Notes de lectures
par les Plumes d’Azur

Lellouche Batuman 2 (c) Carolyn Drake

Annette LELLOUCHE : La clé de l’embrouille (a5éditions)
Annette Lellouche nous a habitués à des romans qui naviguent entre suspense et humour.
Pour ce nouvel opus, elle a un peu mis de côté l’humour pour mieux s’aventurer dans une histoire assez rocambolesque mais qui va nous tenir en haleine jusqu’à la dernière page
Il y a Dolorès qui est femme de ménage chez « Madame », une bien surprenante personne, tantôt joyeuse et amicale, tantôt inquiète et taciturne. Dolorès et elle s’entendent bien mais un jour, Madame laissant son ordinateur ouvert, Dolorès ne peut s’empêcher d’y jeter un coup d’œil. Madame aurait un secret. Prise de curiosité Dolorès va aller dans un cyber café afin de s’initier au maniement d’un ordinateur. Le gérant est un garçon mystérieux et un étrange rapport va se nouer entre eux.
Voilà notre Dolorès au milieu d’intrigues et d’énigmes qu’elle va, sans se douter du danger, essayer de découvrir. Mais tout va s’emballer.
C’est une histoire très compliquée qui, à chaque chapitre rebondit pour mieux nous surprendre en apprenant un nouveau fait, un nouveau mystère.
Ca n’est pas pour rien que ce roman s’appelle « La clé de l’embrouille » et Annette Lelloulche sait à merveille nous embrouiller. A tel point qu’à un moment, on perd le fil et on ne sait plus qui est qui ! De temps en temps il faut faire un « come back » !
L’on sent qu’elle jouit de ces situations qui sortent de son imagination plus que fertile, dans un style très fluide car elle a un belle plume, et sait s’en servir pour… nous embrouiller à souhait !
Dur dur de quitter ce roman avant la fin !

Elif BATUMAN : les Possédés – Mes aventures avec la littérature russe et ceux qui la lisent (Ed de l’Olivier)
Dans ce livre, l’auteure revient sur ses souvenirs d’université, lorsqu’elle apprenait le russe et l’ouzbek. Elle nous conte ainsi : l’organisation d’un congrès à Stanford sur Babel auquel sont invitées les deux filles et la veuve de l’auteur ; un séjour à Saint Petersbourg où elle fait un reportage sur la maison de glace ; un colloque sur Tolstoi ; un sejour à Florence sur les traces de Dostoievki ; et son apprentissage de l’ouzbek à Samarcande.
Très érudite, elle fournit dans ce livre des résumés et des études fouillées d’oeuvres littéraires russes et ouzbek. Très instructif également sur l’Ouzbekistan, ce livre ne se lit pas facilement. Pour en faciliter la lecture, l’auteure insère dans ses récits quelques souvenirs d’étudiante qui n’ont rien d’hilarant comme le promet la quatrième de couverture.

APPANAH Nathacha photo C. H+®lie Gallimard COUL 02 12.14 DSC_3621 Savel

Natacha APPANAH : En attendant demain. (Ed Gallimard)
Dès la première page un drame inquiète le lecteur.
Un soir de réveillon chez des amis, Adam, le landais bientôt diplomé en architecture et peintre du dimanche, rencontre Anita, mauricienne apprentie journaliste et aspirante écrivain. Tous deux traînent leur mal-être d’exilés à Paris. Pleins d’espoirs ils rêvent de vivre leur art en allant s’installer en province, dans les Landes pays d’enfance d’Adam Après vingt ans de vie commune et la routine du quotidien le bonheur s’effrite et la réussite stagne malgré la naissance de leur fille Laura. Arrive une jeune femme, compatriote Adèle, sans papiers, sans attaches nounou parfaite, une vraie perle. Par sa présence chacun trouve son compte. Nimbée de mystères, elle devient la source d’inspiration créatrice pour ce couple d’idéalistes qui l’a phagocytée.
Mais peut-on voler la vie d’un être pour en faire un roman sans déclencher un drame?
Superbe histoire d’emprise d’une femme affirmée dans un couple sur la brèche .Le lecteur retrouve les thèmes préférés de l’auteure : la solitude, le couple, et la sourde mémoire des origines
L’étude des personnages, la subtilité des sentiments, l’écriture fine nous entraînent et nous ravissent sur un fond de nostalgie en nous évitant le pathos d’un drame attendu et assumé.
Très agréable lecture

Tom SAVEL : « Le Rital » (Ed Hélène Jacob)
Nous sommes au début du siècle dernier et, poussés par la famine en Italie, Carlo, pas encore six ans, sa mère et son beau-père, font un long chemin semé d’embûches pour se réfugier en Provence, à la Cadière.
Son beau-père est un alcoolique violent qui frappe femme et enfant. A tel point que Carlo se sauve et est recueilli par une famille qui va lui donner beaucoup d’amour et très vite, encore petit, il devra travailler pour gagner sa vie.
Considéré comme un étranger, il est malmené par la vie mais trouve quand même quelques soutiens. Il grandira tant bien que mal, devenant un jeune homme costaud, travailleur et droit.
Mais voilà que la guerre de va éclater et Carlo est rattrapé par son passé pour aller la faire dans ce qui est resté son pays. Là encore, il n’est plus chez lui et les Italiens le lui font sentir.
Il va malgré tout affronter une guerre abominable où il sera terriblement blessé, vivra l’enfer avant de pouvoir, trois ans après retrouver sa mère, la femme qu’il aime et son enfant qu’il n’a pas vu naître. Il va falloir revivre avec tous ces souvenirs, toutes ces images ineffaçables.
Ce livre est superbement écrit et Tom Savel nous fait vivre la vie d’un émigré comme tant d’autres qui, durant des années, n’étaient chez eux nulle part et vivaient le racisme ordinaire avant d’être intégrés…
Il en aura fallu du temps mais l’humain n’a pas beaucoup évolué depuis !
Il nous dépeint aussi toute une époque dans cette Provence qui est sienne. Il retranscrit magnifiquement la vie de tous les jours dans le monde agricole d’alors qui est en train de mourir, laissant place à l’industrialisation et surtout cette guerre qu’il raconte comme s’il l’avait vécue et qu’il nous fait vivre dans tout ce qu’elle a d’atroce.
Ce livre est fort. Très fort car écrit sans concession. Carlo, son héros, est on ne peut plus attachant et les derniers chapitres sont absolument bouleversants.
« Le Rital » est une grande fresque franco-italienne autour d’un héros ordinaire comme il y en a tant eu hélas.

Yael carlier-web

Yaël NEEMAN : Nous étions l’avenir (Ed Actes Sud)
Traduit de l’hébreu par Josette Azoulay, le dernier livre de Yaël Neeman nous plonge dans la mythologie des Kibboutz des années soixante. Ce texte, particulièrement intéressant mêlant travail d’historien et récit intime nous permet d’intégrer le quotidien d’un village pionnier en terre d’Israël.
L’auteure revisite ses souvenirs et raconte son expérience de vie socialiste. Née dans le kibboutz d’Yehi’am, de parents hongrois, la petite fille évolue dans une communauté laïque où, soumise à la pression des décisions collectives et radicales, elle prend peu a peu conscience de l’utopie et de l’audace de l’expérience.
Un nouveau monde juste et égalitaire devait naître, les individus allaient se mettre au service de la collectivité, l’avenir semblait pur puisqu’il partait d’un idéal.
Si il est possible de parler de réussite agricole et économique – du désert sont nés des champs d’arbres fruitiers de légumes et de plants de tabac- la réalité sera toute autre pour la jeune fille élevée sans l’amour des siens, livrée sans réponse à ses questionnements, ses sentiments et sa sexualité. Plus tard alors que dans la même logique, elle effectuera son service militaire, elle « rendra le barda d’une vie qui n’était pas la » sienne ! Démobilisée, à vingt ans elle regagnera Tel Aviv pour y poursuivre des études de philosophie
L’évocation de cette enfance séduit par sa sincérité, son humour, son acceptation. Aucune révolte, pas de plainte, juste un long monologue avec des images de la vie de tous les jours au rythme d’un enfermement. L’écriture est rapide, le ton monocorde, pas le temps de juger, les images défilent et nous initient à ce qui fut la plus audacieuse expérience du vingtième siècle.

Guy CARLIER : Chapelle Sixties (Ed Cherche Midi)
On ne peut pas vraiment parler de biographie avec ce livre de Guy Carlier car, s’il nous parle de lui, de son enfance, de son adolescence il nous parle surtout de ces mythiques années 60 qui n’en finissent pas de rappeler à toute une génération des souvenirs impérissables mais aussi une certaine nostalgie.
C’est une période charnière car il y a eu un avant et un après, ça c’est sûr et ce furent des explosions de toutes sortes : de la modernité, de la sexualité, de la musique, du confort .
On était encore près de la dernière guerre et chacun revivait à sa manière une seconde vie pendant que les ados des années « baby boom » découvraient une autre façon de vivre dans l’insouciance, l’absence de privations, la joie de vivre tout simplement.
Qui a connu ces années se retrempe avec émotion dans les souvenirs que Guy évoque. On était ados, premiers émois, premières boums, nouvelles musiques, ouverture vers l’Amérique, Eldorado de toute une jeunesse en découvrant les Beatles (même s’ils étaient Anglais !) les Stones, le Flower Power, le rock… la drogue aussi… Les premiers boulots faciles à trouver, avec ou sans diplôme, la télé « noir et blanc, une chaîne »…
On a l’habitude de dire « c’était mieux avant » mais c’est indéniable que la jeunesse d’alors voyait son avenir plus rose que celle d’aujourd’hui.
Bref, une parenthèse enchantée que nous conte Carlier à sa manière, avec beaucoup d’humour, quelque peu acéré de temps en temps, avec des digressions à n’en plus finir et des phrases à rallonge (il écrit comme il parle !) où quelquefois il faut revenir en arrière pour se souvenir du sujet qu’il aborde !
Mais on revit avec lui des choses que l’on a automatiquement vécues lorsqu’on avait 15 ans dans ces années-là.
En fait… la nostalgie est toujours ce qu’elle était !

Franceschini Nathalie rheims

Patrice FRANCESCHI : Première personne du singulier ( Ed Points )
L’auteur nous propose quatre nouvelles dont le personnage principal voit sa vie basculer dans l’horreur parce qu’il est obligé de faire un choix dramatique.
Deux officiers de marine marchande, un jeune lieutenant pendant la débâcle de 1940 , un père et une mère sont respectivement confrontés à une tragédie qui ne peut que détruire leur vie. Chacun d’eux doit affronter ce choix seul, à la première personne du singulier comme le suggère le titre de l’ouvrage.
Malgré le tragique de ces situations, ces nouvelles se lisent d’une traite et avec plaisir, on tremble avec ces héros en partageant leur angoisse et en adhérant pleinement à leur choix.
Le style est sobre et concis sans aucun mélo, les circonstances extrêmes sont décrites avec autant de clarté que de sobriété.
On comprend très bien pourquoi ce petit livre superbe de 197 pages a obtenu le prix Goncourt de la nouvelle
Nathalie RHEIMS : Place Colette (Ed Léo Scheer)
Nathalie Rheims fait partie des grandes auteures françaises.
Apparentée aux Rotchild, filleule de Yul Brynner, épouse de Léo Scheer, compagne de Claude Berri, elle a « en plus », tous les talents car elle fut actrice, chanteuse, productrice.
Mais sa passion reste l’écriture et ce nouveau roman « Place Colette » nous amène dans une histoire dont on peut se demander s’il n’y aurait pas de l’autobiographie dans l’air, tant son écriture y est intime.
Clouée dans une coquille à l’âge de 9 ans et ce, pedant trois ans et surtout pour rien, à cause d’une erreur de diagnostic, durant ces années galères, Elle (son nom n’est jamais cité) se passionne pour la littérature et surtout le théâtre dont elle apprend les textes de pièces classiques par coeur. Délivrée de ces trois ans de calvaire, elle reprend vie et rencontre en Corse un voisin qui vient déjeuner chez ses parents avec Dalida. Nullement fascinée par la star, elle tombe amoureuse de son compagnon, comédien du Français. Elle a treize ans alors, il en a trente de plus et décide alors qu’il sera son amant, malgré l’énorme différence d’âge qui les sépare.
De rencontres en visites dans sa loge après les spectacles dans lesquels il joue, le comédien ne restera pas insensible au charme de cette adolescente. Une liaison évidemment secrête s’installe, elle devient comédienne et approche l’âge de la majorité. Sa passion pour cet homme va-t-il résister à sa passion du théâtre et aux hommes de son âge qui tournent autour d’elle ?
Le sujet pourrait choquer quelques lecteurs bien-pensant et pourtant la narratrice raconte cette histoire avec simplicité, quelquefois même avec naïveté, mais, toute à ses deux passions, sans jamais se poser la question du bien ou du mal.
Elle fonce dans son histoire, trace un chemin rectiligne et l’enfant, au cours de ce parcours initiatique, devient une femme, une actrice aussi, le tout étroitement lié.
C’est magnifiquement et très simplement écrit, avec quelques scènes, charnelles mais dépeintes avec beaucoup de sobriété, de tact. C’est l’éveil d’une passion amoureuse et artistique à la fois et c’est très joliment dépeint.