Fabienne Thibeault, malgré sa belle carrière franco-québécoise, reste et restera pour toujours la première serveuse automate travaillant à l’Underground Café de « Starmania ».
Et elle reste, depuis ce temps, mon amie, rencontrée juste après le succès de ce rock opéra qui a fait changer les mentalités du show biz français qui pensait qu’en France une comédie musicale ne marcherait jamais.
Ma rencontre avec Fabienne, donc, remonte quelques mois après « Starmania » alors qu’elle venait chanter à Chateauvallon.
Timide alors, derrière ses lunettes de vue et le visage mangé par de longs cheveux, tout de suite ça a collé entre nous et de ce jour, nous nous sommes souvent vus ou appelés, du Midem, ou elle présentait les contes musicaux « Martin de Touraine » écrits avec Jean-Pierre Debarbat, son compagnon d’alors, aux tournées « Age tendre », où elle rencontra son mari Christian Montagnac, alors régisseur de la Cie Créole, en passant par le théâtre, où elle vint jouer à Sanary « Tout feu, tout femme » avec Pascale Petit et Claudine Coster, l’invitant sur « Stars en cuisine » la manifestation créée à St Raphaël par l’ami Gui Gedda, pour justement cuisiner avec moi, ce qu’elle ne fit pas car elle trouva plus sympa d’aller chanter avec Stone ou encore Julie Piétri que j’avais aussi invitées ! Elle y mit une ambiance de folie.
Je la retrouvai chez moi, à Vals les Bains, en Ardèche, où elle était invitée dans le jury de « Super Mamie » avec d’autres amis comme Alain Turban, Zize, Gilles Dreu…
Bref, avec Fabienne, c’est une longue amitié pleine de rires et d’un grain de folie car la timide Marie-Jeanne a depuis longtemps changé de look et de caractère !
« Starmania » a déjà près de 40 ans et reste une œuvre unique traduite et jouée dans le monde entier Et il y a eu pléthore de Marie-Jeanne. Mais Fabienne reste la première.
Et aujourd’hui elle nous raconte « son Starmania » (Ed Pigmalion) plein d’anecdotes, de souvenirs et nous replonge dans le monde de Monopolis avec délectation.
« Fabienne, qu’est-ce qui t’a donné l’envie d’écrire ce livre ?
Il y a eu beaucoup de livres parus sur « Starmania » mais la plupart, écrits par des journalistes qui parlaient de notre aventure de l’extérieur, avec quelques interviews. Mais personne ne l’a écrite de l’intérieur, personne n’a vécu ce que nous avons vécu de l’intérieur, l’envers du décor, nos rapports entre artistes, danseurs, techniciens, toutes les anecdotes, les problèmes, les joies que nous avons vécus « Les uns avec les autres » !
Aujourd’hui, alors que nombre d’entre nous ont quittés, que d’autres, comme Diane Dufresne ou Nanette Workman sont reparties au Québec, j’ai eu envie de retrouver quelques compagnons et évoquer notre vie durant ces semaines qui n’ont pas toujours été faciles mais que nous avons vécu intensément. J’ai voulu témoigner.
L’aventure, je pense, a été exceptionnelle ?
Evidemment, d’autant que, pour moi, tout a démarré avec « Starmania », grâce à Michel Berger et Luc Plamondon. Nous avons vécu une aventure unique où se mêlaient Français, Québécois, Américains. Nous nous côtoyons sans toujours parler la langue de l’autre. Nous avons vécu des moments de joie, de stress, de doutes, de colères, de fous-rires dans une ambiance souvent électrique car nous n’avions alors pas la technologie d’aujourd’hui, certaines choses étaient compliquées. Le système débrouille était journalier, par moments on ne savait pas où on allait ni si l’on pourrait aller jusqu’au bout.
Donc ce rôle de Marie-Jeanne a été important pour toi !
Je lui dois tout. Rends-toi compte que je chantais quatre chans qui sont devenus des tubes et que l’on chante encore aujourd’hui : « Le monde est stone, « « Les uns contre les autres », « La complainte de la serveuse automate », « Un garçon pas comme les autres (Ziggy)
Dans ton livre, il y a un flou avec ta rencontre avec Luc…
On est d’accord sur la première rencontre : elle a eu lieu à Montréal lors du festival « chantAoût » en 75. Luc était là et est venu me voir avec Gilles Talbot qui allait être le producteur de « Starmania ». Et alors je suis sûre qu’il m’a proposé d’être de l’aventure alors que lui affirme qu’il n’était pas encore sur le projet. Cela me paraît illogique car en 77 « Starmania était prêt ». Ça n’aurait pas pu se faire si vite s’il n’en avait pas déjà été question !
Par contre avec Michel, pas de flou !
Michel est venu à Montréal en plein hiver, nous nous sommes retrouvés chez Luc et il m’a joué au piano « Le monde est stone ». Je l’ai écoutée deux ou trois fois, je l’ai chantée et tout de suite il a dit que ça allait.
Comment cela s’est passé avec les deux acolytes ?
Sans problème. Quoique stressé, Luc était toujours charmant, nous sommes devenus très proches. D’ailleurs, après « Starmania », il m’a écrit d’autres chansons dont « Ma mère chantait » qui a été un gros succès au Québec. Michel, lui, était un garçon très organisé, toujours dans sa bulle, partout à la fois mais très agréable et pudique. Il était tout autant compétant musicalement et en tant qu’organisateur.
Et avec France Gall ?
Elle était très particulière, très dirigiste avec tout le monde, remettait tout en question on l’appelait « Le petit caporal »
Tu dis dans ton livre ne pas avoir pleuré lorsqu’elle a disparu…
On perdait une belle chanteuse, ses fans étaient éplorés mais ce n’était pas une amie proche, nous n’avons pas eu vraiment d’atomes crochus. Elle pouvait être drôle et charmante mais elle était imprévisible et voulait s’occuper de tout. Mais tu sais, dans une telle aventure, on ne peut pas être proche de tout le monde même si l’on s’entendait bien.
A part toi qui a été tout de suite Marie-Jeanne, on a cherché des artistes entre autres pour Stella Spotlight et pour Cristal.
Pour Stella, il a été question d’Anna Prucnal mais on lui a trouvé un accent trop polonais. Puis il y a eu Armande Altaï mais elle avait une personnalité trop marquée. Et pourtant elle était surprenante dans « Les adieux d’un sex-symbol ». Pour Cristal, on a pensé à Sabrina Lory mais sa maison de disques a refusé car elle venait de faire un tube et son producteur a voulu continuer sur ce succès Puis ils ont pensé à Patsy Gallant. C’est alors que j’ai suggéré que Diane et France étaient tout indiquées pour ces rôles.
Pourquoi, malgré le succès, vous n’avez joué que 33 jours exactement, pas de tournée, pas de « live » ?
Parce que le Palais des Congrès n’était libre qu’un mois et que le décor monumental ne pouvait entrer nulle part ailleurs. Aujourd’hui c’aurait été sans problème. Du coup on n’a pu jouer qu’un mois, impossible de transporter les décors de ville en ville, donc pas de tournée et, à l’époque, on n’enregistrait pas les spectacles comme aujourd’hui. Voilà le fin mot de l’histoire.
Si France Gall, Diane Dufresne et Nanette Workman ont fait faire leurs costumes par leur couturier, rien n’était prévu pour toi !
A trois jours de la première, la production s’est rendu compte que rien n’était prévu pour m’habiller. On m’a proposé un carton où je devais sortir les bras, un tablier de plastique sous lequel l’air s’engouffre et l’on ne voyait plus ma tête… En fait, on trouvera une robe et un tablier chez Laura Ashley… Mon costume a coûté beaucoup moins cher que pour les autres !
Il y a également le problème de la chanson « Les uns contre les autres » que personne ne voulait chanter…
Et que j’ai finalement proposé de chanter sans savoir que c’étaient les radios qui allaient la choisir en premier !
Que penses-tu de la nouvelle version qui se joue en ce moment ?
Donne-moi 16 millions d’Euros et je te fais un spectacle ! Ceci dit, le spectacle est très impressionnant par la technique, les lumières, les effets spéciaux… Trop peut-être. Quant aux chanteurs, même s’ils ont de très belles voix, ils font du karaoké. A la note près, ils font exactement ce que nous faisions, même ce que nous avions inventé autour des chansons. Du coup, ils n’impriment pas leurs personnalités comme avait pu le faire la sublime Maurane et d’autres interprètes. Je devrais demande des droits d’auteur !!!
En dehors de ce livre, Fabienne, que nous réserves-tu ?
Je me remets d’un quadruple pontage mais rassure-toi, tout va bien. J’ai été opérée à Clermont Ferrand. Aujourd’hui je prépare un album de chansons qui sortira le 1er mars. Ce sont des chansons que j’ai écrite et j’ai fait appel à des amis : Zize, Alain Turban, Richard Bonnot et quelques autres. Je prépare le spectacle musical avec ces chansons et je pense qu’il tournera en France… Histoire qu’on se retrouve quelque part sur la route ! »
Propos recueillis par Jacques Brachet