Serge REGGIANI aurait 100 ans

Avec ses enfants

Si je vous parle aujourd’hui de Serge Reggiani, c’est qu’il aurait eu cent ans cette année et que ma carrière de journaliste a commencé (très mal !) avec lui
je viens tout juste d’entrer à Var-Matin, au milieu des années 60, alors que les «yéyés» sont en pleine explosion et que ma seule envie est de les rencontrer.
Et voilà que ma rédactrice en chef me demande, pour ma première grande interview, d’aller rencontrer… serge Reggiani qui passe à l’opéra de Toulon avec Jacques Martin et de faire un papier sur les deux artistes.
Martin, passe encore mais Reggiani, ce «vieux» comédien (qui n’a alors pas encore 50 ans !) je connais son nom, quelques titres de ses films mais le chanteur me parle peu
Contre mauvaise fortune bon cœur, de toutes manières je n’ai pas le choix. Je prends donc rendez-vous avec lui, bosse sa bio et me pointe à l’opéra où le monsieur m’attend et m’accueille chaleureusement, ce qui me rassure un peu.

A l’Opéra de Toulon
Encore à Toulon, quelques temps après

Il m’invite à m’asseoir, je sors mon petit magnéto de poche dont je me sers pour la première fois et je pose ma première question à laquelle il commence à répondre. Mais très vite, il s’arrête de parler et me dit : «Votre magnéto ne tourne pas».
Panique. Quand on m’appelle «jako la bricole» c’est par ironie car je ne sais pas planter un clou ! Alors la mécanique, n’imaginez même pas !
Après plusieurs essais infructueux, de plus en plus paniqué, Reggiani voyant ça, me dit : «attendez, je m’y connais un peu donnez-moi l’appareil». Et la sentence tombe très vite : «Vous n’avez pas mis de pile !».
Je rougis de confusion mais notre Reggiani, toujours d’une gentillesse extrême (il a très vite compris qu’il a affaire à un néophyte, dans tout le sens du terme !) me dit alors : «Ce n’est pas grave, c’est pour un journal, prenez des notes…»
Et re-panique car je n’ai ni papier ni stylo. Je sens le fiasco et surtout j’appréhende la colère de l’artiste… qui me propose alors son stylo et son bloc-notes !
De plus en plus confus, je reprends en tremblant l’interview mais j’écris vite, mes questions le rassurent car il voit que j’ai bossé, que je sais ce qu’il a fait et qu’en fait mes questions sont pertinentes.
Comme il doit se préparer pour aller chanter, que Jacques Martin a presque terminé et que je lui dis que je dois à son tour l’interviewer, il me dit en souriant : «Gardez mon stylo et mon bloc, vous les déposerez dans la loge en partant»

A Aix-en-Provence durant son exposition
Après le spectacle

Je pousse un grand ouf de soulagement, m’excuse et le remercie chaleureusement. Il me dit en riant : «Il y a un début à tout et vous saurez ce qu’il faut faire la prochaine fois. Bon courage».
On ne pouvait pas être plus gentil.
Mais là ne s’arrête pas l’histoire.
Je vais donc à la rencontre de Jacques Martin et là, tout se passe bien, je suis équipé. Même si le monsieur n’est pas aussi simple et gentil que le premier. Mais bon, j’ai mon interview et je peux passer dans la fosse d’orchestre pour aller faire quelques photos de Serge Reggiani.
J’ai un appareil photo… qui marche… et qui flashe malheureusement.
Au premier flash, l’artiste s’arrête de chanter, pointe son doigt vers moi (heureusement, je suis dans le noir !) et s’écrie : «J’ai dit pas de flash… Sortez !».
Je ne demande pas mon reste… Courage, fuyons !
Revenu dans les loges, je me dis que je vais attendre la fin du tour de chant pour m’excuser, arguant que je n’étais pas dans la fosse quand il a demandé de ne pas flasher. Aujourd’hui, on n’a plus de flash mais à l’époque…
Je rencontre le directeur de l’opéra, qui est un ami de mon père, à qui je raconte mon histoire. Il rit de bon cœur et me suggère : «Je serais toi, je partirais sans le revoir. Il ne t’a sûrement pas reconnu »

Je crois qu’il a raison. Je vais déposer bloc et stylo dans sa loge… Et je m’enfuie comme un voleur.
C’aurait pu être la fin de «ma carrière» si je n’étais pas tombé sur un type épatant comme Serge Reggiani qui, ce jour-là, m’a donné une belle leçon. De ce jour j’ai toujours été précautionneux, vérifiant le magnéto, ayant toujours un bloc et plusieurs stylos (on ne sait jamais !) dans ma sacoche.
Deux, trois ans plus tard, j’ai de nouveau rencontré Serge Reggiani pour l’avant-première du film «Comptes à rebours» qu’il était venu présenter à Toulon avec le réalisateur Roger Pigaut. Je lui rappelai notre première rencontre dont d’ailleurs il ne se souvenait pas mais cela l’a fait rire.
Je devais le retrouver une  fois encore à la fin de sa vie. Invité d’honneur au Festival de la Chanson Française à Aix-en-Provence. Il était déjà très affaibli et venait présenter son livre, une exposition de ses œuvres car il avait découvert la peinture sur le tard et donner un récital. Qu’il donna d’assis car il avait du mal à se mouvoir. C’était à la fois pathétique et émouvant. Émouvant surtout car  il était entouré de ses enfants Karine et Simon qui vinrent le rejoindre pour chanter avec lui.
Mais le repas donné en son honneur fut joyeux et brillant car il nous raconta plein d’anecdotes.
Voilà comment je débutais dans ce métier qui aurait ne pas avoir de suite… Et que je poursuis depuis plus de 50 ans !

Jacques Brachet