TOULON – Espace COMEDIA
Histoire de Fantômes…ou comment rafler la mise

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Croyez-vous aux fantômes ?
Difficile de prouver leur existence puisqu’ils sont invisibles. Pourtant c’est ce que le héros de l’auteur japonais Abé Kobo arrive à faire dans la pièce montée et jouée par « Le Bruit des Hommes », certainement la troupe de théâtre la plus ancienne sur l’aire toulonnaise : On est dans le Japon des années 50, juste après la défaite de L’Empire du soleil levant. Le pays commence à renaître, et les Opportunistes et Corrompus de toutes sortes et de tous bords, c’est à dire les Salopards prêts à faire feu de tout bois, commence à s’en donner à fric joie. C’est ainsi qu’Oba, l’affairiste sans âme, va monter une affaire mirifique : acheter, vendre, échanger les photos des millions de morts. L’appât du gain va le conduire à une réussite exemplaire, emmenant dans son tourbillon un maire gâteux qui se laisse circonvenir facilement (magnifique composition d’Yves Borrini). Un délire de gloire et de fortune s’empare de tous les protagonistes et l’on va créer de multiples affaires juteuses, jusqu’à une « Ghost Fashion » et une maison de retraites pour fantômes ! et là, on est en parfait écho avec notre époque, hélas ! D’où l’écho de la pièce. Et cette réussite d’Oba s’appuie sur un pauvre bougre, Fukagawa, rescapé d’une armée en déroute qui promène le fantôme d’un frère d’armes, et croit qu’avec les photos des disparus il  pourra apaiser les âmes errantes. A leur rencontre Oba est recherché par la police et voit aussitôt un moyen de se sortir d’affaire, en en faisant. Là-dessus la femme et la fille d’Oba s’en mêlent, ainsi qu’un journaliste d’investigations, façon Tintin, « sans le petit chien blanc», qui dénouera l’affaire.
La mise en scène, très work in progress, est d’une efficacité remarquable, offrant de belles et parfois troublantes images scéniques. C’est aussi un exploit du couple Maryse Courbet-Yves Borrini qui ont adapté, puis réalisé la mise en scène de cette œuvre en seulement 10 jours (crise oblige). Le résultat est époustouflant, et les acteurs sont étonnants de justesse et de présence, avec une mention particulière à Lucile Oza, qui joue plusieurs personnages avec une congruence saisissante.
Un autre exploit est la traduction de cette œuvre foisonnante par Corinne Quentin. C’est la première fois que cette pièce, en résidence de création au « Bruit des hommes », est jouée en France.

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Avec : Didier Bourguignon (Fukagawa) Maryse Courbet (la femme), Yves Borrini (le maire et autres-), Eric Lecomte (Oba), Lucile Oza (la secrétaire, la fille et autres), Pascal Rozand (le reporter)

Serge Baudot

Pour les curieux de littérature japonaise :
Abe Kōbō  né le 7 mars 1924, mort le 22 janvier 1993 à Tokyo, est un romancier, dramaturge et scénariste japonais.
Son court roman, Kabe (Les Murs), obtient en 1951, le prix Akutagawa, le plus grand prix littéraire japonais. Écrivain, mais aussi militant communiste, il participe au groupe Littérature populaire, organise un cercle littéraire dans un quartier d’usines et publie dans d’innombrables revues. En 1962, paraît La Femme des sables (livre de poche), roman qui obtient au Japon le prix du Yomiuri, et en France le prix du meilleur livre étranger et qui a fait l’objet d’un film mis en scène par Hiroshi Teshigahara.
Inscrit au Parti Communiste Japonais depuis 1945, Abe Kōbō en est exclu après la publication de cet ouvrage, dont le thème, la perte d’identité, n’est guère en accord avec l’idéologie communiste.
Dès le milieu des années 1950, il commence à écrire pour le théâtre. Jusqu’à cette « Histoire de fantômes…) la seule pièce traduite en France était  Les Amis (1967).
Dans les années 1960, Abe Kōbō signe, en collaboration avec le réalisateur Hiroshi Teshigahara les scénarios de quatre films qui obtiennent une audience internationale