
Un chat vivait tranquille dans une belle forêt lorsqu’une énorme vague l’envahit et submerge la terre. Il ne devra sa vie qu’en nageant malgré sa peur et va trouver refuge dans un bateau à la dérive, sur lequel peu à peu quelques autres animaux vont s’y réfugier.
Ils devront apprendre à se connaître, à s’apprivoiser, à vivre ensemble malgré leur différence, et à s’entraider.
Que voilà un magnifique film d’animation signé Gintz Zilbalodis, un Letton à la fois réalisateur et scénariste de films d’animation, qui a signé ce film « Flow, un chat qui n’avait plus peur de l’eau » et qui en a aussi signé la musique.
C’est un film un peu étrange, dans la mesure où les dialogues ne sont que miaulements, cris, caquètements, grognements, aboiements mais qui expriment tous les sentiments, tous les épisodes dramatiques ou drôles que vont vivre tous ces animaux, dans des décors somptueux de fin du monde.
Un film plein de sensibilité, de poésie, d’humanité, même si ce ne sont que des animaux en l’absence d’humains qui ont l’air d’avoir disparus de la terre. On suit cette épopée pleine de symboles et de vérités, même si l’on peut se poser une question : Est-ce un film pour enfants comme le sont en principe des dessins animés, où un film pour adultes qui, sous forme de conte, dit des vérités sur l’âme humaine, qui pourraient se passer au-dessus de la tête de certains enfants ?
Pour en savoir plus, nous avons rencontré Ron Dyens, le producteur du film venu le présenter au Six N’Etoiles avec sous le bras, l’oscar et le César qui a remporté le film. « Que » deux trophées parmi les 80 reçus pour le film, du prix Lumière au Golden Globe, en passant par le prix Ciné-Europe et tous ceux reçus un peu partout, du festival d’Annecy qui en a reçu 4, au festival de Montréal, au festival de Cannes et même de Guadalajaro au Mexique !
Ron est un garçon souriant au regard bleu plein de tendresse et avec le sourire de l’homme heureux quelque peu dépassé par ce qui arrive au film !
« A 24 ans – nous dit-il – Gintz a réalisé ce film tout seul, à tous les postes, ce qui est une performance incroyable… Même si c’est une chose qu’on ne devrait jamais faire ! Il a même composé la musique !
Qu’est-ce qui vous a convaincu à produire son film ?
C’est le premier film de lui que j’ai vu, « Ailleurs » qui m’a totalement hypnotisé. Je l’ai vu sur un ordinateur et lorsqu’on visionne un film sur ce support, on s’arrête souvent pour aller boire un coup, envoyer un SMS, chercher des chips…
Faire pipi !
Oui, il y a la pose pipi et là, je n’ai pas eu envie de faire pipi !
Qu’est-ce qui vous a plu dans ce film ?
Le sujet du film correspond à son désir de travailler en équipe. En fait, le sujet du film c’est la cohabitation, la collaboration, face à l’adversité, c’est un film qui parle beaucoup de ce qu’on vit aujourd’hui. Etrangement, j’ai moi-même un discours sur le risque de la fin du monde et de son acceptation et en fait, peu de personnes me contredisent. C’est je crois, aujourd’hui, ancré dans la mentalité des gens. Il y a un jour des chances que tout pète mais la beauté de ce film est de montrer, à travers les animaux, un monde sur les humains où la coopération fonctionne, l’altruisme existe, l’apprentissage par rapport à l’autre, notamment le don à l’autre. C’est un peu le désir du réalisateur d’apprendre à échanger avec les autres.
Comment pourriez-vous définir le réalisateur ?
C’est un homme à la base très réservé, grâce aux festivals où il a été invité, il s’est ouvert… Les gens des pays baltes sont à la base plutôt renfermés car ils ont été ballotés entre le nazisme, le soviétisme, ayant Poutine comme voisin. Ce ne sont pas des bavards, ils ont du mal à s’ouvrir et ce film est pour lui, d’une certaine manière, une thérapie qu’il a très bien réussie.

Est-ce que les enfants peuvent se rendre compte de toute la symbolique du film ?
Ce film est en fait pour tout le monde, enfants, adultes mais chacun ne comprend pas le même message. Les films de David Lynch, on ne les comprend pas toujours. Ce sont des métalangages mais en les regardant, on se sent intelligent, on sent une sorte de connivence, il y a des choses qui crépitent un peu dans nos têtes. Comme ce film où le fait que ce ne soit pas justement clair, on s’approprie certaines choses plus que d’autres. Et du coup, ce film touche tout le monde pour des raisons différentes et personnelles, avec aussi ce que chacun a de l’expérience de la vie. Les jeunes spectateurs n’ont pas la même appréhension de la fin du monde que des personnes plus âgées qui voient l’état du monde, le désastre écologique, par exemple. Les jeunes ressentent inconsciemment des choses auxquelles on n’a plus accès, cette tension perpétuelle. Beaucoup de jeunes pleurent mais pas de colère. Pour vous la fin du film est-elle ouverte ou fermée ?
Je pense qu’elle est positive…
Et pourtant, avant la fin, il y a à nouveau cette course de biches et de cerfs qui peuvent faire penser qu’un autre danger arrive, comme la première fois. Il prend conscience, en voyant la baleine échouée, que de toutes façons nous allons tous mourir, d’une manière ou d’une autre, à un moment où à un autre. C’est une certaine acceptation de la mort puisqu’un nouveau déluge se rapproche et qu’enfin la seule survivante sera la baleine. Malgré ça, vous avez raison, c’est très positif ! Car le chat ne mourra pas seul, il a découvert l’altruisme, l’amitié, l’altérité, toutes ces choses qui sont belles et qui font grandir les gens. Je me rends compte que les gamins sont des éponges, ils voient les tensions familiales, leur souffrance peut-être, celle des éducateurs. Même s’ils ont des étapes à passer, ils voient autour d’eux ce qui va ou pas. A chaque époque, chaque enfant s’est adapté à son monde.
Le fait que ce soit un film sans dialogues est-ce une difficulté ou une grande liberté ?
Gintz a toujours fait des films sans dialogues. C’est un taiseux de nature et il n’aime pas beaucoup faire parler les gens. Il préfère que les spectateurs ressentent des sentiments à travers l’action des personnages. C’est un parti pris dès le départ.
Et le fait qu’on ne voie aucun humain est aussi un parti pris ?
C’est vrai qu’on voit des sculptures, des habitations, des lieux habités par des humains, suggérant qu’il y en avait et que même le chat était un chat domestiqué dans la mesure où on le voir dormir dans une maison. Comme dit Gintz : « Faites-vous votre film » !
Et cet oiseau qu’on voit mourir dans ce tunnel blanc que certains appellent le tunnel de la mort, dont certains sont revenus ?
Le bouddhisme dépeint un autre monde dans lequel on va aller. Quand je parle de la mort avec mes enfants, je leur dis qu’elle n’est pas une fin en soi. Personne ne le sait. Donc, pour moi, le chat part avec l’oiseau dans cet endroit de passage, il y a une porte qui s’ouvre certains la franchissent d’autres non. L’oiseau est blessé, n’a plus de fonction sociale, il n’a donc plus d’intérêt sur cette planète, il doit donc quitter ce monde. Quant au chat, on dit qu’il a plusieurs vies, qu’il a pu en perdre pendant son périple. Et pour moi cette barque, ce n’est pas la barque de Noé, c’est plus la barque de Charon, qui est la barque pour aller vers la mort. Tant qu’on est sur la barque, on n’est pas mort, on va vers un autre monde. L’oiseau considère que le chat n’est pas prêt à changer de monde. Il rate donc le passage car il a autre chose à faire.
Qu’est qui, pour vous, a créé un tel engouement partout où le film est passé ?
Je pense qu’il y a beaucoup de choses. Il y a le mysticisme, il y a aussi beaucoup de spiritualité. On est aujourd’hui dans un monde très dur, où partout dans le monde il y a de la violence. Indépendamment d’être chrétien, juif, boudhiste ou autre, on s’aperçoit que peu à peu le monde disparaît, on a besoin de s’accrocher à des valeurs, qu’elles soient familiales, spirituelles, car on sent qu’il y a quelque chose d’inéluctable et de très violent. Il faut donc arriver à une forme de sagesse, d’acceptation de ce qui est en train d’arriver.
Si on a une forme de conscience de soi, plutôt correcte et positive, c’est aussi une façon de lâcher prise face à cette violence.
Ce qui est drôle c’est que c’est un film de son temps. Par exemple lorsque le réalisateur a reçu trois prix au festival de Séville, au même moment il y avait ces inondations à Valence. Le lendemain où nous avons gagné le Golden Globe, il y a eu les feux à Los Angeles… En fait, cela fait quatre-cinq ans qu’on est sur ce film, on voit l’état du monde qui nous alerte mais qui ne fait pas changer le monde.
Le titre de Flow ?
C’est le courant mais en musique ça désigne aussi l’ensemble des rapports rythmiques, du temps, de la mesure.
Quelles ont été les difficultés pour arriver à faire ce film ?
Je vous avoue que tout s’est super bien passé… Ce film a été béni des dieux, tout s’est passé avec une évidence incroyable, même les financements, alors qu’on a un film sans dialogues, avec des animaux non anthropomorphisés. C’est un peu comme « The artist » qui est sans dialogues et en noir et blanc ou « La haine » tourné en couleur mais sorti en noir et blanc aussi. On s’aperçoit que des films « différents » fonctionnent aussi. Je vais vous avouer quelque chose : on a même refusé de l’argent. Ça montre bien que le monde devient fou !!!
Ça va certainement être pire, avec tous ces prix, non ?
Mon gros problème aujourd’hui est : Qu’est-ce que je fais après ? J’ai d’autres projets mais ils n’atteindront pas le niveau de celui-ci. L’avantage est que je vais remettre le couvert avec Gintz, ce sera une nouvelle coproduction franco-lettone. Il y a déjà deux millions du CNC letton et on espère donc beaucoup de ce prochain film car pour moi le réalisateur est un génie.
On peut donc déjà en parler ?
C’est toujours sur le même thème et on se rapproche de plus en plus de la fin du monde ! (il rit) mais avec toujours beaucoup de poésie ». Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Alain Lafon