Notes de lectures

VARDA par Agnès (Ed de la Martinière – 2 tomes)
C’est un énorme pavé en deux tomes, qui regroupe tous les écrits d’Agnès Varda, décédée en 2019, personnalité hors norme du cinéma, à la fois écrivaine, scénariste, réalisatrice, monteuse, photographe… Cette femme à la coiffure de playmobil avait tous les talents et son œuvre posthume nous raconte sa vie, sa carrière, d’une richesse incroyable. Une vie qu’elle a partagé avec le réalisateur Jacques Demy car, s’ils ont des carrières diamétralement opposées, le couple a été fusionnel jusqu’au bout et elle l’admirait tant !
Plus de mille archives et documents issus pour la plupart de sa société de production Ciné-Tamaris qui regroupe sa vie, son œuvre, de son premier film qui date de 1954 « La pointe courte » avec Philippe Noiret et Sylvia Monfort à « Varda par Agnès » son dernier documentaire en 2019.
De films de fictions en documentaires en passant par des expos photo, sa vie et sa carrière sont d’une richesse incroyable.
On se souvient de « Cléo de cinq à sept », « Le bonheur », « Les créatures », « L’une chante, l’autre pas », « Sans toit ni loi » ou encore de ses documentaires « Daguerréotypes », « Jacquot de Nantes » hommage à son mari, « Jane B par Agnès V » portrait de Jane Birkin… Difficile de tout citer, ce qu’elle fait par contre dans ces albums-testaments où elle conte et raconte, dissèque, critique, une œuvre qui marque son talent, son style, son époque
Elle nous offre également un abécédaire qui va d’Agnès à Demy évidemment, de Deneuve à Bertolucci, de Calder à Fellini,  sans oublier Gérard Philippe dont elle a fait cet admirable portrait du « Prince de Hambourg » qui fut un temps l’affiche du festival de Ramatuelle.
Le livre démarre sur des synonymes d’introduction, passant de préambule à prologue en passant par bande-annonce, avant-propos, préface, poème, avertissement et même… prolégomène !
C’est une lecture passionnante, qu’on ne peut lire en une soirée tant la source d’informations est énorme… et pesante !!!
Mais c’est tout un pan de l’histoire du cinéma Français qu’elle nous raconte avec talent, humour et émotion.

Albert DUCLAZ : Les toiles de la discorde (Ed de Borée -260 pages)
L’histoire se situe dans la campagne en Haute Loire au cours de l’année 1954.
François, jeune lycéen de 19 ans, aux résultats scolaires très moyens est par contre doué pour le dessin. Son professeur parvient à convaincre les parents qui l’inscrivent à l’école d’art du Puy en Velay.  Peu après François facilite l’admission dans la même école d’Emelyne sa voisine et amie d’enfance qui partage la même passion.
Le jeune homme tombe fou amoureux d’Emelyne 17 ans.
Tout se passe bien jusqu’au moment où François prend la décision audacieuse pour l’époque, de peindre nue, sa belle avec son accord. A la découverte du tableau, les parents en colère le détruisent et leur demandent de ne plus poursuivre cet enseignement.
Les deux jeunes gens se réfugient auprès de leur professeur et de son épouse Clara, pour peindre dans le secret.
François, en présence d’Emelyne et de son professeur, peint Clara, nue à sa demande et en accord avec tout l’ensemble du groupe.
Amour, jalousie,…et art se mêlent …..dans ce roman.
Roman divertissant à l’écriture simple et fluide. Les situations ne sont pas toujours crédibles. François réussit tout ce qu’il entreprend.
L’auteur s’attache à nous montrer de très beaux paysages et mêle dans ce roman la description des premiers émois d’un jeune couple en 1954 à travers l’art .
Laurent MALOT : Monsieur Antoine ( XO Editions – 269 pages)
Monsieur Antoine, qui a 70 ans, achète une maison où il veut passer sa retraite. Il vend son imprimerie à Orsay, près de Paris et s’installe à St Ambroise, petit village dans le Jura.
Il y a beaucoup de personnes âgées dans cette campagne, qui veulent toutes s’en aller car il n’y a plus rien ; reste seulement  la brasserie de Suzy qui apporte encore un peu de vie.
Antoine va rencontrer des gens de son âge, aider les uns et les autres qui, d’ailleurs le lui rendent bien ! On se rend compte que monsieur Antoine a aussi des soucis, il cache des douleurs que le lecteur va deviner peu à peu. Dans ce petit bourg,  Il n’y a qu’une personne qui soit jeune, une jeune fille, incomprise de ses parents et que monsieur Antoine va aider énergiquement.
C’est une très jolie histoire qui nous parle  de regrets, d’amitiés, d’espérance et du temps qui passe très vite. Il n’est jamais trop tard pour l’amour et l’amitié.
Le style est simple, direct, Un très bon et agréable moment de lecture.

Elisa SHUA DUSAPIN : Le vieil incendie (Ed Zoé – 140 pages)
Née en 1992 en Dordogne d’un père français et d’une mère sur coréenne, l’auteure dédie ce troisième roman à ses sœurs. Très certainement parce qu’elle y imagine les relations de deux sœurs Agathe et Véra. Un soir de novembre, sous une pluie battante, Agathe arrive des États-
Unis où elle travaille comme scénariste et se rend prés de Norton dans le Périgord vert. C’est là que se trouve la maison de son enfance, toujours occupée par sa jeune sœur Véra, qui y réside seule depuis que leur père est décédé cinq ans plus tôt.
Elles ont quelques jours pour vider la maison avant qu’elle ne soit rasée et que les pierres restantes servent à reconstruire le pigeonnier du château voisin détruit par un incendie.
Les deux sœurs ne se sont pas vues depuis quinze ans car quoique Agathe ait promis à Véra, qui est aphasique depuis qu’elle a six ans, de toujours veiller sur elle, elle est partie aux États-Unis pour fuir cette charge qu’elle ne supportait plus alors que leur mère avait quitté le domicile conjugal et que le père élevait seul ses deux filles.
L’auteure relate avec une écriture fine et fluide les étranges relations entre ces deux jeunes femmes et le difficile chemin que chacune suit pour vivre avec les blessures de leur enfance et de leur séparation.
Un court roman plein de délicatesse.
Stefano MASSINI : Manhattan Project ( Ed du Globe – 348 pages) traduit de l’italien par Nathalie Bauer
« Manhattan project », un titre qui implique aussitôt dans l’imaginaire du lecteur la première bombe atomique et le lecteur aura raison, c’est bien le sujet traité par ce génial écrivain Stefano Massini, mais de quelle manière !
Il commence par présenter le quatuor de savants hongrois ayant fui leur pays dès l’arrivée du nazisme. Ils ont trouvé refuge aux États-Unis et vont en effet avec Oppenheimer trouver et réaliser ce fameux Manhattan Project, la bombe atomique.
Et pour cela, il aura fallu la participation de Leo Szilard, l’homme qui n’a jamais ouvert sa valise, qui ôte ses lunettes, en nettoie les verres, sa façon de gagner du temps depuis toujours. Jeno Wigner, autre physicien, qui possédait le don du calme intérieur appris au sanatorium à onze ans. Paul Erdos, vraiment insupportable et le molosse Ed Teller, juif en fuite, hongrois également, spécialiste « du dedans du dedans de dedans », jusqu’à l’arrivée d’Oppenheimer qui résoudra le grand problème des effets de la réaction nucléaire.
Formidable, joyeuse, gargantuesque fresque de ces savants hongrois ayant fui leur pays et permis aux États-Unis d’offrir la bonne formule de ce Manhattan Project à la barbe des allemands.
Sur un mode joyeux, musical, dansant, rythmé, l’auteur offre une lecture très réjouissante en vers libres sur un sujet tellement grave.


Franck MEDIONI : Michel Petrucciani, le pianiste pressé (Ed l’Archipel – 407 pages)
Le pianiste de jazz Michel Petrucciani fut une étoile brillante et malheureusement filante.
Né à Orange en 1962 et décédé à New York en 1999, il savait ses jours comptés car il était atteint de la maladie des os de verre qui empêcha sa croissance. Il mesurait 99 cm et il arrivait qu’il se casse un doigt en jouant.
Voici une biographie hagiographique, assez bavarde, mais qui ne cache pas le côté sombre du personnage. Tout est passé en revue, les débuts à la batterie, puis les huit ans d’études du piano, la formation très dure mais efficace par le père, guitariste, des trois frères, Michel, pianiste, Louis (contrebasse) et Stéphane (guitare). Sans oublier le rôle consolateur et apaisant d’Anne, la mère.
La venue dans le Var, l’école de musique d’Yvan Belmondo à Solliès-Pont, la rencontre à Big Sur avec Charles Lloyd, le succès, l’installation aux USA, les grands concerts, les enregistrements, etc. Toute la carrière musicale défile, sans oublier la vie privée, ses épouses, ses deux garçons.
L’auteur se perd quand même dans trop de détails, à chaque musicien ou personnage cité on a droit à une notice, si bien qu’on perd de vue le pianiste. Mais enfin l’essentiel, et même plus, de la vie de musicien de Michel Petrucciani, se trouve dans les 407 pages de cette biographie.
Vincent DELECROIX : Naufrage (Ed Gallimard – 136 pages)
Une femme raconte, ou plutôt se remémore le déroulement des faits.
Que s’est-il vraiment passé lors de sa nuit de garde, durant le sauvetage en mer de cette embarcation contenant vingt-sept personnes dont une petite fille ? La mer est cruelle pour les migrants qui affrontent la traversée d’une mer qu’ils ne connaissent pas, à bord de ce qu’un passeur a pu leur fournir, et ce soir-là, le vent ne cesse de pousser cette embarcation des eaux françaises aux eaux anglaises et les secours doivent venir du pays responsable.
Ce soir fatidique, les secours tardent et le « please » du migrant à la dérive résonne dans la tête de cette femme. Interrogée par la gendarmerie maritime de Cherbourg, elle répondra aux questions et pendant toutes ces interrogations de plus en plus agressives elle se rebellera contre ces migrants qui arrivent en masse. Pourquoi ne restent-ils pas dans leur pays ? Pourquoi les millions distribués ne leur suffisent-ils pas ? Que viennent-ils faire ici quand le travail manque aussi dans notre pays ?
C’est un long et poignant témoignage d’une femme embarquée malgré elle dans ce complexe traitement des migrants. Oui, elle aurait pu, dû sauver ces gens mais c’était aux anglais de le faire n’est-ce pas ?
Un court roman qui plonge le lecteur dans la réalité et l’impossibilité de répondre honnêtement aux problèmes qu’occasionnent ces milliers de migrants, des hommes, des femmes, des enfants parfois même des nouveau-nés qui ont quitté leurs terres, personne ne les a invités mais ils sont là.
Toutes les questions sont posées dans ce court roman extrêmement poignant de Vincent Delecroix, un roman à faire lire ceux qui refusent de voir une réalité qui dérange.
Comment parler de responsabilité quand le problème vous dépasse ?
C’est le cas de cette opératrice désespérée mais aussi très en colère.
Un très beau  livre.