Invitée du festival «Femmes », la réalisatrice Cécile Lateule est venue présenter « Dansons tant qu’on est pas mort »… sans sa « vedette » la romancière Marie-Hélène Lafon à qui elle consacre ce portrait.
Une auteure qui sort des sentiers battus par son langage, autant que son écriture, qui sont d’une force inouïe, dont le vocabulaire est d’une grande richesse, tant elle est passionnée de cette langue française.
Venue d’une famille d’agriculteurs, elle a choisi une autre voie et elle a eu grandement raison et si l’on aime son écriture, on ne peut qu’aimer cette femme passionnée, toujours vêtue de couleurs violentes et dont le verbe est imagé, poétique, le regard qu’elle porte sur les personnes humbles étant empreint d’amour, d’empathie et on l’écoute comme on la lit, superbe, passionnée, flamboyante, obsessionnelle, remontant, comme elle le dit, « le cours des mots comme une rivière dont on ne trouve pas la source »
C’est un vibrant hommage que Cécile Lateule offre à cette femme magnifique ainsi qu’aux spectateurs qui l’ont découverte.
J’ai eu la chance de partager un repas avec la réalisatrice et Mireille Vercellino l’une des responsables du festival, véritable encyclopédie du cinéma, tout aussi passionnée que Cécile et c’était un magnifique moment de les écouter parler cinéma. A tel point que j’en oubliais mon interview !
« Cécile quel a été le déclic pour devenir réalisatrice ?
Parce que je m’ennuyais à la Fac de Toulouse ! Il y avait un département cinéma et je suis allée y faire un stage. Je m’y suis beaucoup amusée. Devenue amie avec le prof qui animait le stage. Il m’a dit qu’il y avait en France trois écoles de cinéma, deux à Paris une à Toulouse et il m’a conseillée de la tenter. Ce que j’ai fait et j’ai été reçue au concours dès la première année. Heureusement d’ailleurs car je pense que je ne l’aurais pas tentée deux fois ! Et Voilà, c’était parti.
Avec déjà l’envie de faire des documentaires et non des films de fiction ?
Au départ je ne savais pas et c’est vraiment la culture et cette école-là qui m’a amenée vers le documentaire. Une école très branchée Eisenstein, le grand documentaire… Pedro Costa aussi qui est plus proche de la fiction que des documentaristes. Mes derniers documentaires « Pense à moi », chronique de la vie quotidienne des migrants et « Femmesfortes tout attaché » sur les femmes victimes de violences, étaient beaucoup joués, contrairement à celui de Marie-Hélène… même si l’on considère qu’elle joue elle-même. Car Marie-Hélène est un pur matériau dramaturgique.
Je n’avais qu’à poser la caméra et je n’avais plus rien à faire !
Ce n’était un peu handicapant, frustrant, pour vous ?
Ce qui est sûr c’est que je n’arrivais pas à l’arrêter mais ça, ce n’est pas grave, j’avais une matière foisonnante et je préfère avoir beaucoup de matière puis tailler à l’intérieur qu’essayer de créer avec peu de matière. Ce n’est pas handicapant, au contraire ! Je ne suis pas journaliste, je suis artiste, je préfère avoir de la matière plutôt que de poser des questions.
Cette matière, vous en avez eu beaucoup… Qu’en faire ?
Je fais toujours des films de cinq, six heures et ça ne me pose aucun problème, même si je dis à mon collaborateur : « Je ne vois pas ce qu’on peut enlever » ! Il me répond que ça ne va pas être possible !
Pourquoi un film sur Marie-Hélène Lafon ? Votre rencontre ?
J’ai lu « Les sources » qui est un livre qui m’a subjuguée. Quelques temps après je la croise dans une librairie de Toulouse sur scène et je l’ai trouvée incroyable. Du coup, je me suis mise à lire tous ses autres livres, j’ai visionné des tas de documents sur Internet. Je la recroise un an après dans la même librairie. Je lui dis que je l’aime et que je veux faire un livre sur elle. Elle qui est si volubile, s’arrête de parler C’est alors moi qui me mets à parler… De quoi ? Je ne m’en souviens plus. Nous mangeons ensemble avec le libraire qui est un ami et à la fin du repas elle me dit : « J’aurai besoin de beaucoup de temps ». J’ai pris ça pour une acceptation et c’était parti !
C’est la première fois que je fais un film sur un artiste, avec un matériau artistique. Ça a été hyper jouissif d’avoir du livre, de la matière, des pages, des mots… Elle parle aussi de musique dans son livre « Chantiers ». Ça m’a permis de faire de la musique off, ce que je ne fais jamais dans mes films parce que je viens d’une école où la musique doit être diégétique. Du coup, je me suis régalée en choisissant les morceaux dont elle parle dans « Chantiers », Bach, Bethoveen. J’aurais bien sûr adoré Mick Jagger, Bashung aussi, mais une minute de ces chansons était trop onéreuse pour mon budget.
Evidemment on vous entend mais aussi on vous voit dans le film, ce qui est assez rare…
Ça s’est fait de façon un peu contrainte car, dès le début, je lui avais expliqué que je ne posais aucune question dans mes films. Je ne suis pas journaliste : « Je filme, vous allez vivre devant ma caméra mais il n’y aura pas d’entretien ».
En fait, elle n’a pas cessé de parler et j’ai dû m’adapter, ce qui n’a pas été facile pour moi. Mais, dans la mesure où elle me parlait, j’ai trouvé plus honnête qu’on voit mon corps, même si on le voit très peu, à petites touches, puisqu’elle m’interpelle tout le temps.
Le but était-il de faire un portrait ou de montrer la genèse d’une œuvre ?
A un moment donné, la question du processus créatif s’est imposée et il a été question de faire un film sur la genèse d’une œuvre d’artistes. Dans une résidence d’artistes au festival de Lussas, « Ardèche Images » où l’on m’a dit qu’on ne connaissait pas de film où l’on voit un écrivain en train de produire de l’écrit car c’est plus dur à filmer que la peinture. On y voit le geste alors que l’écriture, ça se passe plutôt dans la tête. De plus, on ne voit pas son écriture puisqu’elle tape sur l’ordinateur. Et puis j’arrive un jour où elle commence à lire ce qu’elle a écrit, elle corrige et elle parle en écrivant. C’était un moment de grâce. Et puis il y a la relecture avec Agnès, sa lectrice qui qui est une amie prof de lettre avec qui elle a travaillé, et qui a été aussi un magnifique et unique moment.
Vous avez mis combien de temps à faire ce film ?
J’ai commencé les repérages en août 2019, puis il y a eu le Covid. Et on a mis quatre ans pour faire le film. A la première séquence, elle était adossée à la voiture et elle a commencé à parles des vaches. A partir de là, je l’ai laissée parler. En principe, j’ai besoin de temps pour installer mon cadre mais elle ne me laissait jamais le temps d’installer ma caméra lorsqu’elle parlait. Et elle parlait tout le temps ! Par contre, elle m’a fait confiance tout de suite mais ne voulait personne d’autre que moi pour le tournage. J’ai fait au mieux ! » Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Alain Lafon