
A mes tout débuts de journaliste, j’avais alors 20 ans, Marion Game a été l’une des premières rencontres que j’ai faites. Ceci grâce à Monique Gérard, attachée de presse des tournées Karsenty Herbert.
Une vraie attachée de presse comme on n’en fait plus, qui mettait toujours ses artistes en valeur et qui ne boudait pas les « journalistes de province » comme c’est le cas aujourd’hui où rencontrer un artiste – surtout dans la chanson – est un parcours du combattant. Le fameux « on vous écrira » est devenu « Envoyez un mail », auquel on ne répond jamais.
Mais bon, on n’est pas là pour pleurer mais pour dire un petit au-revoir à notre Huguette nationale, (surnommée Gueguette par son mari Raymond, alias Gérard Hernandez) que des milliers de spectateurs ont tant aimée.
Je rencontrai donc Marion Game à chacune des pièces qu’elle emmenait en tournée avec arrêt à l’Opéra de Toulon où nous nous rencontrions.
Elle n’a jamais été une star comme purent l’être Presle, Darrieux, Morgan mais a toujours été une comédienne on ne peut plus populaire. Chaque rencontre était parsemée de rires et d’humour.
Avec « Scènes de ménages », surprise et heureuse, tout à coup elle entrait tous les soirs chez près de cinq mille spectateurs et ce fut un raz de marée de popularité et d’amour ! Je pus m’en rendre compte au festival télé de la Rochelle ou encore à la fête du livre de Toulon où elle signait ses souvenirs « C’est comment votre nom déjà ? ». A chaque fois c’était la folie.
Car d’un coup Marion s’éclipsait derrière ce personnage pourtant assez bête et méchant mais qui faisait rire tout le monde ! « Depuis « Scènes de ménages » – me confiait-elle – c’est comme ça. Un tel débordement d’amour et d’amitié, je n’aurais jamais cru cela possible en fin de carrière. C’est un succès inattendu et bien sûr, je ne vais pas cracher dessus tant il est fait de vraie émotion, de vraie joie, de vraie sincérité de la part du public qui nous invite chez lui tous les soirs.
A mon âge (elle allait alors avoir 80 ans), c’est un succès inattendu mais quelquefois encombrant. D’un côté, ça me fait plaisir mais de l’autre ça efface tout le reste de ma carrière et c’est un peu réducteur. Pour moi, c’était au départ un rôle comme un autre. J’ai fait, au théâtre et au cinéma tant de choses différentes et peut-être plus intéressantes qu’aujourd’hui j’en suis réduite à être Huguette. C’est presque trop énorme et du coup plein de gens oublient que je suis la comédienne Marion Game ».
Mais elle m’avouait quand même être heureuse de jouer un personnage bête et méchant qu’elle n’avait jamais joué auparavant et de plus, avec lui, de devenir aussi populaire.
« Nous avons avant tout cherché l’authenticité sans entrer dans la caricature, les dialogues sont précis et percutants, bien écrits et avec Gérard, qui est un ami de longue date, c’est le bonheur ». Si le théâtre ne l’oubliait pas, au cinéma c’était silence radio. Et même à la télé où elle regrettait qu’on ne pense pas plus à elle.
« Le métier aujourd’hui est géré par des technocrates qui n’y comprennent rien. D’autant que malgré le succès de la série, ça n’a pas changé grand-chose. Heureusement, le théâtre c’est ma survie, c’est ce qui me fait avancer… C’est mon schmilblic ! »
Au théâtre, j’allais la retrouver à Carqueiranne au festival « In situ » qui hélas a disparu, avec une pièce de Sophie Brachet (Non, elle n’est pas de ma famille !), intitulée « C’est pourtant simple ! ». Nous avions rendez-vous en début d’après-midi à l’hôtel où elle était descendue. Elle y était accompagnée de son ami Luq Hamett, comédien, producteur, directeur de théâtre, qui devait jouer le lendemain mais qui l’accompagnait et était aux petits soins pour elle. Il m’apprit avec beaucoup de peine qu’elle avait un début de maladie d’Alzheimer et qu’elle ne pouvait pas rester seule.
Ce fut pourtant un après-midi de joie, de fous-rires, de souvenirs, même si, de temps en temps, elle perdait le fil de la conversation.
Mais je devais m’en rendre compte après le spectacle où, invité à un pot avec le maire elle vint me demander qui j’étais, alors qu’on avait passé la journée ensemble.
Par contre, avant de jouer, alors que Sophie Brachet et son mari Jacques Pessis nous avaient rejoints elle nous avouait : « Chaque soir, je suis liquéfiée, j’ai une peur panique de monter sur scène, je me dis : « Qu’est-ce que tu fous là ? Tu ne peux pas rester chez toi ? » Et puis je me dis que j’ai de la chance et une fois sur scène c’est le bonheur »
Un bonheur qu’elle ne tardera pas à devoir abandonner même si, durant quelque temps, elle continua de tourner pour « Scènes de ménages », comme elle le faisait depuis plus de dix ans.
Juste avant d’entrer en scène, elle s’écria : « Je veux rentrer à la maison ! ». Mais elle entra sur scène.
Et ce fut notre dernière rencontre.
Ciao belle amie !
Jacques Brachet
Photos Christian Servandier