Kamel Benkaaba est toulonnais. Il a fait ses études au Lycée Dumont d’Urville, poursuit ses études à Aix-en-Provence où il rencontre sa première femme, une suédoise qu’il suit dans son pays. Elle parle français, il ne parle pas suédois mais s’y met très vite et s’installe là-bas où il devient chargé de cours en cinéma à Copenhague. Un peu plus tard il rencontrera… une autre danoise qui deviendra sa seconde épouse.
Mais notre toulonnais n’oublie pas ses racines varoises et y vient ponctuellement « pour gagner vingt degrés et le soleil » me dit-il en riant.
C’est ainsi que, lors de ses séjours, on le retrouve à l’association « Lumières du Sud » où à chaque fois, invité par sa présidente Pascale Parodi, il vient parler cinéma bien sûr et vient nous disséquer un film ou nous parler d’un réalisateur, comme Kubrick, Fellini et, lundi soir, de Claude Sautet.
Pourquoi Sautet ?
« Parce que – me dit-il – c’est un grand cinéaste qui fut sous-estimé par la Nouvelle Vague, Godard, Truffaut et consort, critiques de cinéma devenus réalisateurs dans le milieu des années 50 qui le remisaient, comme Tavernier ou Boisset et les plus anciens grands réalisateurs de l’ancienne génération comme des réalisateurs du « cinéma de papa » alors que chacun, (comme René Clément qui a fait « Plein soleil » avec Delon et Ronet) a fait des chefs d’œuvres mais alors, en 1954, il fallait tuer le père. Alors pourquoi les disqualifier alors qu’ils ont fait de très grands films ?
Claude Sautet a eu le malheur de tourner « Classe tous risques » en 1960, la même année où Godard sortait « A bout de souffle » et il fut aussitôt classé comme réalisateur de polars.
Pourtant Sautet est d’un grand modernisme car il a apporté des idées originales comme, par exemple, les hommes qui portent l’impuissance des choix de leur vie. Sautet ne fait partie d’aucune école et il est le seul à savoir filmer l’impalpable des sentiments. C’est pour cela que « César et Rosalie » fait partie aux USA des films français marquants. « Si la vie passe dans un film, c’est que le film est bon » aimait-il à dire.
Il a su également imposer le film choral, des portraits de groupes où l’amitié, la famille, l’amour, la vie, la mort se mélangent autour de nombreux comédiens comme dans « Vincent, François, Paul et les autres ». Il a su également filmer la femme des années 70, une femme forte, libre, qui s’assume, qui avorte parce qu’elle n’aime plus l’homme avec qui elle est, qui mène deux amours en même temps, ce qui était alors très nouveau. Et à ses côtés, l’homme qui n’est plus le héros, qui a des difficultés à être l’homme, qui a des failles ».
On écouterait des heures parler Kamel de cette passion qu’il a du cinéma, qu’il connaît sur le bout des doigts, véritable encyclopédie de tous les cinémas et il nous fait partager cette passion.
Ce soir-là, Sautet a été rendu à sa lumière et à travers des écrits, des séquences de deux films « Les choses de la vie » et « Un cœur en hiver », il nous révèle un réalisateur imaginatif, sensible.
Cet accident des « Choses de la vie » est quelque chose d’unique, qui démarre dès le début du film, pour y revenir tout au long, avec les derniers souvenirs d’un homme qui ne sait pas alors qu’il va mourir mais qui se remémore sa vie. La scène de l’accident est unique, superbement filmée et rythme le film avec cette musique de Philippe Sarde mêlée à celle de Vivaldi et avec cette sublime chanson que Romy Schneider et Michel Piccoli interprètent « La chanson d’Hélène ».
« La musique – dit-il – prend une grande place dans les films de Sautet, on le voit dans « La choses de la vie » qui accompagnent tout le film dont l’accident filmé au ralenti puis en accéléré qui revient au fur et à mesure.
Pour « Un cœur en hiver » La musique de Ravel est d’autant plus omniprésente qu’il s’agit d’une histoire complexe entre une violoniste (Emmanuelle Béart) et deux luthiers (André Dussolier et Daniel Auteuil) et il a choisi des musiques de Ravel, quelquefois dissonantes, mais qui épousent parfaitement les sentiments de ce trio amoureux ambigu et compliqué. Trois personnages, trois instruments : le violon, le violoncelle, le piano. Et aussi la musique de Philippe Sarde qui se mêle à la complexité des sentiments des trois comédiens. Et toujours cette façon de filmer l’ineffable ».
Que dire de cette soirée qui nous a fait retrouver et mieux comprendre l’un de nos plus grands réalisateurs français, malgré seulement 13 films à son actif, alors que Chabrol, par exemple, en a réalisé 57, souligne Kamel qui nous a redonné l’envie de redécouvrir ce magistral réalisateur.
Jacques Brachet