16ème festival de la Rochelle
La fiction française en question

1

La fiction française est-elle en danger ?
C’est la question qui était sur toutes les lèvres au seizième festival de la fiction Télé de la Rochelle et, pour plusieurs raisons, la première étant l’arrivée, depuis le 15 septembre de Netflix qui déboule en France comme un danger imminent.
Alors, si danger il y a, quel est-il ?
Nous allons essayer de comprendre qui est Netflix et quelle offre cette plate forme qui nous arrive des États-Unis.
Mais si l’on parle tant de la fiction française ce n’est pas seulement à cause de l’arrivée de ce monstre audiovisuel car il faut se rendre à l’évidence : depuis quelques années, celle-ci s’essouffle un peu et l’on a pu s’en rendre compte depuis deux ans à la Rochelle où de plus en plus de place est donnée à la fiction européenne, avec des films de grande qualité, qui, peu à peu, prennent leur place. Sans parler de l’Amérique, des pays comme l’Allemagne ou même la Turquie qui est en train de prendre la première place en Europe,  qui s’exportent de plus en plus.
Pourquoi la France est-elle à la traîne ? D’abord et peut-être parce qu’elle manque de variété. Beaucoup d’unitaires ou de séries tournent autour du polar, du thriller, du drame. Peu de comédies sauf dans les mini-séries qui elles, cartonnent aujourd’hui, beaucoup d’ailleurs auprès des jeunes. Plus de grandes épopées comme on a pu les voir il fut un temps avec « Dolmen », « Terre Indigo », « Les dames de la Côte », « Le grand Batre », « Ardéchois cœur fidèle »…
Plus de grandes séries estivales qui avaient tant de succès et qui, aujourd’hui, n’existent plus.
Et pourtant, on l’a vu il y a peu sur France 3, une série comme « Jusqu’au dernier » avec Brigitte Fossey, Valérie Karsenty et Marie-Christine Barrault, qui aurait pu faire l’objet d’une saga de l’été alors qu’on a eu droit à six épisodes en deux soirées, ce qui est à mon avis une erreur de programmation. D’abord parce que, trois épisodes en une soirée, c’est trop long et oblige certaines personnes à se coucher tard ou à rater un épisode et puis, parce que tenir le spectateur en haleine durant six semaines aurait été plus excitant.
Par ailleurs, on a pu le voir à la Rochelle, l’on a eu de grands moments de télévision comme « Rouge sang », « Ceux qui dansent sur la tête », «  »Où es-tu maintenant ? », « Disparus », « Au nom des fils », « Un fils », « La douce empoisonneuse », « Chef », « Danbé la tête haute », « Des roses en hiver », ce qui nous rassure quand même sur l’avenir de la fiction française.
Reste qu’elle a du mal à s’exporter. Et c’est aujourd’hui l’un des grands problèmes car ce manque d’intérêt devient un manque financier.
Toutes ces questions, nous les avons posées aux intéressés, jusqu’à Fleur Pélerin, nouvelle ministre de la Culture dont la Rochelle était sa première grande sortie officielle.

 2

Quentin RASPAIL : « Un producteur doit savoir s’adapter »
Créateur et président du festival, Quentin Raspail, qui est aussi producteur, est l’un des mieux placés pour parler de la fiction TV française.

Quentin, donne-nous son état de santé.
Malgré tout ce qu’on peut entendre, je le trouve plutôt bon… il faut simplement rester sur le qui-vive.
Mais il faut constater qu’elle manque un peu de diversité, cette année par rapport aux autres années : moins de mini-séries, de fictions jeunesse, de comédies (sauf dans les programmes courts), de films dits « politiques » sans parler de films en costumes. Mais elle arrive quand même à résister à la vague américaine qui elle, est en train de se stabiliser. Il y a quand même eu un grand bond qualitatif et elle recommence à bien fonctionner.

Tout cela est dû à quoi ?
A la frilosité, à un manque de confiance des producteurs et des chaînes, je pense, mais ça commence à s’ouvrir de nouveau. Quand le succès est au rendez-vous, ça donne envie de prendre des risques. L’essentiel pour un producteur, serait d’avoir un parti-pris fort, une vision particulière, originale et locale.

La concurrence avec Internet, l’arrivée de Netflix, vont-elles poser des problèmes ?
C’est quelque chose qui est en train de voir le jour et qui commence à inquiéter certains, c’est vrai mais il faut prendre un certain recul avec cet effet d’annonce car pour l’instant, la production de Netflix n’est pas significative. Il faut la remettre à son niveau qui est de 0,2 à 0,3%. Je ne pense pas qu’aujourd’hui ça inquiète beaucoup les producteurs qui, de toutes manières seront bien obligés d’entrer da la brèche en temps utile.
On va vers une diffusion sans frontières mais il n’est pas question que les producteurs soient déstabilisés par les nouveaux entrants que, par ailleurs, nous sommes heureux de recevoir à la Rochelle.

Tu ouvres de plus en plus le festival à la fiction européenne…
Oui car il y a beaucoup de choses qui se font dans des pays comme l’Allemagne, l’Angleterre et même la Turquie par exemple. Il y a beaucoup d’unitaires de 90′ fort intéressants et j’ai toujours milité pour la diversité, tant dans tous les pays européens que sur toutes les chaînes, dans tous les genres, les formats. Ici, il n’y a pas de concurrence mais des rencontres tous horizons.

Tu restes donc un producteur heureux ?
Bien sûr puisque je pratique un métier de passion mais aussi d’adaptation, d’acuité et qu’il est amusant pour moi de passer d’un genre, d’un format à l’autre. C’est la diversité qui est intéressante. Un producteur, tout comme un réalisateur, doit savoir s’adapter.
C’est ce qui se passe en ce moment.

NETFLIX… Qu’est-ce que c’est ?
Ce mot qui fait en ce moment trembler une partie de la profession, tant au cinéma qu’à la télévision, est une plate-forme qui nous vient des Etats-Unis et s’est installée le 15 septembre en France.
C’est un service qui propose des programmes vidéos à la demande, moyennant une adhésion, que l’on peut regarder sur tous les supports : écrans télé, ordinateurs, tablettes et consoles de jeu, smart phones… Il y a plusieurs abonnements au choix.
Netflix est déjà installé dans nombre de pays d’Europe regroupant quelque 14 millions d’abonnés, les Etats-Unis ayant dépassé le nombre de 35.000.
L’intérêt est qu’elle offre un éventail formidables sur un moteur de recherches efficace, allant du documentaire à la fictions, qu’elle soit télévisée ou cinématographique, d’un nombre de programmes divers et variés dans toutes les langues, dont nombre de programmes pour la jeunesse et Disney et Dreamwork y figurent en bonne place.
Le problème est que Netflix s’est installé dans des pays qui offrent des avantages fiscaux par rapport aux chaînes françaises, comme l’Amérique du Sud ou les pays nordiques, ce qui est un manque à gagner pour les producteurs français, surtout qu’aujourd’hui Netflix commence à produire des films avec des facilités financières que n’ont pas les Français.
D’où cette levée de bouclier, ces incertitudes, ces peurs du loup qui planent aujourd’hui sur le monde audiovisuel.

 3

Thomas ANARGYROS, président de l’USPA
L’USPAS est l’Union Syndicale de la Production Audiovisuelle et son président a bien voulu nous parler de la fiction française à l’heure de l’arrivée de Netflix.

« On sent bien, au travers de Netflix, qu’une transformation profonde est en train de s’opérer dans le domaine de l’audiovisuel. C’est une nouvelle forme de télévision qui est entrain de naître ».

Pouvez-vous nous donner quelques chiffres concernant la fiction ?
La fiction est le genre essentiel pour la télévision. Depuis deux ans, on voit s’ébaucher un retour de celle-ci en terme d’audience en France. Il nous faut donc reconquérir le prime time.
Il y a eu en 2013, 851 soirées de fiction sur les chaînes historiques à raison de 37% de françaises et 63% d’étrangères. TF1 est le premier diffuseur avec malgré tout 56% des soirées US. France 2 a baissé de 15%. Quant à M6, elle est à 91% de soirées US pour 5% de françaises. Il faut donc rattraper le volume.
En 2014, il y aura 782 heures de fiction et notre objectif est d’arriver au moins à 1000 quand on sait qu’elle est de 2000 pour l’Allemagne !
Par contre, il y a une montée en puissance de la série courte et le format de 52′ a aujourd’hui dépassé celui de 90′.

Que faire donc, pour être capable de retrouver une croissance avec les diffuseurs ou ne pas la perdre ?
L’investissement des chaînes a évolué de 48%. Cela représente 500 millions d’Euros par an. TF1 reste la place forte en matière de financement avec 52% pour France Télévision, 29% pour TF1, 8% pour Canal +.
Il faut maintenant s’ouvrir vers l’extérieur car nos fictions françaises se vendent mal à l’étranger même si cela est passé de 14% à 20% entre 2012 et 2014.
Le problème est que nous sommes bloqués sur un certain type de fiction française. il faut donc trouver un moyen de faire de bons films, de bonnes séries qui puissent s’exporter car pour l’instant, nous sommes bloqués sur les formats et sur les horaires. L’Allemagne produit le double de fictions que la France, avec différents horaires, différents formats et ça marche. Nous avons de bons produits en France comme « Candice », « Profilage » et quelques autres qui font des succès en France mais il faut aller plus loin pour récupérer un public plus large, plus jeune qui aille moins sur Internet. Si on réussit, on répondra au problème du financement car, si on arrive à exporter, il y aura des recettes à partager.
Il faut aussi avoir l’opportunité d’ouvrir la fenêtre en diffusant et vendant sur Internet. D’où l’intérêt de travailler avec Netflix.

Justement, parlons-en…
Pour le moment, Netflix est une bonne chose puisqu’ils proposent des oeuvres qui ont plus de trois ans, qui ont donc une deuxième vie et les relancent, ce qui permet de faire entrer des royalties.
Aux États-Unis, Netflix a près de 40.000 abonnés et ce n’est pas pour cela  que la télévision a été mise en danger. Remettons donc les choses à leur place  : pour le moment, ce sont des loueurs de DVD qui produisent peu. Ils sont loin de concurrencer les grandes chaînes, ils sont plutôt un complément, des diffuseurs de catalogues et toutes les chaînes ont un catalogue.
Le principal est que tout soit régi par les mêmes règles.
Si Netflix s’intéresse à ce qu’on fait, il viendra lui-même vers nous en tant que co-producteur. Il ne faut rien négliger car ça peut aller très vite. Quiconque aujourd’hui a envie de travailler avec Netflix peut prendre contact et proposer ses catalogues.
Il faut aussi leur expliquer les avantages qu’ils peuvent avoir financièrement nulle part ailleurs que chez nous. Disney l’a compris depuis longtemps.

4 5

Véronique CAYLA – Présidente d’Arte
Notre bilan fiction est très satisfaisant.
Nous jouons sur deux langues et sur deux pays, l’Allemagne et la France, mais aussi sur l’Europe.
Nous produisons, diffusons et nous investissons de plus en plus sur tous les genres, tous les formats et sommes autant intéressés par les polars que les comédies d’auteurs et nos fictions passent à toutes les heures de la journée.
En premier lieu, c’est le contenu qui nous importe. Pour cela, nous travaillons en étroite collaboration avec les auteurs quels qu’ils soient et quesl que soient les formatages.
Arte est au cœur du monde contemporain et regarde vers l’avenir avec un regard commun.
Nous devons aujourd’hui trouver une nouvelle régulation européenne vers et avec le monde numérique.

Thomas VALENTIN – Vice-président du directoire M6
Nous développons depuis des années un savoir-faire autour de la comédie et des histoires courtes. Nous avons développé nos audiences de vingt heures et nous avons trouvé un modèle économique plus favorable sur ces fictions de comédies courtes car, comme partout, le financement du secteur est en baisse.
Il y a à ce jour 25 chaînes gratuites et du coup, évidemment, nous avons moins d’argent.
Aujourd’hui, les diffuseurs ne peuvent par amortir leurs oeuvres. Il faut donc impérativement que ceux-ci se rapprochent des producteurs afin d’avoir des intérêts financiers communs.

6 7

Rémy FLIMLIN – PDG de France-Télévision
Cette année nous avons remporté un franc succès avec nos fictions. Nous avons fait la meilleure saison depuis six ans et nous sommes même arrivés à battre les fictions américaines, ce qui est très encourageant.
Le travail s’est surtout fait sur l’écriture, en collaboration étroite avec les auteurs et les producteurs. Nous faisons actuellement un énorme travail sur le développement, ce qui est important, essentiel, fondamental. Nous devons trouver une maturité pour les fictions longues et fidéliser le public, ce qui est en train de se faire.
En tant que production, de 200 millions d’Euros en 2012, nous sommes passés à 250 millions.
Aujourd’hui, nous devons faire vivre ces fictions au-delà de la France et pour cela nous devons réaliser des fictions qui soient originales, attractives pour la France tout autant que pour l’étranger. Nous devons donc faire des oeuvres valorisantes et nous travaillons en ce sens.
Notre but est aussi de partager un lien social avec le public et à ce titre, le succès de « Plus belle la vie » qui fête ses dix ans, est exemplaire. C’est une démonstration du rôle que nous entendons jouer dans ce pays : un vrai moment de partage.
L’arrivée de Netflix va proposer une autre façon, plus individuelle, de regarder la télévision et alors qu’elle a l’intention de créer une série sur Marseille, ce doit pour nous être un challenge et nous donner l’envie d’être à la hauteur des attentes des téléspectateurs afin de garder ce lien social, ce moment de partage.

Nonce PAOLINI –  PDG deTF1
Aujourd’hui, pour notre part, nous avons de moins en moins de soucis de création et il n’est pas la peine de singer les Américains.
Nous avons varié les formats avec succès, nos polars ont beaucoup évolué et sont moins formatés, plus atypiques.
Le problème reste l’exportation : nous avons 1 milliard d’Euros pour la production française et seulement 26 millions à l’exportation.
Je reste confiant sur le succès futur puisque aujourd’hui, la fiction française est en train de prendre du terrain sur nos concurrents américains.
Nous avons trouvé des producteurs, des scénaristes, des comédiens qui s’ouvrent sur un large public et avec qui nous travaillons en étroite collaboration au renouvellement du genre et grâce à cela nous avons eu de gros succès avec des genres très différents : « Clem », « No limit », « Profilage », « Falco », sans compter les succès de séries comme « Joséphine », « Camping Paradis », « Section de recherches », « Alice Nevers »…
Nous avons aussi des téléfilms à la distribution prestigieuse et les séries courtes comme « Nos chers voisins » ou « Pep’s » qui font des records d’audience.
Aujourd’hui sur TF1, nous avons 150 heures d’inédits par an. Le problème est aussi qu’aujourd’hui le marché publicitaire est en baisse et avec 460 millions d’Euros, le bilan reste négatif car chaque soirée de fiction se traduit par une perte financière et les nouveaux entrants ne contribuent pas à ce financement. Il fut don que tous, auteurs, producteurs, diffuseurs travaillent la main dans la main afin de renverser cet état de choses.

8

Fleur PELERIN – Ministre de la Culture
Sa première sortie officielle a été pour sa visite – en coup de vent – au festival de la Rochelle où elle a écouté attentivement tous ces PDG réunis. mais hélas, le temps était limité, elle n’a pas pu vraiment leur répondre, d’autant qu’elle avait préparé un discours duquel elle n’a pas dérogé et qu’elle nous a assenés à une vitesse incroyable… Difficile alors de pouvoir prendre note tout ce qu’elle a dit. En voici la synthèse.
« Aujourd’hui, le monde audiovisuel est en train de changer, Internet est là et notre but est de préserver notre exception culturelle. Mon souhait est de pouvoir dépasser tous les antagonismes, toutes les oppositions afin de trouver des solution ensemble. Ce n’est qu’ensemble que nous gagnerons.
Tout doit donc être repensé et j’ai la conviction que nous avons une carte majeure à jouer car il existe une « French Touch » que nous devons mettre en avant par des innovations, de l’esthétisme, de nouvelles pratiques culturelles ouvertes à tous les publics.
Notre excellence artistique est reconnue puisque des films comme « Braco », « Les revenants » ont été nommés aux Awards. Donc elle doit pouvoir s’exporter.
Notre production nationale est dépassée par la production internationale, il faut donc revoir tout ça en misant sur des productions diversifiées et y associer les diffuseurs..
Nous devons considérer les nouveaux acteurs comme une chance en ayant de la créativité, de l’originalité, de l’audace, en renforçant l’écriture. Il faut relever le défi de la mondialisation et surtout – et c’est un de mes grands combats – imposer un traitement fiscal dans l’union européenne, une réglementation, une régularisation, une amélioration de la transparence afin d’avoir des intérêts communs. J’ai demandé au CNC et au CSA de se joindre à mon ministère pour jouer ce rôle.
Je veux faire de notre pays un champion de la création ».

Un reportage de Jacques Brachet