Karim LEKLOU : Un regard, une humanité


Aymeric (Karim Leklou) est un gars sans problème, solitaire, introverti… Mais gentil.
Il retrouve Florence (Laetitia Dosch) une copine avec qui il a travaillé, qui a été lâchée par son mec qui lui a laissé un souvenir avant de partir : un bébé à naître.
Karim tombera amoureux, prendra la grossesse et l’enfant en charge. En fait, il sera son papa durant sept ans. Le temps que revienne le vrai père et que le drame s’installe.
Le père veut retrouver son fils, la mère alors décide de prendre Aymeric comme parrain avant que tous trois aillent s’installer au Canada laissant Aymeric dans une tristesse profonde.
Jusqu’au jour où…
On n’en dira pas plus sur ce film signé des frères Larrieu « Le roman de Jim ».
Trois beaux acteurs dont Karim Leklou qui crève l’écran avec cet air doux et triste, qui prend tous les coups – et ils seront nombreux – qui encaisse sans broncher.
Quant à Laetitia Dosch, elle est d’une inconséquence et d’un égoïsme crasses au nom de la liberté, ne se rendant pas compte du mal qu’elle fait à cet homme et à ce gosse.
Enfin Florence (Sara Girodeau) qui va être le catalyseur pour qu’Aymeric retrouve un espoir, une vie, vie qui l’a si longtemps malmenée.
Un trio de magnifiques comédiens avec Karim, ce bon toutou qu’on a envie de protéger avec ce regard, malgré un calme et un sourire qui cachent tous les malheurs du monde.
Une fois de plus il nous surprend, il nous séduit, il nous émeut par tant d’amour et d’humanité, comme le grand comédien qu’il est… Et qu’on a plaisir à retrouver après la projection du film au Six N’Etoiles où il nous rejoint.
Si Karim n’est pas une star, il est l’un de nos plus beaux comédiens français, à la filmographie impressionnante, chargé de prix de meilleur comédien et recordman de films présentés à Cannes dans diverses sections, dont ce film des frères Larrieu.

Et ce regard.
Un regard qui ne lâche pas le vôtre, qu’on ne peut pas lâcher non plus tellement il est intense. Et l’homme ne nous déçoit pas, bien au contraire. Il nous séduit par sa gentillesse, sa simplicité et sa façon lucide de voir le cinéma.« Karim, votre personnage est un vrai gentil… Trop gentil ?
Je dirai que c’est quelqu’un de résilient. C’est vrai que c’est un homme gentil mais qui ne s’apitoie pas sur lui-même, quelqu’un qui fait face. Il n’a pas une forme de passivité mais il fait comme il peut, comme d’ailleurs tous les personnages du film. Ce sont des gens qui ne sont pas plus intelligents que l’histoire qu’ils vivent. C’est ce qui m’a touché dans le scénario car il y a une qualité assez rare : c’est un personnage qui n’a pas forcément un changement d’étape psychologique très important mais qui, par sa gentillesse, risque de perdre une part de sa vie. A mon avis c’est très fort. Ce qui m’a plu également c’est qu’à un moment tout peut dérailler.
Le personnage accepte quand même beaucoup de choses sans broncher !
Au départ il tombe amoureux et du coup il reçoit cet enfant qui n’est pas de lui. Ce n’est pas le plus beau jour de sa vie mais il accepte d’en être le père. Il y a plein d’étapes qui font qu’il va aimer ce gosse qui n’est pas au départ programmé dans sa vie. Il fait avec la réalité du moment. Il vivra sept années idylliques dans ce cadre magnifique du Jura.
Le scénario est tiré du livre éponyme de Pierric Bailly…
Oui et ce qu’il y a de formidable c’est que Jean-Marie et Arnaud Larrieu n’ont pas trahi le roman. Mieux : ils ont fait participer Pierric au scénario, ce qui n’est pas une obligation. Mais il y avait une transparence, ils ont fait ensemble les repérages, les gens de Saint-Claude les ont aidés et d’un coup, il y a eu une synergie qui s’est créée.

Aviez-vous lu le roman ?
Non, je l’ai lu après, je ne voulais pas du tout le lire avant, j’avais très peur de trouver d’autres éléments par rapport au scénario pour ne pas me créer un autre imaginaire. Je me suis vraiment basé sur le scénario. Par contre, je me suis très vite trouvé hyper proche de Pierric. C’est un gars très simple, vrai intello mais très accessible, très généreux.
Vous vous êtes trouvés en phase avec lui, avec ce scénario avec les réalisateurs ?
Oui, nous avons beaucoup échangé sur l’écriture du scénario, j’étais très touché par sa vision de ces liens qui se distendent, qui dépassent les liens du sang. Ça a une forte résonnance avec la vie d’aujourd’hui. Je trouvais aussi le portrait de ces deux femmes très moderne, très actuel… On n’est pas dans « L’amour est dans le près » ! Les discussions ont bien fonctionné entre les frères Larrieu, Prerric et moi. D’autant qu’au départ j’étais surpris que les frères Larrieu fassent appel à moi, je ne pensais pas pouvoir entrer dans leur monde qui est loin de moi. Mais dès la première rencontre, je suis tombé sous leur charme,  je les ai adoré par leur humanité, par leur vision mais aussi par leur fantaisie, par leur écoute. Ce sont des réalisateurs qui aiment les gens, qui font attention aux autres.
Comment définiriez-vous le film ?
C’est un film social, c’est un grand mélo, c’est un film romanesque, c’est un film d’amour, c’est aussi peut-être un film politique car ça parle de ces liens qui se tissent sans qu’au départ ce soient des liens familiaux. C’est un film de la France d’aujourd’hui que je suis très heureux de défendre car je crois que je n’avais jamais défendu cette notion de gentillesse et de douceur dans un film qu’au départ je ne me sentais pas légitime d’être.
Je dois vous avouer que, même dans d’autres films, j’ai toujours été subjugué par votre regard dans lequel, sans rien dire, vous faites passer tellement de choses !
Merci maman ! Merci à vous aussi car ce que vous dites me touche. Mais je crois que c’est aussi un travail de tout le monde.

Vous parlez toujours des autres, pas de vous !
Oui mais le regard ça dépend aussi du chef opérateur, de la façon qu’il a lui-même de vous regarder. Comment il vous filme et ce qu’il perçoit de vous. Il y a aussi l’importance des silences, des regards. Personne n’a rien inventé depuis Chaplin ! Il y avait toute l’universalité que je retrouve dans ce film. C’est un film qui ne va pas dans l’artifice.
Alors parlons de vos deux partenaires féminines.
Laetitia est une actrice sensationnelle qui m’a impressionné par sa capacité totale à plonger dans les scènes. Elle a un rôle difficile et arrive à l’humaniser… Je l’aime et la respecte profondément. Elle a une force dingue de travail et de proposition qui l’amène dans un ailleurs de sincérité, de vérité, de liberté, de courage, d’humanité.
Sara, c’est magique. On a l’impression d’une grande facilité. Elle raconte beaucoup de choses dans les regards, dans l’énergie qu’elle met dans son personnage qui fait du bien au film. Dans le film, c’est un soleil qui emporte tout.
J’ai pris un grand plaisir à jouer avec ces deux actrices.
Ce film a-t-il changé quelque chose en vous ?
C’est un film qui m’a touché, qui m’a de plus en plus donné envie d’explorer des fonds universels, de continuer d’aller vers des films très différents, comme je l’ai fait souvent. Des films qui permettent de voyager à l’intérieur de vous-mêmes, de vous interroger sur vous. Ça me rend encore plus curieux de travailler avec des gens différents, d’oser encore plus d’être qui on est. Et c’est un métier qui demande d’être humble, de s’intéresser aux autres. Ce film m’a conforté dans une certaine idée de l’humanité.

Pascale Parodi, présidente de « Lumières du Sud », Patrick Perez adjoint, Karim Leklou,
Thierry Mas Saint-Guiral, Noémie Dumas et Jérôme Quattieri, codirecteurs du Six N’Etoiles

Parlons du festival de Cannes. Vous êtes un recordman des films présentés, toutes catégories, jusqu’à celui-ci qui était en projection officielle…
J’étais très heureux que ce film se retrouve là-bas, comme chaque fois que je viens y défendre un film. Ce sont toujours de belles naissances d’un film, une place privilégiée Pour celui-ci, surtout lorsque c’est un film d’auteur ou d’art et essai. Je suis toujours très heureux pour les comédiens, pour l’équipe avec qui j’ai partagé un certain temps. C’est pour ça que j’aime Cannes, c’est une chance d’exister pour les films. Cannes ce n’est pas moi mais les films qui m’ont permis d’y aller et de les défendre. C’est le film qui vous amène à Cannes, par les comédiens. On porte un film en commun et on essaie de les faire vivre. Je suis heureux de les présenter avec toute l’équipe ».

Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Alain Lafon