
Jules & Marcel… Raimu & Pagnol.
Deux génies, deux monstres sacrés qui ont fait vibrer la Provence dans le monde entier.
L’un, comédien « le plus grand comédien du monde », dixit Orson Welles né et mort à Toulon, l’autre, écrivain, réalisateur, académicien, traduit dans toutes les langues, né et mort à Aubagne.
Deux frères ennemis qui pouvaient autant s’adorer, s’admirer que se fâcher et se lancer dans des colères terribles.
Ils passaient leur temps à s’envoyer des lettres d’amour comme des lettres d’insultes et de menaces de se fâcher pour toujours. Ces lettres, la famille de chacun les a gardées pour un jour les livrer au public par comédiens interposés : Michel Galabru et Philippe Caubère qui en faisaient une lecture pleine de saveur, avec leur accent, notre accent si gorgé de soleil, même si c’était un peu statique, chacun étant face à face derrière son bureau
Voilà que nos deux génies reviennent, toujours avec ces lettres mais sous forme d’une pièce de théâtre, par deux autres artistes provençaux savoureux : Frédéric Achard, alias Jules et Christian Guérin, alias Marcel. Un troisième larron signe la mise en scène et devient le narrateur qui lie ce courrier par des petites histoires qui racontent leur vie, leur œuvre. : Lionel Sautet.
Et cela devient une pièce de théâtre que l’on a découvert au Comoedia d’Aubagne… Comme par hasard ! Le trio aux yeux bleus est magnifique, ces échanges épistolaires étant de vrais morceaux de bravoure que la faconde de Frédéric-Raimu et la finesse de Christian-Pagnol
enchante, le tout apporté par Lionel aux multiples rôles.
C’est du grand Pagnol, du grand Raimu mené par trois artistes remarquables.
Première des premières pour quelques invités triés sur le volet, c’est Le directeur du lieu, un certain toulonnais que l’on connaît bien, nommé Jérôme Leleu qui, pour l’anniversaire de Pagnol, né il y a 130 ans, décédé voici 50 ans, qui a eu l’idée de l’honorer, tout en fêtant les 100 ans du théâtre.
Belle idée à laquelle il nous a conviés en passant la soirée avec Jules, Marcel et le narrateur !
Frédéric Achard : « Je suis un acteur sudiste ! »
« Frédéric, s’appeler Achard lorsqu’on sait que Marcel Achard était l’ami de Pagnol… Belle coïncidence !
Oui, d’autant que je n’ai aucun lien familial avec l’autre académicien ! C’est un joli hasard qui me donne l’occasion d’avoir en quelque sorte une filiation, un point commun avec Marcel Pagnol.
Votre admiration pour Pagnol vous est venue comment ?
Tout enfant grâce à mon père qui faisait du théâtre amateur et le jouait et mon grand-père qui aimait l’écrivain. J’ai donc été bercé dès l’enfance par ses textes. Je suis d’une famille marseillaise, très chauvine et Pagnol, Raimu étaient gens de chez nous qu’on ne pouvait qu’aimer. Je l’ai donc très vite joué, à l’époque j’avais les rôles de jeune premier comme celui d’Ugolin puis petit à petit j’ai pu jouer des rôles plus mûrs de ses ouvrages. Tout au long de ma carrière j’ai joué les œuvres de Pagnol.
Alors, on connaissait cette lecture que Galabru-Caubère ont jouée. Comment est venue l’idée d’en faire une pièce de théâtre ?
C’est une idée de Lionel Sautet qui a pensé que ces lettres pouvaient devenir un dialogue tant elles sont fortes et être adaptées en pièce de théâtre. Avec Christian Guérin, nous avons pensé que l’idée était intéressante. Mais pour lier ces lettres qui allaient être interprétées, Lionel a eu l’idée de créer ce personnage de Jean Destin qui reste mystérieux. Qui est-il ? Pourquoi est-il là ? Sans compter qu’il joue aussi d’autres personnages comme le restaurateur, le barman, le producteur… Tous les personnages qui amènent les dialogues.
Le décor est très inventif et change à vue…
Bien sûr car il n’était pas question que les deux artistes soient face à face devant leur bureau. Du coup, nous passons très vite de la loge de Raimu à la bibliothèque de Pagnol, du comptoir d’un bar à une table de restaurant pour nous retrouver sur un plateau de cinéma…
Vous avez joué de nombreuses œuvres de Pagnol tout au long de votre carrière…
Oui, Pagnol a toujours été omniprésent dans ma vie d’artiste, je l’ai beaucoup joué. Je ne suis pas un « théâtreux qui joue des grands textes », je joue des œuvres provençales à 80% car je trouve que notre langue est belle et je veux la transmettre aux nouvelles générations. J’ai commencé par la pastorale de Maurel, j’ai joué « Les lettres de mon moulin » de Daudet, entre autre.
L’an dernier, vous avez monté « Marius » qui a eu un grand succès…
Oui, nous avons rempli des salles de 700/800 spectateurs. Ce qui prouve que Pagnol est toujours bien présent. Nous l’avons créé avec sept personnages alors qu’il y en a 15, mais, avec les décors, c’était déjà énorme. Du coup, c’est vrai que nous avons l’idée de continuer avec « Fanny » et « César. Mais ça demande beaucoup de travail et d’argent. Donc on se repose un peu avec cette jolie parenthèse qu’est « Jules et Marcel » que nous allons mener en tournée.
Vous avez aussi travaillé avec le groupe Quartier Nord !
Oui, durant vingt ans, nous avons joué des opérettes marseillaises façon rock au Théâtre Toursky avec des musiciens formidables. J’aimais cette nostalgie remise au goût du jour, la comédie, le rythme, l’esprit créatif, les influences provençales. J’aimerais que les jeunes n’oublient pas tous ces textes de chez nous.
La Provence est ancrée en vous !
Terriblement. Je suis un acteur sudiste ! »
« Lionel SAUTET : « J’aime explorer l’âme humaine »
« Lionel, cette envie de faire du théâtre vous est venue comment ?
Tout petit déjà, vers 10 ans, je voulais devenir clown. J’étais très timide mais je me rendais compte que je pouvais faire rire mes camarades. Etant Niçois j’ai découvert « Le Capitaine Fracasse » au Théâtre de Nice et j’ai su que c’était ça que je voulais faire. J’ai passé un bac théâtre, avant d’aller à Paris où j’ai monté une compagnie « Les épis noirs ».
C’est là que, alors que j’avais invité une quarantaine d’agents, l’une d’entre eux m’a repéré pour jouer dans une série télé récurrente : « Equipe médicale d’urgence ». C’est ce qui m’a ouvert l’univers de la télé et j’ai joué dans de nombreuses séries comme « Section de recherches », Sous le soleil », « Femmes de loi », « RIS »…
On est loin du théâtre !
C’est vrai que tout s’est enchaîné et j’ai toujours travaillé pour les autres, pour un projet.
Je ne le regrette pas, j’ai de bons souvenirs, mais j’en avais un peu marre. Je suis alors parti dans le Tarn et moi qui, de Nice à Paris, étais « un urbain », je me suis mis à travailler la terre, le potager, j’ai trouvé un territoire pas loin d’Albi en me disant que l’avenir était à la campagne et que je devais trouver un endroit où faire pousser des racines, pour ma famille.
Et plus d’envie de jouer ?
Oui, j’avais alors 40 ans, je suis devenu « comédien-fermier » avec des envies de mise en scène, d’avoir des projets à moi, de pouvoir faire mes propres choix De faire de vraies rencontres. Ce que j’ai fait avec la Cie des Funambules. J’avais un rapport direct avec une équipe et un public. J’y ai créé « Les fourberie de Scapin », « Ay Carmela » …
Et vous voilà sur le projet Pagnol où une simple lecture devient une vraie pièce de théâtre. C’est vous qui en avez eu l’idée ?
Non, c’est une idée commune et nous en avons beaucoup discuté. Je n’avais pas vu le spectacle Galabru-Caubère, je n’avais vu que la version Achard-Guérin et l’idée et venue de donner plus de place au narrateur qui relie les scènes toujours avec les textes des lettres. On a créé un spectateur lambda, Titin le restaurateur, Léon Voltera, producteur de Raimu. Le personnage raconte leur histoire remise dans leur contexte historique, leur vraie amitié et leurs fâcheries qui ont duré jusqu’à la mort de Raimu.
Les décors aussi sont à la fois très simples et très inventifs, avec changement à vue.
Nous ne voulions pas de gros décors difficiles à changer mais trouver des astuces pour qu’une table devienne un bureau, un lampadaire un spot de cinéma, un bureau, une loge…
Nous y sommes entrés sur la pointe des pieds pour que cela reste simple, ludique, inventif.
Alors… Et les envies de devenir clown ?
(Il rit) C’était un rêve d’enfant mais mon film préféré reste « Les enfants du Paradis » et ce clown blanc m’a toujours fasciné et ému. Car chez un clown, il y a toujours un côté enfantin, à la fois burlesque, délirant, grave, poétique, attendrissant, émouvant. J’aime beaucoup ça et j’ai été heureux lorsque le Cabaret de Monsieur Mouche a fait appel à moi. Ça a été une belle aventure.
Vous avez dit « J’aime explorer l’âme humaine ». Vous pouvez développer ?
J’ai toujours aimé découvrir le côté positif d’une personne comme d’un personnage. Ce qui était le cas dans la série « Equipe médicale d’urgence » où tout se passait dans un hôpital où l’on rencontre toutes sortes de personnes et où l’humain est palpable. C’est ce que je recherche dans les rôles qu’on peut me proposer, que ce soit un tyran, un assassin, je cherche toujours ce qui a fait qu’il est devenu ainsi. Il y a toujours une raison, un point de départ qui a fait ce qu’il est, quelle est la faille qui peut le rendre, sinon sympathique mais peut-être excusable.
Alors, les projets ?
On démarre à peine « Jules et Marcel », les dates commencent à tomber. On espère qu’il y en aura beaucoup ! »
Christian GUERIN : « Je suis curieux de toutes les disciplines artistiques »
Après Frédéric et Lionel, il manquait le troisième larron de notre trilogie pagnolesque : Christian qui a connu les feux de la rampe très tôt puisqu’il fit la Une de Nice-matin en étant sacré le plus beau bébé de Saint-Laurent-du-Var.
Lorsque je le lui rappelle, il rit :
« C’est vrai, c’est devenu un gag mais cette photos devait me servir quelques années plus tard alors que je montais un spectacle autour de Pagnol en 2010 et que j’ai mis en parallèle une photo de Pagnol au même âge que moi. Je trouvais que nous nous ressemblions !
Est-ce cette mise en lumière qui vous a donné l’envie d’être comédien ?
Je ne sais pas vraiment mis il se trouve qu’à14 ans j’avais déjà mon premier grand rôle en jouant « Poil de Carotte ». C’était en 1990 et je trouve que c’est une magnifique pièce de famille de Jules Renard qui évoque une relation filiale entre le père et le fils que Jacques Biagini a monté.
Jacques Biagini dans la compagnie duquel vous êtes entré…
C’était il y a 30 ans passés. La compagnie a été créée par Jacques en 1995 afin d’offrir un pôle important d’accécibilité, théâtrale, culturel et artistiques autour du spectacle vivant. Il est décédé en 2010 et c’est moi qui ai pris la relève. Il était un passionné de la culture sous toutes ses formes qui, disait-il, devait avoir une grande place dans la vie de tous les jours.
C’est là que vous avez rencontré Lionel Sautet ?
Non, c’est au lycée. Nous avions les mêmes envies, nous avons passé un bac théâtre et nous nous sommes confrontés à des disciplines, des arts différents : théâtre, danse contemporaine, clown moderne, jonglage, opéra…
Mais déjà j’avais une réelle passion des textes. J’ai écrit ma première pièce à 17 ans, j’ai fait de la mise en scène, nous avons monté du Molière, du Cocteau. Nous avons aussi connu Angelina Lainé qui est chorégraphe et s’occupe de la pièce « Jules et Marcel »
Alors, comment vous est venue l’idée de créer une pièce d’après cette lecture des lettres de ces deux artistes ?
Au départ c’est une idée de Pierre Tri-Hardy qui a demandé à Jacqueline Pagnol, qui était encore en vie, si elle était d’accord pour mettre en scène cette lecture dont elle avait les lettres comme Paulette Raimu avait gardé celles de son père.
Mais au départ ce n’était qu’une lecture dans le cadre du festival de la correspondance de Grignan et Michel Galabru et Philippe Caubère ont eu l’idée de faire un spectacle et une tournée avec.
Avec Frédéric, nous avons décidé de la reprendre. Ça a été un succès, nous avons fait quelque 150 représentations en France et jusqu’au Québec.
Et l’idée de la pièce ?
Nous trouvions qu’il y avait une vraie matière pour en faire une véritable pièce en y incorporant l’intimité des deux artistes, leurs lieux de vie et de travail en y ajoutant le lien avec le narrateur et en créant des décors que l’on pouvait changer à vue. C’est ainsi que nous avons recréé la pièce à Aubagne, lieu symbolique et incontournable. Mais les écrits des deux en font un véritable dialogue.
Et vous allez l’emmener en tournée, bien sûr !
Oui, bien sûr. Le cap du 26 février passé, nous pouvons aujourd’hui penser à la tournée. Déjà des dates arrivent et en attendant, nous rejouons « Marius » que nous avons créé il y a un an. Mais c’est un spectacle assez lourd en personnages et en décors. C’est un gros navire.
Nous passerons avec lui le 10 avril à 20h30 à Six-Fours, Espace Malraux. »
Et nous serons là pour y retrouver nos trois amis.
Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Alain Lafon
