TOULON – THEÂTRE LIBERTE : « Comment vous racontez la partie » de Yasmina Reza

Yasmina Reza est devenue célèbre après sa pièce « Art » qui cartonnait, souvent avec justesse, contre certains « foutage de gueule » de l’art contemporain, et mettait aussi à jour l’incompréhension que cet art, même valable, rencontre fréquemment. L’œuvre présentée à Toulon « Comment vous racontez la partie » avait été créée à Berlin en 2012. Pour la reprise en France, dont nous avons eu la première, et pour peaufiner cette pièce, Yasmina Reza a bénéficié d’une résidence au Théâtre Liberté ; résidence qui a ravi toute la production tant les conditions générales étaient meilleures qu’à Paris.
De quoi s’agit-il ? Un écrivain célèbre, Nathalie Oppenheim, a accepté comme ça, sans trop savoir pourquoi, une invitation dans une petite ville pour parler de son œuvre. Pour faire simple disons que la pièce se divise en deux parties. Dans la première on assiste à l’interview de l’écrivain par une journaliste coriace, habile, intelligente et méchante, qui se la joue star, avec le jeune bibliothécaire du lieu, qui semble assez mal dans sa peau et se la joue lui grand présentateur intello et maniéré, très drôle. L’atmosphère va vite devenir tendue, c’est un duel à fleurets mouchetés arbitré par le présentateur qui penche du côté de Nathalie, qui, elle, saura ne pas s’en laisser compter, et imposer sa thèse, que tous les critiques et les publics devraient enfin adopter : Un personnage de roman ou de film n’est pas l’auteur, même s’il y a parfois une part auto-biographique. Ou alors tous les auteurs de romans policiers seraient des criminels de fait.

 zabou

Dans la deuxième partie les trois personnages auxquels s’est joint le maire, se retrouvent dans une grande salle autour d’une sangria en attendant le départ. On ne joue plus, les personnages redeviennent tels qu’en eux-mêmes ils sont. Le maire, qui joue son rôle de maire au début avec un discours emblématique de tout ce qu’on entend dans une campagne municipale, n’est pas l’imbécile qu’il semblait être ; petit à petit la cuirasse se fend, il a de la culture, et il revient au naturel : personnage attachant. Finalement, sangria aidant, on fait la fête, on danse, on chante, avec à-propos, « Nathalie » de Bécaud, puis chacun va reprendre sa vie après cette courte interruption. Une belle trouvaille de la fin, la romancière lit, malgré le bruit et l’indifférence des autres, un poème, fort réussi, du bibliothécaire.
Les personnages sont riches, parce que complexes, comme dans la vie. Les acteurs sont époustouflants : Zabou Breitman est une Nathalie  de haut vol, Dominique Reymond est une journaliste renversante, Romain Cottard est fabuleux en bibliothécaire mal dans sa peau, et André Marcon est un maire plus vrai que nature, et pas seulement ! C’est ce qu’on appelle une distribution de luxe. La mise en scène, aérée, minimaliste, parfaite, au service du projet, est de Yasmina Reza. Et les décors, d’une influence Hopper-Mallet Stevens, sont pile-poil dans le droit fil de l’écriture. On a affaire à du théâtre que je qualifierais de réaliste, en ce sens qu’il est le reflet au premier degré de la réalité. Pièce parfaitement grand public, avec seulement un petit bémol, la deuxième partie m’a semblé un peu trop longue.

Serge Baudot