« Dans ma tête, un rond-point »
Quand la poésie s’installe dans un abattoir

A

Lorsqu’on évoque un abattoir, on imagine aussitôt des animaux pendus et mis à mort, du sang sur les murs, le sol, les tabliers et l’on oublie quelquefois que ce sont des hommes qui y travaillent et qu’ils ont rarement fait le choix de ce métier.
En France comme ailleurs, ce ne sont pas des lieux que l’on a envie de visiter, qui font rêver.C’est alors qu’Hassen Ferhani jeune réalisateur, nous propose d’entrer dans un de ces lieux, en Algérie, non pas pour y filmer la mort et le sang pas plus que de nous proposer un documentaire, mais pour nous faire découvrir des hommes qui y travaillent pour gagner leur vie, vie qu’ils vivent en huis clos, entre hommes, dans une amitié virile.
Des hommes qui ont des espoirs d’une autre vie, des fantasmes, du désespoir aussi ou de la nostalgie ou encore du désenchantement.
Hassen est venu présenter son film intitulé « Dans ma tête un rond point » invité, au Six N’Etoiles de Six-Fours, par l’association « Lumières du Sud » et nous a offert un grand moment d’émotion et d’humanité.

Un film « avec » eux…
« Je suis né – nous explique-t-il – tout près de cet abattoir, et j’ai voulu, non pas faire un film sur ce lieu, pas plus que « sur » les ouvriers mais « avec » les ouvriers, montrer combien leur métier est difficile, d’autant plus qu’ils vivent loin de leur famille et pour la plupart dans l’abattoir même, dans ce lieu de mort, avec leurs joies, leurs peines, leur philosophie. Les ayant rencontrés avant le tournage, c’est en tout état de cause qu’ils ont accepté et même, souvent, ce sont eux-mêmes qui ont proposé les sujets dont ils voulaient parler, les thèmes qu’ils voulaient évoquer. Il le font avec émotion mais aussi avec humour, avec aussi un certain fatalisme. ls sont émouvants, attachants. D’ailleurs, depuis ce tournage, je n’ai pas rompu avec eux et je suis toujours en rapport avec eux.
Ce film n’est ni un documentaire, ni une fiction. C’est tout simplement un film et je conçois qu’il soit difficile à définir. Mais justement, je ne tiens pas à ce qu’il soit « casé » dans une catégorie »

Avec toute sa sensibilité, Hassen filme ces hommes avec autant d’intérêt que de tendresse, où la poésie n’est pas exclue. Il les filme en gros plan mais il filme également leur environnement et, quoiqu’on imagine mal trouver de la beauté dans un tel lieu, Hassen les filme avec un très grand esthétisme, à tel point qu’il nous propose quelquefois des images d’une beauté presque surréaliste.
Il y a des moments poignants, comme ce jeune garçon qui nous assène en toute simplicité :        « Ou je me suicide, ou je traverse la mer ».
Chez ces hommes, l’on sent quelquefois la détresse et la fragilité et c’est en cela qu’ils sont attachants .En fait, ce film aurait pu être tourné ailleurs, tant le lieu, le sujet, la vie de ces hommes, sont universels.
C’est en cela que le film est fort et touche tout le monde.

B

Rencontre avec Hassen Ferhani
« Hassen, pourquoi avoir choisi ce lieu ?
Je voulais montrer en fond, la pénibilité de ce métier, j’avais envie de faire un film, non pas « sur » les ouvriers mais « avec » eux et c’est en plus le quartier où j’ai grandi. Dans ce lieu, j’ai d’abord été frappé par l’univers sonore, les tâches de lumière qui éclairent ce lieu et j’avais à la fois un potentiel humain et cinématographique. Et j’ai pris le parti de parler de tout ce les entoure sans jamais parler de viande !
Avez-vous eu des problèmes pour recueillir ces paroles, souvent intimes ?
J’ai rencontré tous ces hommes avant de tourner. Ils ont tous été d’accord pour jouer le jeu et m’ont quelquefois proposé les sujets dont ils voulaient parler…. et ils parlent beaucoup d’amour ! Ils ont aussi une grande philosophie, ils sont même porteurs de poésie dans ce lieu de carnage et de mort. L’un d’eux m’a dit à un moment : « Je ne mens pas mais je dis ma vérité ».
Tournant en Algérie, avez-vous eu une censure quelconque ?
Non, aucune et même, une partie du film a été financée par l’Algérie. Il y a encore des gens intelligents ! Le problème et qu’un tel film est très peu diffusé dans ce pays. Il faut vraiment accompagner le film.

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C’est un film d’hommes !
Par la force des choses car c’est un métier dur, difficile, un métier de force, très physique, très fatigant. Que ce soit en Algérie ou ailleurs, il n’y a pas de femmes dans les abattoirs, sauf dans les bureaux. De plus, ces hommes-là vivent en huis clos, loin des leurs, dormant sur place. En fait ils sont en quelque sorte des émigrés enfermés dans ce lieu.
Alors, documentaire ou fiction ?
Ni l’un ni l’autre, c’est un film avant tout. Je sais qu’on le renge dans la première catégorie mais ce n’est pas un documentaire sur des abattoirs et je me permets tout : je fais un film à partir du réel puis je le façonne. La subjectivité est présente. Je voulais avant tout montrer l’humanité de ces gens qui ne sont pas des comédiens et qui oublient peu à peu la caméra et se racontent. Rien n’a été écrit au préalable.
Voulez-vous faire passer un message avec ce film ?
Le message, c’est au spectateur de le trouver, de l’interpréter. Je le laisse libre de faire son propre film. Je un artiste qui montre la culture de ces personnages, leurs désires, leurs espoirs, leurs rêves refoulés, …
L’un des personnage, le jeune Yussef qui a 20 ans, a, à un moment, une phrase très dure : « Où je me suicide, ou je traverse la mer »… C’est violent.
C’est ce qu’il dit à un moment de sa vie mais le penses-t-il vraiment . Il a 20 ans, il se questionne, c’est un garçon complexe qui est dans un moment de détresse. Au moment où il parle, il est fragilisé par sa situation. D’où le titre du film : quelle voie prendre ?
Mais rassurez-vous, un an après, il ne s’est pas suicidé, il est toujours en Algérie, il vit avec sa petite amie et a trouvé un second boulot !
Vous avez de leurs nouvelles ?
Je ne les ai pas quittés car je me suis attaché à eux, j’ai gardé le contact et je continue à les voir, à correspondre avec eux. Ce sont des gens très attachants et il s’est vraiment passé quelque chose entre nous… »

Propos recueillis par Jacques Brachet.