Toulon – Théâtre Liberté
Le Sorelle Macaluso

Pour clore la saison en beauté le Théâtre Liberté proposait une tragi-comédie-ballet « Les sœurs  Macaluso » écrite et mise en scène par Emma Dante. Cette pièce avait obtenu un franc succès à Avignon en 2014, et n’a cessé de tourrner depuis. C’était donc une chance à ne pas manquer de la voir à Toulon.

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Seul décor pendant toute la pièce cinq formes rondes en fer brillant posées à l’avant scène, qui deviendront des boucliers puis resteront au sol, ornées chacune d’une croix. Une danseuse apparaît dans une danse folle. Suivra un groupe de femmes en carré croisant la scène en marchant au pas, toutes vêtues de noir, pantalon, chemisier, un homme si intercalera, puis un Christ brandit au sommet d’une hampe. Finalement les sept femmes du défilé viennent se poser en ligne face au public : ce sont les  Sœurs Macaluso, élevés par leur père, veuf, pauvre Sicilien dont le métier principal aura été ramasseur de merde, au sens propre, si l’on peut dire. Cette position frontale qui va dominer la mise en scène produit un effet d’intimité, on a l’impression d’être en conversation personnelle avec les sœurs.
Il y a une première partie où les sept sœurs, au milieu de leur vie, se racontent avec force rires et pitreries un peu à la façon de marionnettes ou de la commedia dell’arte, puis dans une seconde phase elles ôtent pantalon et chemisier et apparaissent en robes multicolores ; on est dans leur jeunesse, ensuite les robes font place à des maillots de bain pour une journée à la plage, c’est l’enfance, on raconte le père, chacune en a sa vision. Puis c’est un jeu d’enfants à la mer, à celle qui restera le plus longtemps sous l’eau, mais l’une d’elles va mourir par la faute supposée d’une autre. La voilà accusée, excommuniée par le groupe. Et les désaccords, les reproches, les dissensions, voire les haines, vont se libérer. Toutes accusant la coupable présumée, celle qui a été en pension, qui va rester figée, monobloc au regard méchant, jusqu’à ce que le père revienne du pays des morts pour dire qu’elle n’est pas coupable, et c’est lui qui sera mis  en accusation d’avoir été un mauvais père ; il devra se justifier en leur dépeignant ce qu’a été sa vie de ramasseur de merde pour les faire vivre et les élever, seul. Le noir des costumes revient. Et voici la mère qui réapparaît à son tour de chez les morts, vêtue de blanc. S’en suivront des retrouvailles avec le père, vêtu d’une nuisette blanche, dans une danse tourbillonnante simulant l’acte d’amour.

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Il y a une scène tragique qui fait revivre la mort du fils de l’une d’elle, footballeur adolescent que la mère pousse à l’entraînement malgré son épuisement, et qui en meurt. C’est une danse étourdissante par un danseur complètement désarticulé. La pièce se termine par un ballet tragique mené par la sœur noyée, revenue elle aussi de chez les morts, et qui peut enfin mettre son tutu. Une chorégraphie exécutée par une danseuse époustouflante, Alessandra Fazzino.
Deux hommes seulement dans la pièce, le père et son petit-fils footballeur, ce qui selon Emma Dante symbolise la famille matriarcale sicilienne, l’homme restant dans la sphère publique. Car au-delà du spectacle la pièce montre à travers ses personnages l’état de la famille, de la société sicilienne, et une partie de la condition humaine sur cette île de Méditerranée si particulière, où la religion, la mort sont omniprésentes, mais aussi les forces de la vie. Pour l’essentiel la pièce est écrite en dialecte palermitain, ce qui lui donne encore une plus grande vérité.
On en ressort ébloui, étonné, ravi d’avoir partagé la vie de cette famille sicilienne, en se disant que le poids de la religion pèsera encore longtemps sur les peuples, même si dans la pièce elle n’est évoquée que symboliquement.
Emma Dante est née à Palerme en 1967. Après des études de théâtre et son immersion dans l’avant-garde italienne, elle est marquée par la théâtralité du polonais Tadeusz Kantor ; puis après son  séjour dans différentes compagnies outre-alpines elle fonde en 1999 sa propre compagnie : Sud Costa Occidentale.

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Serge Baudot