Notes de lectures

Janine BOISSARD : « Elle parlait aux fleurs » (Ed Fayard – 336 pages)
Un nouveau roman de Janine Boissard est toujours synonyme de moments de lecture pleine d’émotion et de beauté. Loin des polars, des violences qu’on nous assène tout au long de l’année. On y retrouve l’amour, l’amitié, la fraîcheur des sentiments et des histoires de familles comme celles que  l’on retrouvait dans les films de Claude Sautet car ce sont souvent des histoires chorales.
Et « Elle parlait aux fleurs » est dans le droit fil de l’œuvre de la romancière.
Elisa est une jeune femme qui a perdu son mari voici deux ans, qui élève ses deux enfants entourée de l’amour de ses parents, de l’amitié de Claude, son amie d’enfance et de l’affection de Thomas, son beau-frère qui veille sur elle et les deux enfants qui l’aiment comme il les aime. Seule ombre au tableau : sa belle-mère qui n’a pas supporté que son fils, issu d’un milieu bourgeois ait pu s’amouracher d’une jeune femme « pas digne de leur rang ». Elle est à tel point horrible qu’elle a été surnommée Folcoche. Ce qui n’empêche personne de vivre, surtout Thomas qui se rapproche de sa belle-sœur, d’abord dans l’affection puis dans l’amour réciproque qui va peu à peu se développer.
Comment Folcoche va-t-elle le prendre ? Comment son amie va-t-elle vivre ce bonheur qu’elle, aisée mais malheureuse, lui envie et surtout les enfants qui vont voir peu à peu s’installer leur oncle au foyer ?
On suit l’aventure d’Elisa qui, plus que tout, adore les fleurs, les cultive et leur parle avec amour.
Encore une belle histoire sur laquelle flotte la bienveillance, l’amour, la joliesse des sentiments (sauf chez une !), dans laquelle on se glisse jusqu’à la fin qui arrive trop tôt et dont on aimerait suivre le voyage… Ça mériterait une suite !
Laurent SEKSIK : Franz Kafka ne veut pas mourir. (Ed Gallimard – 330 pages)
Le livre commence par la fin de vie et le décès de Franz Kafka à Kierling près de Vienne, le 3 juin 1924 à l’âge de 31 ans, des suites d’une laryngite tuberculeuse diagnostiquée en 1917. Il est inhumé à Prague. Puis, de 1923 à 1972 tous les chapitres s’entrecroisent pour nous faire découvrir les destinées de trois personnes très attachées et admiratives de Kafka, au point de le faire vivre au-delà de sa mort en le sortant de l’anonymat. Il s’agit de Dora Diamant sa jeune et dernière compagne de confession juive,
Ottla, sa sœur cadette et confidente bien aimée, la famille de Kafka étant profondément liée au judaïsme.
Enfin, Robert Klostock, un jeune étudiant en médecine et ami rencontré lors de son dernier séjour au sanatorium, de confession juive lui aussi.
Chacun va, à travers ses parcours de vie tragiques, nous rappeler l’époque turbulente du nazisme, de l’antisémitisme, des purges staliniennes mais tout au long de leur vie mouvementée ils continuent à penser et défendre l’œuvre et la mémoire de Kafka. Ainsi nous découvrons la personnalité de l’homme, fragile, terrassé par l’angoisse, chétif et taciturne, ses difficultés relationnelles avec son père à qui il écrit une lettre que sa mère ne remettra jamais au destinataire. Nous découvrons aussi les œuvres au travers des témoignages des trois admirateurs de l’écrivain dont une partie a été conservée grâce à Max Brod, son exécuteur testamentaire, à qui il avait demandé de brûler ses manuscrits à sa mort et qui n’a pas respecté la volonté du défunt.
Ce livre riche, dense qui nous fait partager une époque dramatique de l’histoire et qui nous dévoile en filigrane la vie et l’œuvre de Kafka est une incitation à le lire.
Le titre est surprenant : D’une part, Kafka demande à son ami Robert Klostockd’augmenter la dose de morphine et lui déclare : « tuez-moi sinon vous êtes un assassin ». Dora  qui dit que « l’ homme qui ne voulait plus en finir, désirait enfin et farouchement vivre »laisse entendre que Kafka tenait à la vie, mais la force d’une œuvre et d’une pensée perdure au-delà de la mort et c’est en quoi Kafka  ne veut pas mourir et cela explique probablement le titre du livre.

Roland PORTICHE : L’homme qui ressemblait au Christ
(Ed Albin Michel/Versilio – 361 pages)
Nous sommes en 1291, Alister Durward, jeune noble écossais qui s’était mis au service des Templiers à Saint-Jean d’Acre, disparait. Sa sœur Sybille part à sa recherche avec un gentilhomme écossais et l’écuyer de celui-ci.
Commencent alors de rocambolesques aventures sur fond de références historique relatives aux croisades et au trafic de reliques chrétiennes et qui emmènent les protagonistes en Haute Galilée, à Bagdad et dans l’empire mongol du grand Khan de Perse.
L’auteur a beaucoup d’imagination mais l’histoire manque de crédibilité et les héros se sortent de leurs ennuis comme par miracle.
Cependant ce roman d’aventures qui se lit facilement pourra faire des lecteurs heureux.
Anne-Lise BROCHARD : Séraphine ne sait pas nager (Ed.Plon – 254 pages)
Séraphine est une jeune femme heureuse, entourée d’un mari aimant, d’une petite fille tendre et complice qui s’octroie chaque soir des points bonheur pour se récompenser d’une vie aussi harmonieuse. Mais ceci n’est que la face visible de son existence. Elle a aussi une face cachée, celle d’une seconde vie enfouie dans le déni et le silence : Elle a un frère Paul, incarcéré pour cause de vols, à qui elle va rendre visite en cachette à la prison tous les mercredis, comme les enfants qui vont à la piscin . C’est un mensonge par omission puisqu’elle s’est annoncée fille unique à son époux, mensonge qui l’oblige à des contorsions dans son emploi du temps. Elle vit sur le fil du rasoir, surtout à partir du jour où le dit-frère bénéficie d’une sortie de prison ! Patatras ! Comment sortir de ce dilemme ? Dans vingt-cinq semaines il sera dehors alors que personne ne connait son existence et qu’il compte sur sa sœur bien-sûr. Comédie-drame… Voilà où mène le mensonge .
Nous suivons donc les affres de cette comédie dramatique
Une écriture enjouée, de l’humour, beaucoup de tendresse, l’auteure nous offre des moments pleins de malice et de profondeur à la fois.

AndreÏ MAKINE : L’ancien calendrier d’un amour (Ed Grasset-195 pages)
C’est dans le cimetière sur les hauteurs de Nice qu’AndreÏ Makine amène le lecteur à la rencontre de Valdas Bataeff. En 1913, il a quinze ans, passe ses vacances au bord de la mer de Crimée dans la belle maison de son père, auprès d’une jeune belle-mère passionnée de théâtre ; un monde de pouvoir, de séductions et de mensonges. Un milieu qu’il fuit un soir et surprend le transfert de ballots de contrebande. Pris entre les policiers et les trafiquants, il est brutalement jeté à terre et protégé sous la cape d’une femme, TaÏa qui, au fil des pages et des années, restera son unique et véritable amour. Pour Valdas désormais sa vie sera la guerre puis la fuite, une fuite jalonnée de bons moments tout de même, de nombreuses femmes, mais les décennies n’effaceront jamais les journées ensoleillées en compagnie de Taîa qui lui a rappelé que désormais pour renouer avec « le temps dans lequel vivaient les pays civilisés », les Rouges ont imposé de passer du calendrier julien au calendrier grégorien. Une Taîa morte depuis longtemps qui n’existe plus pour personne, une Taîa qu’il revoit donc dans ce cimetière, une Taïa, sa véritable patrie intérieure qui lui a fait découvrir les champs des derniers épis de blé.
Un très beau roman sur l’amour, l’errance, le souvenir des jours anciens, heureux et enfouis au fond de la mémoire, une nouvelle facette du talent de conteur d’Andreï Makine qu’on lit avec toujours le même immense plaisir.
Pamela ANDERSON : « Love Pamela » (Talent Editions – 326 pages)
Qui ne connaît cette sculpturale naïade en maillot rouge, arpentant les plages de Malibu dans une série aujourd’hui devenue culte « Alerte à Malibu » ?
Pamela Anderson doit sa célébrité à cette série et il est dommage qu’elle ne soit surtout connue que par celle-ci et surtout sa vie mouvementée, ses frasques qui faisaient les choux gras de tous les paparazzis du monde entier.
Il est vrai qu’elle fut à bonne école avec des parents on ne peut plus rock’n roll, un père qui buvait et pouvait devenir violent malgré l’amour qu’il portait à sa femme et sa fille.
Qui aussi pourrait penser qu’elle fut une fille timide et mal dans sa peau lorsqu’on voit la superbe femme qu’elle est devenue ?
C’est grâce à l’équipe du magazine « Play Boy » qu’elle a pu devenir une sex bomb alors qu’elle voulait simplement devenir star. Devenir une Brigitte Bardot américaine. Brigitte qu’elle admirait et avec qui elle lutta – et le fait encore – pour la cause animale. Autre point commun : son amour pour Saint-Tropez.
Si l’on sait aussi qu’elle a toujours eu le chic pour rencontrer des mauvais garçons, (Les hommes sont ma perte, avoue-t-elle) dont son mari Tommy qui était un homme violent, avec qui elle a vécu une folle et scandaleuse vie, ce que l’on apprend dans ce livre c’est qu’elle fut victime d’un viol, ceci expliquant peut-être cela.
Ce que l’on sait moins c’est qu’elle a toujours aimé la nature et les animaux, qu’elle est à la fois naïve et romantique, qu’elle est cultivée car elle a beaucoup appris par les livres et écrit des poésies qu’elle nous offre dans ses mémoires.
Sexy, sensuelle, sexuelle… C’est l’image qu’on se fait de cette femme qui n’a pas toujours eu une vie facile, qui a pourtant magnifiquement élevé ses deux enfants, qui œuvre pour de nombreuses organisations humanitaires, pour les enfants, les malades, les réfugiés, les animaux. Elle a même créé la Fondation Pamela Anderson.
Bref, en lisant ce livre, on découvre une femme attachante, émouvante, aussi belle de l’extérieur que de l’intérieur.
André DUBUS III : Une si longue absence (Ed Actes Sud – 447 pages)
Roman traduit de l’anglais (Etats-Unis) par France Camus-Pichon
C’est un livre dans lequel l’auteur explore les sentiments des membres d’une famille dans laquelle le mari Daniel Ahead tue sa ravissante épouse Linda devant sa fille Susan, âgée de 3 ans. Alors que quarante ans plus tard, Daniel est sorti de prison et qu’il sait qu’une maladie va bientôt l’emporter, il décide de faire mille kilomètres pour aller voir sa fille dont il a retrouvé les traces et lui envoie une longue lettre avant de la rencontrer. L’auteur donne la parole tantôt au père, tantôt à la fille, tantôt à la grand-mère maternelle qui a élevé Susan. Chacun fait son introspection. Comment le père peut-il chercher à s’excuser de s’être laissé envahir « par le serpent noir du soupçon », peut-il prétendre à demander à redevenir un père et à revoir sa fille ? Comment Susan a-t-elle vécu ce drame ? Comment peut-elle accepter de revoir le meurtrier de sa mère et peut-elle pardonner ?
Ce beau roman, à l’écriture dense, interroge avec finesse sur les drames familiaux, l’impossible pardon, les blessures inguérissables mais avec lesquelles il faut continuer à vivre.

Rachel CUSK : La dépendance (Ed Gallimard – 201 pages)
Tout commence par la rencontre d’un peintre, L, que la narratrice va inviter à participer à sa vie, ou plutôt son environnement  particulier, un marais vu « comme le vaste sein nébuleux de quelque dieu ou animal endormi, mû par le lent et profond mouvement d’une respiration somnambule. »
Jeffrey sera l’oreille tranquille et silencieuse à qui s’adresse la narratrice tout au long du récit. Il apprendra donc que ce grand peintre accepte l’invitation mais arrive accompagné d’une ravissante jeune femme. Une vie étrange s’installe, un jeu de cache-cache car L ignore son hôtesse, semble même la fuir puis très vite, L exerce un phénomène de pulsion-répulsion au point de déséquilibrer son ménage. Et au fil du temps, L perçoit «  le message du marais environnant, l’illusion, le mélange d’une phase de construction de la vie qui n’est en fait qu’une construction mortuaire, oui une dissolution ayant l’apparence de la mort mais qui en réalité est son contraire. »
Tous les personnage créés par Rachel Cusk pourraient être les acteurs d’une pièce de théâtre classique avec les trois règles d’unité de temps, lieu et action, les rôles principaux seraient tenus par la narratrice et L, les autres étant cependant indispensables au déroulement du récit. Toute l’introspection de la narratrice se confiant à Jeffrey exerce une sorte d’enfermement, de dépendance du lecteur.
Ce roman est addictif et alors qu’on a de la peine à se laisser aller au plaisir de la lecture au début, il faut reconnaître que Rachel Cusk réussit à nous rendre dépendant de son roman.
Un véritable coup de chapeau.
Bernhard  SCHLINK : La petite fille (Ed Gallimard – 338 pages)
Kaspar est un allemand de l’Ouest. Il aide Birgit, sa future femme à passer à l’Ouest en 1965. A sa mort, il apprend, par le journal intime qu’elle lui a laissé, qu’elle a eu un bébé avec un autre homme, avant son mariage, mais qu’elle l’a abandonné à sa naissance, en Allemagne de l’Est, en le confiant à une amie. Kaspar quitte Berlin pour aller à sa recherche. Il finira par retrouver cet enfant qui, maintenant, est devenue une femme.
Elle se nomme Svenja, la ressemblance avec Birgit, sa mère est frappante. Elle est restée en Allemagne de l’Est et a épousé un néo-nazi. Elle a eu une fille : Sigrun qui a quatorze ans. Des relations très fortes vont naître entre cette « petite fille » et ce « grand- père »  qui ne l’est pas  vraiment. Adolescente, elle va très vite poser beaucoup de questions, auxquelles  il va lui être difficile de répondre ; il l’emmène à Berlin, chez lui, où il est libraire. Les relations familiales vont devenir difficiles et franchement insupportables, surtout avec le père néo-nazi, méfiant et haineux.
Kaspar est cultivé, désintéressé et attachant, il va lui faire découvrir beaucoup de choses qu’elle ne connaissait pas et qui lui apporteront un  bonheur personnel tout au long de sa vie.
Ce roman est magnifique, le récit passionnant et poignant, le style clair et fluide, on voyage à travers l’Allemagne et à travers le temps. K
Kaspar est encore jeune, Sigrun a tout l’avenir devant elle.

Serena GIULIANO : Un coup de soleil (Ed Robert Laffont – 226 pages)
Eléonore, française 40 ans,  mère de jumeaux ado, vit à Salerne.
Elle s’occupe seule de ses enfants depuis son divorce  et fait des ménages chez des particuliers pour assurer le quotidien. Elle bosse rêve et souffre  depuis sa rupture avec son amant marié.
Le roman est construit sur cinq semaines pendant lesquelles Eléonore nous fait découvrir, au rythme de chaque  jour, l’intimité et l’environnement de ses employeurs, au nombre de six, leur personnalité ,leurs habitudes, leurs petits arrangements avec la réalité.
Elle nous raconte dans un langage simple sa vie quotidienne et nous fait partager l’ambiance chaleureuse et ensoleillée de l’Italie.
Ce livre distrayant, drôle, qui aborde  des sujets de société tels que la précarité, les réseaux sociaux, l’amour, la violence… Il n’est jamais larmoyant il est au contraire émouvant, sensible, généreux, et nous laisse à penser qu’il faut toujours croire en ses rêves.
Armel JOB : Le meurtre du Docteur Vanloo (Ed. Robert Laffont – 332 pages)
Ce vingtième roman de cet célèbre auteur belge est un thriller psychologique rural de haute voltige.
On y trouve la Terre, la langue, le clergé, les édiles de ce petit village tranquille jusqu’au jour où le cadavre du Docteur Vanloo, chirurgien exerçant au Luxembourg, est découvert par sa femme de ménage dans le presbytère où il réside. Homme discret d’apparence mais véritable bourreau des cœurs toutes les possibilités sont permises. Le commissaire Demaret envoyé sur les lieux, confronté à une jeune magistrate face à son premier cas, va prendre l’affaire en mains. S’en suivent  un tas de fausses pistes, de faux-semblants et de non-dits où chacun semble avoir eu l’opportunité ou la bonne raison de supprimer le déduisant docteur. D’où le suspense provoqué par la mise en lumière de chaque « criminel » possible, l’abandon, ou pas, et l’émergence du possible meurtrier.
Très belle ambiance feutrée du lieu, abondance des personnages, des coups de théâtre avec quelque traits d’humour noir. Ce qui en fait un roman prenant, évoqué d’une plume élégante et d’un réalisme, tant dans la procédure que dans le réalisme.