Robert Guédéguian est un réalisateur et producteur marseillais, d’origine arménienne, qui a construit un monde cinématographique tout autour de Marseille. Mais loin d’être un réalisateur « de province », ses films ont très vite dépassé les frontières marseillaises pour être vus dans le monde entier.
70 ans, 40 ans de cinéma, 23 films à son actif, de « Dernier été » en 1981 à « Et la fête continue » qui sortira à la rentrée, sans oublier l’incontournable « Marius et Jeannette » en 1997, il n’a jamais cessé de réaliser et de construire une œuvre forte, humaine, politique et, pour cet anniversaire, le Mucem de Marseille lui rend hommage par une rétrospective, du 26 au 29 juillet, suivie d’une exposition du 20 octobre au 15 janvier, qui se tiendra à la Friche de la Belle de Mai.
Mais avant cela, le voici sur les routes provençales où il est accueilli dans nombre de villes dont un arrêt à Six-Fours ce 17 juillet où j’ai eu le plaisir de le retrouver car nos chemins se sont souvent croisés.
Grand bel homme aux cheveux et la barbe poivre et sel, le sourire rare mais pourtant oh combien chaleureux et la voix de basse à l’accent « de chez nous », il se raconte en toute intimité.
« Robert, pas d’avant-première avant quelques mois et vous voilà sur les routes pour présenter tous vos films tout au long des étapes. Pourquoi ?
Cette rétrospective a été organisée par le Mucem. Mais si tous les films y seront proposés durant quatre jours, à raison de quatre par jour, on a souhaité sortir hors les murs et faire quelques dates dans des salles que nous aimons, de Six-Fours à Vitrolles en passant par l’Estaque, l’Etang de Berre et d’autres salles qui m’ont toujours bien accueilli.
Chaque ville présente donc un ou plusieurs films. Est-ce vous qui les avez choisis ?
Non, j’en aurais été incapable et j’aime que ce soient les gens qui choisissent en fonction de leurs goût ou de leurs idées ou encore de leurs envies. Chaque cinéma a fait son choix.
Puisqu’il y a rétrospective, remontons le temps. Il y a trois comédiens que l’on voit dans tous vos films : Ariane Ascaride, votre épouse, Gérard Meylan et Jean-Pierre Darroussin. Parlez-nous de ces rencontres.
La plus vieille rencontre est celle de Gérard puisque nous sommes amis d’enfance et que nous avons grandi ensemble. Ariane, je l’ai rencontrée à l’université. Elle était déjà militante, ce qui nous a rapprochés. Puis je l’ai suivie au conservatoire où elle m’a fait rencontrer Jean-Pierre avec qui nous sommes devenus amis.
Les événements de 68 ont amené un souffle nouveau, entre autre au théâtre où se sont créés des mouvements, des attitudes collectives. Nous parlions des nuits entières, nous voulions changer le monde et c’est ainsi que des liens se sont tissés. Des liens qui, au fil du temps, n’ont fait que se resserrer. Pas seulement avec les artistes mais aussi avec les techniciens. C’est un phénomène générationnel post soixanthuitard. Qui a perduré.
Vous vous êtes juré fidélité ?!
Ça s’est fait tout naturellement et ça dure depuis quarante ans ! A quelques personnes près, c’est toujours la même équipe, certains commencent d’ailleurs à être âgés !
Notre aventure est quand même très rare dans le cinéma.
Lorsque vous écrivez un scénario, pensez-vous à eux à chaque fois ?
Ce n’est pas tout à fait ça mais lorsque j’écris, j’écris selon les préoccupations de mon âge… qui est le leur ! En fait, ils m’incarnent, ils me racontent. J’écris sans leur demander quoi que ce soit puis je leur propose mes idées. Et souvent, lorsqu’une idée me plait, ça leur plaît aussi. Mais il n’y a aucune obligation. Au contraire de Pialat qui avait écrit « Nous ne vieillirons pas ensemble », film superbe, nous, nous avons décidé de vieillir ensemble !
J’avoue que j’écris quand même « un peu » pour eux !
J’écris des choses que je ressens, des choses très différentes, je les préviens… Et ils marchent !
Est-ce qu’ils ont leur mot à dire ?
(Il rit) Pas vraiment. Il est très rare qu’ils veuillent proposer ou changer quelque chose. Il se trouve qu’en dehors des tournages, nous nous voyons tout le temps. Il peut se faire que je retienne des idées, des choses qu’ils disent… Je capitalise et je rebondis selon ce qu’ils disent. Dans « L’argent fait le bonheur » Gérard un jour eu envie d’incarner un curé à l’ancienne. Ça allait très bien avec le personnage et ça ne changeait pas l’histoire… Et il est devenu curé !
Cette tournée en plein cagnard, ça n’est pas épuisant ?
Oui, c’est un peu fatigant mais c’est loin d’être désagréable. Je rencontre un public qui m’aime bien, qui est attentionné, curieux, les débats sont toujours sympathiques et enrichissants. Et tout se passe bien.
A la rentrée vous savez un film qui sort je crois…
Oui. Il s’intitule « Et la fête continue » et il se passe à Marseille lorsqu’il y a eu les effondrements d’immeubles rue d’Aubagne. Le film raconte tout ce qui se passe autour à ce moment-là. Ca raconte aussi l’effondrement des manières anciennes de la politique.
Mais je suis déjà sur un autre film.
On peut en parler ?
Il s’intitulera « La pie voleuse ». C’est une fable dont l’héroïne est une aide à domicile qui a la main « un peu » légère et qui vole « un peu » ses clients. Mais ça se termine bien ! En ce moment, avec ce que l’on vit, j’ai envie de voir des films réjouissants. Et du coup j’en fais un dans ce sens.
Vous parliez tout-à-l ‘heure de la création d’une cinémathèque à Marseille. Vous en êtes ?
En vérité, c’est la cinémathèque française qui a décidé de créer une antenne à Marseille et dans d’autres villes. C’est une déclinaison de celle de Paris afin de la décentraliser. Je participe au côté financier, au lieu, au lancement mais après, si ça marche, je laisserai d’autres la gérer. Ce que j’aime, c’est créer des choses, après, une fois sur les rails, je laisse le projet à d’autres. »
Les Six-Fournais ont eu le privilège de revoir « Marius et Jeannette » place des poilus et « Mon père est ingénieur » que Robert Guédéguian a présenté, suivi d’un débat.
Pour l’heure, après cette tournée et l’exposition, il y aura la sortie du film « Et la fête continue » et le tournage de « La pie voleuse » qui se fera dans la foulée.
70 ans, bon pied, bon œil… et plein de projets !
La fête continue !!!
Propos recueillis par Jacques Brachet