Nicole Croisille est une artiste à part dans le monde du spectacle, car elle n’est jamais où l’on imagine qu’elle soit, tantôt comédienne de théâtre, tantôt chanteuse, tantôt héroïne de comédies musicales, elle est l’interprète de belles chansons françaises ou nous offre un disque de jazz, elle a fait du mime avec Marceau, du Music hall avec plumes et strass en Amérique, elle danse, elle chante, elle joue…
Bref, elle aurait pu faire une carrière américaine tant on aime ce type d’artiste « qui sait tout faire » aux Etats-Unis.
Mais voilà, elle a choisi la France et en France, lorsqu’on sait tout faire… c’est qu’il y a un problème car on ne sait pas dans quel tiroir vous mettre.
Aujourd’hui, ça commence à changer : on a vu Liane Foly chanter, jouer, imiter. On a vu Patricia Kaas danser et jouer. On a vu Sylvie Vartan jouer au cinéma et maintenant au théâtre… Il y a eu aussi Jean-Pierre Cassel qui, comme Nicole, a eu longtemps du mal à imposer ses multiples talents…
Mais bon, on les compte sur les doigts de la main et Croisille est de loin la plus spectaculaire, passant d’une scène à l’autre, d’un écran à l’autre, d’un style à l’autre.
Son rêve était bien sûr la comédie musicale. Mais ce ne fut longtemps pas de mode en France. Alors elle a varié les plaisirs et nous a quand même offert une Dolly, dans la comédie musicale éponyme… et en anglais s’il vous plait. Elle a fait aussi partie de l’aventure « Follies », sur des musiques de Stephan Sondheim, comédie musicale créée à l’Opéra de Toulon. Mais elle a également une tenancière d’hôtel « borgne » dans le Berlin des années 40 dans « Cabaret ».
Et la voici dans « Irma la douce », reprise de l’œuvre d’Alexandre Breffort et Marguerite Monnot, qui écrivit tant de chansons pour Piaf. Elle fut créée en 1956 par Colette Renard et a revu le jour grâce à Nicolas Briançon qui l’a mise en scène à Paris puis en tournée.
Tournée qui s’est arrêtée le 3 août dans le beau théâtre de Ramatuelle et où l’on a pu découvrir la si rayonnante et belle Marie-Julie Baup dans le rôle d’Irma, un Lorant Deutsch dont on a découvert les talents de chanteur et danseur alors qu’on le savait déjà comédien et écrivain. On peut donc l’ajouter à la liste de ceux qui savent tout faire.
Et puis il y « la » Croisille, qui joue le rôle de « Maman » dans un bordel (encore !) et qui est le fil conducteur de l’histoire qu’elle nous conte avec son abattage et sa classe… car on peut travailler dans un bordel et avoir de la classe, la preuve !
Longue jupe noire, fume-cigarette au bec, mèche tombant sur un oeil charbonneux, elle a la gouaille, l’humour et la distance nécessaire pour faire de cette femme un personnage haut en couleur qui ne soit pas une caricature.
Elle est splendide, elle tient la scène durant deux heures et le seul regret que l’on puisse avoir c’est qu’elle ne chante que deux chansons… Mais quelle comédienne !
Nicole peut aujourd’hui s’enorgueillir d’une longue et foisonnante carrière et si elle a suivi de multiples chemins de traverse, elle l’a toujours fait avec talent, avec passion, avec curiosité et son chemin n’est pas fini puisque, après ces deux heures de scène éblouissante, elle me confie qu’elle se lance à la rentrée dans un projet encore original et sortant des sentiers battus : un spectacle produit par l’Adami autour de l’œuvre d’Erick Satie, dont on fêtera les 150 ans. Œuvre on ne peut plus contemporaine, même si ce musicien, né en 1866 est décédé en 1925. Son œuvre à l’époque a été très contestée et ses « Gymnopédies » ont été traitées de surréalistes, d’absurdes, de dissonantes, de répétitives.
Alors qu’il disait lui-même qu’on ne pourrait jamais mettre de paroles sur ses célèbres œuvres, voilà qui ne pourra plus se dire et qui va certainement faire parler d’elles. De nombreux comédiens et chanteurs entoureront Nicole dans une mise en scène de Pierre Notte le – presque ! – bien nommé.
Ce sera en septembre au Théâtre du Rond-Point.
Nous sommes curieux de découvrir ce nouveau challenge de l’amie Croisille qui est loin de décrocher… Et c’est tant mieux !
Jacques Brachet
Photos Cyril Bruneau