
Il est né le 1er avril 1929… Après ça, l’on comprend son esprit facétieux !
Il a traversé les décennies comme l’amie Annie Cordy, avec une pêche d’enfer. Les années glissaient sur lui, il a toujours été beau, svelte, jusqu’à la fin, ses cheveux avaient blanchi depuis si longtemps qu’ils faisaient partie de cette silhouette longiligne qui devenait, sur scène, un de ses atouts. D’autant qu’il a sauté, dansé et virevolté durant…plus de 60 ans !!!
Il faisait tellement partie de notre beau paysage de la chanson française que même nos grands-parents parlaient de lui. Lui, il en rigolait et à chaque concert il faisait un malheur, tout comme lors de la tournée » Âge Tendre » où il était plus jeune que nombre d’autres artistes qui avaient 20 ans de moins que lui. Il faut dire que, si sur scène il ne se ménageait pas, il suivait un régime draconien,
condition sine qua non pour continuer cette vie trépidante…
« Ordre de mon médecin après une petite alerte cardiaque… Mais rassurez-vous, tout va bien ! »
Il était disert, volubile et très heureux de vivre, de chanter, chose qu’il n’a jamais arrêté de faire, même durant « sa traversée du désert » en France, où on ne le voyait plus à la télé, poussé par… ceux avec qui il partagea la vedette sur la fameuse tournée et qui, à leur tour, furent poussés par des petits nouveaux… qu’on retrouve aujourd’hui sur la tournée !!! Il en a beaucoup ri :
« J’ai trouvé ça très amusant que l’on se retrouve tous sur un même programme… C’est un clin d’œil du destin !
Ce qui me fait rire c’est lorsque j’entends des gens dire : « Oh la la… il a pris un sacré coup de vieux, celui-là » ! Mais finalement c’était le principe même de cette tournée : que sont-ils devenus ? Comment sont-ils ? Le but était de faire entendre aux gens les chansons de leur jeunesse…. Et l’on vous parle d’un temps… comme disait son ami Aznavour ! Aznavour qui lui a écrit son plus grand tube « Le mexicain » sans compter que Brassens lui a offert « Le chapeau de Mireille »
Nos rencontres ont toujours été un grand plaisir. Il aimait raconter ses débuts
« Je suis « monté » à Paris en 51. J’avais un peu plus de 20 ans et je me destinais à un métier honorable », quelque chose comme enseignant. Mais très vite j’ai eu ll’appel du théâtre puis de la musique et on me voyait plus sur les planches du conservatoire que sur les bancs de la fac. J’ai donc décidé de quitter Bordeaux où il ne se passait rien à cette époque et de tenter Paris. J’ai eu quelques années un peu dures mais j’ai commencé à percer en 56, date de mon premier Olympia, et je suis vraiment devenu une vedette reconnue avec quelques tubes (qu’on appelait alors succès populaires !)… en 60 ! Voyez, on n’en est pas si loin. Et voyez pourquoi ça m’a fait drôle de chanter aux côtés de ceux qui nous ont chassés !
En 60, je n’avais quand même que 30 ans mais avec leur arrivée j’ai fait office de « vieux briscard » ! Tout est relatif !
Tu n’as jamais arrêté ce métier ?
Non, jamais et j’ai eu du bol car, lorsque les contrats se sont mis à se faire rares en France, j’allais chanter en Allemagne, en Italie et beaucoup plus loin car je chante en huit langues. J’ai animé des émissions et fait beaucoup de galas et de disques ailleurs, entre autres en Italie. J’ai beaucoup parcouru la planète. Même aux jours les plus difficiles, j’ai pu résister et subsister avec ce métier. Je n’ai jamais arrêté de vivre de la chansonnette et puis, j’avais un autre violon d’Ingres : écrire. J’ai toujours écrit des chansons, des textes, des livres, même si je ne me considère pas comme un écrivain. Si je n’avais pas chanté j’aurais peut-être pu être écrivain ou journaliste ».
Il aurait pu mais il fut écrivain, ayant quelques livres à son actif dont son autobiographie : « Il a neigé… ».
Ton autobiographie a été longue à sortir !
Oh la la… Ca a été un long travail… C’est que je n’ai pas dix ans de carrière, mon bon monsieur !!! J’avais quelque deux mètres cubes de doc à compulser !
Lorsqu’il a été question que je fasse mes papiers pour ma retraite et faire valoir mes droits, ma femme a fait des recherches entre disques, programmes, articles de presse, documents divers… Après, il a fallu tout trier. Bien sûr que je ne raconte pas tout, il faudrait plusieurs volumes mais… il a fallu faire un choix ! Sans compter qu’il n’était nullement question que je raconte mes galipettes car ce n’est pas mon genre, même si je sais que ça plait au public »
Je suis de la génération dite «yéyé», mais, dans les années 50, j’étais bercé par les chanteurs que ma mère écoutait : Trenet, Cordy, Amont et autres.
Sans savoir que, des années plus tard, je deviendrais ami avec ces deux derniers…Et que je retrouverais les deux comparses sur les tournées «Âge Tendre» et fêterais avec eux leurs 80 ans. Tout ça ne nous rajeunit pas, ma bonne dame !
« Bleu, blanc, blond», «Tout doux, tout doucement», «Le clown», «Le chapeau de Mireille», «Le mexicain», «L’amour ça fait passer le temps»… Il en a fait des succès, le père Miramon… On n’appelait pas encore ça des tubes !
Le plaisir a été grand de partager ces tournées « Âge Tendre » avec mes deux plus vieux amis : Marcel et Annie
Et de le retrouver une dernière fois au Théâtre Galli de Sanary où il vint chanter.
Il avait alors 92 ans… Pardon… 91et demi, précisait-il en riant !
«Et toujours bon pied bon œil, lui dis-je en riant de même après la répet’
Bon… disons-le vite… On n’est pas à un mensonge près ! Mais il ne faut pas s’attendre à ce que je fasse des galipettes sur scène… Ça, c’est fini.
On n’aura donc pas droit à ton légendaire équilibre sur la chaise, comme tu le faisais encore sur la tournée «Âge Tendre»… à 80 ans ?
Depuis, il s’est passé quelques années et je suis entré dans une zone de turbulence… Attention : je ne dis pas que je ne suis plus capable de le faire mais ça devient plus dangereux et, il faudrait quelqu’un pour me réceptionner au cas où je me casse la gueule ! Mais je vous jure que je peux encore le faire !
Ça te fait combien d’années de spectacles aujourd’hui ?
Professionnellement, 70 ans. J’ai commencé en 49 à Bordeaux, je suis «monté» à Paris en 50. J’ai galéré quelques années en chantant dans des bals, des cabarets, tous les lieux où je pouvais chanter.
Sans jamais être « démodé » comme le titre de votre dernière chanson !
Cette chanson, je l’ai faite car je ne supporte pas le mot «ringard» trop souvent employé pour des vieux chanteurs. A la limite, je préfère «Has been», c’est plus juste, on a été… et on est toujours là ! Je suis un ancien qui peut être possiblement démodé !
Mais tu chantes toujours, c’est bon signe !
Vous savez, l’énergie vient de l’intérieur et tant que je l’aurai, cette énergie, je continuerai.
Donc, on fêtera tes cent ans sur scène ?
Pourquoi pas… si je ne sucre pas les fraises !»
Malheureusement, il n’aura pas eu le temps de revenir fêter ses cent ans comme promis.
Je garde de lui des souvenirs magnifiques, de belles pintes de rires avec Annie, des repas où il nous passionnait de ses histoires, de sa vie, qui fut une musique perpétuelle.
Je ne l’oublierai pas
Jacques Brachet
Photos Christian Servandier
