Orlando est, on le sait, le producteur de Dalida. Il est tellement lié à celle qui fut et reste l’une de nos plus grandes stars de la chanson, qu’on a tendance à oublier qu’il fut chanteur lui aussi et même, avant sa sœur qui elle, en Egypte, ne rêvait de que jouer la comédie pendant que son frère démarrait une carrière. Il est le créateur d’un tube qui a fait le tour du monde : « Mustapha », dont on ne peut plus dénombrer les versions.
Venu rejoindre Dalida en France, c’est tout naturellement qu’il continuera sa carrière de chanteur chez Bel Air, filiale de Barclay où enregistrait sa sœur… sans « piston » aucun car il avait un point d’honneur à arriver par ses propres moyens, même s’il a toujours été considéré comme « le frère de Dalida » .
« Quand le soleil était là », « Mon amour disparu », première version de « Vanina » que reprendra Dave, « Derniers baisers », que reprendront C.Jérôme et Laurent Voulzy, « Quand je viendrai de l’horizon », « Tout ça pour le locomotion », « L’amour fait la loi » version de l’énorme succès « Apache », « Notre concerto »… Durant cinq années, de 60 à 65, il n’a pas quitté les hit parades et a chanté dans de nombreuses langues, dont l’Italien bien sûr.
Et puis il arrête tout et, quelques mois après, il entreprend de travailler avec et pour sa sœur.
De ce jour, le chanteur n’a plus existé. Mieux, il ne voulait plus en entendre parler. Et lorsqu’on lui demandait : « A quand un best of ? », question que je lui ai souvent posée, il refusait d’en parler. Et voilà qu’aujourd’hui il sort le 27 octobre prochain !
Aujourd’hui il en reparle et, avec sa volubilité et sa gentillesse habituelles, après cinquante ans d’amitié indéfectible, j’ai interviewé le chanteur… pour la première fois !
Alors, pourquoi, Orlando, tout à coup ce fameux best of qu’on attend depuis des décennies ?
C’est tout simple – me confie-t-il – durant toutes ces années j’ai volontairement occulté une part de ma vie professionnelle. De ma vie tout court. J’avais tourné la page sur ma période de chanteur. Pourtant, Dieu sait si on m’a proposé de faire ce best of, en particulier Pascal Nègre, patron d’Universal (Photo 4). Chaque fois je refusais. Je lui répondais : « Quand je ne serai plus là, tu feras ce que tu voudras ». Jusqu’au jour où il m’a démontré que, les années passant, les chansons allaient tomber dans le domaine public et qu’à ce moment-là, elles appartiendraient à tout le monde, entre autres à des gens qui sont les fossoyeurs du travail des autres, qui font tout et n’importe quoi pour faire de l’argent.
« Des gens vont s’approprier ton travail – m’a-t-il dit – et faire des enregistrement tirés de vinyles qui craquent. Est-ce que tu veux ça ? »
Il m’a convaincu. J’ai dit oui à condition d’avoir carte blanche et de le faire, comme disait Dalida, « A ma manière ».
Comment as-tu procédé ?
Je me suis replongé dans mes chansons alors que je ne supportais pas de m’écouter… et j’ai eu d’agréables surprises ! Je me suis rendu compte que j’avais du flair depuis longtemps ! La preuve : des succès qui, repris des décennies après ont refait d’énormes succès, de « Derniers baisers » à « Vanina » en passant par le version de Diam’s « C’est si doux ». Chanteur ou producteur j’avais donc de flair, même si je trouve ces versions mieux que les miennes !
Mais pourquoi t’être arrêté ?
Cette décision, je l’ai prise après une grande tournée dans les pays de l’Est, en 65.
Je m’étais fixé un challenge, me donnant cinq ans pour devenir une vedette. J’ai fait, c’est vrai de beaux succès, beaucoup de scène, de tournées dont celle avec le Chaussettes Noires qui reste mon meilleur souvenir. Comme dit Aznavour « Je m’voyais déjà »… mais au bout de cinq ans, je ne m’y suis pas vu et j’ai toujours préféré avoir un fauteuil qu’un strapontin. C’est donc sans amertume et sans regret que j’ai arrêté ce métier de chanteur tout en sachant que je resterais dans le métier de la chanson. J’avais envie de diriger les autres, de les mettre en lumière. Ce que j’ai d’abord fait avec Dalida.
On va y revenir. Mais en écoutant ce best of, quel sentiment éprouves-tu ?
D’abord, grâce à Pascal, qui m’a sorti un disque somptueux, digne d’une star – je ne le suis pas, du moins en tant que chanteur ! – je me suis refait ami avec le chanteur que j’étais. Comme un puzzle, c’était la pièce manquante de ma vie. et puis, je me rends compte que, même si souvent, je retrouve l’accent, le style, les effets de voix de ma sœur, ce n’était pas si mal pour l’époque ! C’est un clin d’œil et je trouve que finalement, ce disque dégage une nostalgie positive.
Mais je le répète, c’est en souriant et sans regret que je l’écoute. Et que tout le monde se rassure : je ne vais pas reprendre une carrière de chanteur !
Je crois qu’en tant que chanteur, je suis arrivé trop tôt ou trop tard dans ce métier : Très influencé par Dalida, je n’avais pas vraiment le style qu’on appelait alors « yéyé ». j’étais plutôt porté par la chanson romantique. C’était donc trop tôt pour moi. Et quand le style romantique est arrivé comme avec Vilard, Christophe par exemple, c’était fini pour moi.
Pourquoi, au lieu d’un best of, n’as-tu pas sorti une intégrale, car tu a fait un nombre incroyable de titres en cinq ans, aussi bien en France qu’à l’étranger !
J’aurais pu, c’est vrai mais je n’ai voulu prendre que le meilleur pour que les gens soient heureux de m’écouter, pour ne pas agresser les oreilles du public ! Et puis, il y a certaines chansons qui sont mauvaises, d’autres dont je n’aime pas la version.
Il manque quand même cette superbe chanson qu’était « Notre Concerto », que chantait aussi Colette Deréal !
Justement, quelle belle version que la sienne ! Difficile de lutter… C’était mon premier disque à mon arrivée en France et je ne l’aime pas beaucoup. Peut-être ai-je tort, peut-être que les gens auraient été plus indulgents que moi… Et peut-être que ça se fera un jour, qui sait ?
Revenons donc à Dalida…
Travailler pour elle a triplé ma joie. Elle a toujours été autant ma sœur que mon idole. En 66, elle était très seule menait tout de front et c’est tombé pile au moment de ma décision d’arrêter de chanter. J’ai donc fait mes armes chez Barclay et puis en 70, nous avons créé notre propre label, notre propre production. ce qui était une première pour un artiste. Ca a été un coup de soleil dans ma vie. J’ai aussi produit une cinquantaine de jeunes artistes dont Hélène Ségara dont on connaît le succès.
C’est notre petite six-fournaise et mon amie !
Oui, Avec elle, ça a duré 16 ans et je lui ai rendu sa liberté.
Pourquoi ?
D’abord parce que, après tout ce temps, comme l’a fait Dalida, il fallait qu’elle prenne son envol toute seule avec quelqu’un auprès d’elle. Et c’est Mathieu, son mari, qui est très compétent. et puis parce que son projet virtuel avec Dassin ne m’a pas enchanté, pas séduit. Je l’ai donc encouragée à le faire sans moi. Et elle a eu raison de le faire puisque ça a bien marché. Mais nous ne sommes pas fâchés, nous nous voyons souvent, je suis toujours là pour la conseiller et elle sait qu’elle peut venir me voir quand elle veut.
Changer d’équipe, ça donne du sang neuf, ça empêche de se scléroser. Il était donc temps pour elle de changer.
On sait que depuis le départ de Dalida, tu as toujours des projets pour qu’elle continue à vivre et qu’on ne l’oublie pas… As-tu des projets en ce moment ?
Oui, je vois cette semaine le Musée Galliéra pour créer une exposition Dalida avec toutes ses robes dont je ferai don à la ville de Paris. Ce sera moins conventionnel que ce qu’on a fait à la Mairie de Paris, plus glamour. J’ai pensé que plutôt que de les disperser dans une vente aux enchères, il était mieux de tout réunir dans un beau lieu, digne de Dalida. Ainsi y aura-t-il une continuité lorsque je disparaîtrai. Dalida continuera à vivre à Paris où elle fait sa carrière mais aussi par des expositions itinérantes dans le monde entier. Et je suis très heureux et très fier de ce projet. Il y aura d’ailleurs une grande exposition au Musée Galliéra en 2017.
Et le film dont on a tant parlé ?
On en a trop parlé et lorsqu’on en parle trop ça ne se fait pas.
On avait déjà fait un film sur la vie de Dalida à la télévision et ça avait très bien marché.
Pour le cinéma, je n’étais pas content du scénario qu’on m’a proposé, de la façon dont on présentait sa vie, qui ne traduisait pas la réalité. Et je ne veux pas faire quelque chose de médiocre et qui la desserve. Le projet n’est donc pas abandonné mais j’attends un scénario digne d’elle.
Et pendant ce temps ?
Pendant ce temps… je pense à ma carrière de chanteur !
Je plaisante bien sûr mais je ne m’attendais pas à ce que ce disque produise autant d’intérêt de la part du public comme des médias ! Qu’on se souvienne autant du chanteur que j’ai été si peu de temps.
Je m’étais tellement habitué à parler des autres et surtout de Dalida, qu’aujourd’hui ça me fait tout drôle de parler de moi ! Il faut que je me réhabitue.
Mais que tout monde, là encore, se rassure… Ce sera jusqu’à la fin de l’année. Après, je passerai à autre chose !
Propos recueillis par Jacques Brachet