Il y a tout juste un an, Claude Lelouch inaugurait le cinéma Six n’étoiles de Six-Fours. Nous l’y avions rencontré pour l’inauguration d’une salle qui porte son nom.
Il fallait donc, pour fêter l’événement, une personnalité d’aussi grand prestige et c’est Jean-Pierre Mocky qui a été choisi, invité pour un week-end à présenter son dernier film « Je vous trouve jolie » et son précédent film « Le renard jaune ».
Le samedi, en début de soirée, il était venu saluer son public à la brasserie, trinquer avec lui et nous en avons profité pour le rencontrer.
Alors que l’on a tout dit sur ce réalisateur prolifique et talentueux, à propos de son caractère râleur, vindicatif, caractériel même, ce fringant octogénaire nous est apparu d’une belle simplicité, d’un calme olympien, à la fois très communicatif et très abordable. Evidemment, chassez le naturel… et s’il a été un tantinet râleur c’est avec modération !
C’est donc autour d’une bouteille de vin blanc offerte par le patron du lieu, que nous avons pu discuter à bâtons rompus, très souvent coupés par quelques admirateurs qui « tapaient l’incruste ! »
Dans ce nouveau film, « Je vous trouve très jolie », pour l’une des rares fois de votre filmographie, l’on ne trouve pas de grandes stars…
Parce qu’on n’en a plus en France et que je suis bien obligé de prendre des comédiens qui, aujourd’hui, pour la plupart, viennent de la télé où ils tournent souvent des merdes sans nom, genre « Plus belle la vie », « Nos chers voisins »…
Certains ne sont quand même pas mauvais !
Evidemment mais beaucoup le sont. Bon, j’ai pris le dessus du panier : Thierry Neuvic, Lola Dewaere, Delphine Chaneac, Lionel Abelanski. Mais en dessous du panier, il n’y a pas grand chose !
Pour vous, qu’est-ce que c’est qu’un comédien ?
C’est d’abord quelqu’un qui a des tripes, c’est Gabin, Ventura, Aznavour, Delon. Des gens qui en ont bavé. Pas des gens qui suivent des cours qui coûtent cher et qui vont manger au McDo ! Parmi eux, il y a quelques bûcheurs mais une majorité de planqués.
En fait, le cinéma, hormis pour les techniciens, ça ne s’apprend pas. C’est un métier qu’on apprend sur le tas et encore à condition d’avoir du talent à la base. Ca s’apprend en jouant, en étant sur le terrain, comme au football.
Il faut du talent, du charisme. En France on n’a plus de Bardot, de Deneuve. Quant aux comiques, ils ne sont pas drôles. et j’ai constaté qu’en plus, les bons mouraient relativement jeunes : Bourvil, Fernandel, Coluche… C’est bizarre, non ?
Tourner, pour vous aujourd’hui, est-ce difficile ?
Pour moi ça l’a toujours été car je choisis souvent des sujets qui font polémique, qui dérangent : le terrorisme, les magouilles politiques, la violence dans le sport, les médicaments qui tuent, le bio qui ne l’est pas…
Alors j’ai du mal à trouver du fric. Les mécènes se font rares et le peu qu’il en reste préfèrent créer des fondations humanitaires pour se glorifier eux-mêmes.
Comment faites-vous ?
Comme je peux ! Je continue à me battre pour produire mes films, les faire voir dans des festivals où lorsque je suis invité comme aujourd’hui à Six-Fours où j’ai été magnifiquement accueilli. J’ai aussi mes salles de cinéma mais c’est quand même dur de passer mes films dans des circuits normaux et pourtant, lorsqu’ils passent à la télé, ils sont très regardés. Lorsque « Colère » est passé sur France 3, ça a fait un million et demi de téléspectateurs.
Il faut donc tourner pour la télé !
Alors là, gros problème : elle préfère acheter des séries qui se ressemblent toutes, à moindre frais. Et puis, lorsque j’arrive avec mes sujets, qui sont des sujets graves, essentiels tout le monde refuse de peur de perdre son poste car beaucoup sont tabous. Et on ne donne pas de l’argent à n’importe qui !
Regardez « Charlie Hebdo » :il y a quelques mois, tout le monde a refusé de les aider. Aujourd’hui, avec ces tristes événements, tout le monde veut leur donner de l’argent et même le gouvernement qui leur propose un million d’Euros alors qu’il y a quelques mois, il n’avait pas d’argent… Bizarre comme situation, non ? Pensez-vous vraiment que c’est pour la liberté d’expression ?
Alors, comment faire ?
Eh bien, j’essaie de faire des comédies ou des polars afin de ne froisser personne mais surtout pour continuer à faire mon métier, pour plaire à M Drucker et à ses ménagères !
Un film comme « Les hommes du Président » n’aurait jamais pu se faire en France. Les Américains, les Italiens aussi, osent, ils sont moins frileux.
C’est ça la liberté en France : on peut filmer son cul mais on ne peut pas le montrer !
Et qu’on ne me dise pas qu’il n’y a pas d’argent : il y en a pour Nagui qui fait chanter des cons, pour Sébastien qui fait son cirque !
Alors, comment faire, dites-vous ? Eh bien, se caler devant sa télé et se masturber en avouant son impuissance et regarder des productions sans risques et sans consistance.
Vous arrivez quand même à produire deux, même trois films par an !
Et on me le reproche assez ! Même Drucker m’a reproché d’en faire trop alors qu’il fait 40 émissions par an qui coûtent certainement plus cher que mes films !
Vous avez toujours vos cinémas ?
Oui, le Desperado et le Studio qui marchent bien. Mais j’ai un autre projet : créer un silo au centre de Paris. C’est un grand cercle de tôle surmonté d’un toit pointu dans lequel, au moyen de cloisons en briques je voudrais installer des salles de cinéma, une scène, des loges, des toilettes, où je pourrais organiser des projections, des spectacles, des rencontres, des conférences…
Ça coûte peu cher à monter et depuis pas mal de temps j’essaie d’arracher un terrain à Mme Hidalgo, la maire de Paris… Et ce n’est pas facile.
Sinon, j’ai toujours mille projets et j’en aurai toujours mais le manque d’argent fait que je ne peux pas avoir de coordination, de communication. J’ai quelque 70 films à vendre, à promouvoir… Mais je ne baisserai jamais les bras.
Bon, avec tout ça, j’espère que je ne vous ai pas trop emmerdé ! »
Propos recueillis par Jacques Brachet.
Photo 2 : Avec Noémie Dumas, directrice du Six n’étoiles