On a tout dit sur Gainsbourg, il a été autant encensé que vilipendé. On pouvait ne pas aimer l’homme, le provocateur, le soiffard, le fameux Gainsbarre mais il est indéniable que son oeuvre – car c’est une oeuvre, quoi qu’il ait pu en dire – fait à la fois partie intégrante de la chanson que de la poésie françaises.
Mélodiste magnifique, il se rêvait musicien classique.
Auteur inspiré, il était frustré de na pas être écrivain.
En fait, il aurait voulu être peintre mais détestait ses tableaux et les détruisait.
Enfin, il se trouvait laid et pourtant, de Jane à Bambou en passant par Deneuve ou Bardot, peu de femmes lui ont résisté.
A travers ses écrits, on comprend mieux l’être complexe et ambigu qu’il pouvait être.
Il nous a laissé plein de ce qu’il appelait « des chansonnettes » chantées ou murmurées par lui mais aussi par un nombre incalculable d’artistes qui voulaient tous une chanson de lui.
Mais jusqu’à ce jour, personne n’avait eu l’idée de les dire.
C’est ce que Jane Birkin, Michel Piccoli,et Hervé Pierre, de la Comédie Française on tenté de faire.
Essai transformé et chance pour nous de découvrir ce spectacle en avant-première au Théâtre Liberté où tous trois ont revu et non corrigé mais interprété à leur manière des textes que l’on connaît, pour certains, par cœur mais que l’on a redécouvert avec un plaisir extrême.
Ils nous ont ainsi distillé les mots de ce véritable poète qu’était Gainsbourg car on passe avec bonheur du romantisme à l’érotisme, de la poésie pure aux mots les plus crus mais toujours dits avec élégance, avec ce jeu de mots, ce double jeu qu’il aimait tant et qu’il pratiquait comme un funambule, sur le fil ténu de son imagination.
« La Javanaise », murmurée par Gréco, c’est déjà de la dentelle. Dit par Piccoli, ça prend une autre résonance, tout aussi intéressante. Ou comment, avec les mêmes mots dits autrement, on donne un autre sens à un vrai poème.
Lorsque France Gall chante « Poupée de cire, poupée de son », « N’écoute pas les idoles », « Teenee Winnie Popy » ça semble, dans les années 60, de jolies chansonnettes sirupeuses qu’elle égrène de sa voix acidulée. Dits par Jane, l’on se rend compte qu’il peut y avoir une double lecture et que ces mots simples et naïfs murmurés par une adolescente, dits par une Jane qui a vécu, c’est beaucoup moins anodin qu’il n’y parait.
Et que dire des « Sucettes » qui a tant fait couler d’encre bien après qu’elle ne fut chantée et que nous raconte, avec un petit air concupiscent… Michel Piccoli ! Un régal.
Et quelle merveille encore que cette « chanson de Prévert », « Comment te dire adieu » ou encore, à trois voix « Les petits papiers » qui est un petit bijou ciselé..
Par ailleurs, on se rend compte d’une constante chez Gainsbourg : le sexe ! Provocateur, certainement, obsédé, sûrement, mais avec quel humour nos deux hommes se délectent de ces histoires de c…l ! Et en plus, avec la voix d’un comédien français qui passe de Molière et Racine à un Gainsbourg qui l’inspire tout autant.
Que dire de son œuvre scatologique « Evguenie Sokolov » on ne peut plus sulfureuse et où, même là, Hervé Pierre arrive à en tirer des extraits avec humour… Du grand art !
Avec Gainsbourg, nous sommes sans arrêt entre la glace et le feu, entre le lourd et le léger, entre le drôle et l’émouvant et chacun avec sa personnalité, nous en donne sa version, Jane avec ce côté écorchée vive qu’elle a toujours eu, Piccoli avec ce côté quelquefois un peu égrillard et une certaine bonhomie, Hervé Pierre avec sa voix tonitruante et sa façon de disséquer les mots.
Sans la musique, ou alors juste en fond sonore, soulignant un texte au piano avec la discrétion et le talent de Fred Maggi, l’œuvre de Gainsbourg renaît et ne vieillit pas. Et même, elle prend là un beau coup de jeune.
Et comme me le dit Jane après le spectacle : « J’ai la sensation que le public redécouvre ses textes et même moi, en les disant, je les appréhende d’une autre manière ».
Belle manière en tout car et belle leçon de poésie que nos trois artistes nous ont donné en ciselant une œuvre qui est loin d’être mineure !
Jacques Brachet