnes, l’enfant berger, maître des alpages. En peu de mots, ils se construisent se nourrissant chacun du savoir de l’autre. Quoi de plus naturel pour Bruno que de faire découvrir à son nouvel ami les sources, les glaciers, les chamois, mais aussi la traite des vaches, le quotidien d’un garçon chargé de surveiller le troupeau. Pietro offrira la chaleur d’une mère aimante, à l’écoute des autres et décidée à réussir ses projets d’éducation. Pietro parcourt aussi les chemins de randonnée avec son père, un taiseux infatigable qui pousse toujours la difficulté car la montagne se gagne par la ténacité, la volonté, la pugnacité. La récompense est au bout du chemin lorsque, heureux d’avoir grimpé sans faiblir malgré la douleur, le panorama s’offre magnifiquement aux yeux du randonneur.
Avec les années, les études de Pietro et le métier de paysan de Bruno condamné à vivre avec ses vaches, les routes des deux amis vont se séparer mais ne jamais se rompre. Le père de Pietro ne comprendra jamais que son fils refuse désormais de l’accompagner, il se tournera alors vers Bruno, un être que la ville effraie mais un expert de la montagne, de ses dangers, de ses habitants.
Pietro ne gravira plus qu’épisodiquement les montagnes du Val d’Aoste, il expérimentera d’autres sommets notamment au Népal où un moine bouddhiste lui racontera la légende des huit montagnes.
Paolo Cognetti connaît la montagne, il y est à l’aise, il fait partager son bonheur de l’effort, son sens de l’amitié indéfectible, sans paroles, un regard et tout est dit. Cette amitié, véritable trésor à cultiver, une amitié qui détecte les failles et les tourments de l’autre et respecte l’intégrité.
Ce roman est sauvage et pur comme la montagne, une nature parfois violente en cas d’orage ou d’avalanche, mais une nature souveraine.