Metin ARDITI : L’homme qui peignait les âmes (Ed Grasset – 292 pages)
Écrivain francophone d’origine turque, auteur de nombreux romans, Metin Arditi nous offre une bien belle histoire.
C’est d’iconographie qu’il va s’agir par le biais du débat ouvert à propos d’une icône du monastère de Mar Saba, près de Bethléem, dont la datation est remise en question et l’auteur réel recherché. On pensait que l’icône datait du XIVème siècle et elle était attribuée à Théophane le grec, mais le bois est plus ancien de deux siècles. Qui a pu peindre cette splendeur ? Nous voilà partis au XIème siècle au Proche Orient dans la région d’Acre.
Avner, un jeune juif de 14 ans, va vendre le poisson péché par son père au monastère de la ville. A chaque fois il écoute, couché sous un figuier les chants des moines qui l’envoutent. Son père Elzéar lui a interdit de pénétrer dans l’église, mais poursuivant un agneau échappé jusque sur le parvis, il va entrer subjugué par la vision d’une icône. Le moine Anastase le guide jusqu’à l’iconostase. C’est l’éblouissement.
Avner veut apprendre à faire de telles beautés. Mais comment un juif peut-il devenir iconographe ? Comment, si on n’a pas la foi, respecter la règle, car on ne peint pas une icône, on l’écrit, c’est une prière incarnée a dit le moine Anastase à Avner.
Commence le récit du parcours d’Avner vers Mar Saba, puis Capharnaüm et son retour à Acre. D’une belle écriture, le roman prône l’amitié entre les êtres au-delà des religions, la cohabitation des croyances, le goût du travail bien fait, avec passion mais sans orgueil. Les personnages ont des caractères trempés, l’écriture est soignée : un bel ouvrage.
Philippe GRIMBERT : Les morts ne nous aiment plus (Ed Grasset – 198 pages)
Paul, psychanalyste renommé qui fait souvent des conférences sur le deuil, se retrouve soudain confronté à une chose qui n’est plus virtuelle mais bien réelle : le décès brutal de son épouse dans un accident de la route.
Il nous décrit très bien la sidération, la douleur le manque qu’il subit sans verser dans le pathos et en ayant l’air de se maintenir à flots. Mais au bout d’une année de doutes, de souffrance, il se laisse entrainer vers l’irrationnel, la communication avec l’au-delà proposée par un internaute, au moyen d’une intelligence artificielle. Jouera-t-il le jeu ?
Oui il se laissera tenté mais cette rencontre virtuelle sera-t-elle satisfaisante ?
C’est ce que l’auteur nous livre un peu techniquement peut être. Un peu froidement aussi par rapport à ses précédents romans pleins de sensibilité et d’émotions comme dans « Le secret » ou « la petite robe de Paul ».
Sommes-nous face à la technique qui sera peut être approchable un jour ? Mystère et malaise imprègnent l’atmosphère de ce roman émouvant. Toujours un style clair et fluide .
Amitav GHOSH : La déesse et le marchand (Ed Actes Sud – 307 pages)
Traduit de l’anglais (Inde) par Myriam Bellehigue
Comment un marchand de livres anciens vivant à New York arrive-t-il à s’intéresser à une vieille légende de son pays d’origine le Bengladesh ?
Quand on n’a pas la télévision, on raconte des légendes en Inde et celle de la déesse et du marchand d’armes correspond à l’Odyssée d’Homère avec pour seule différence qu’à la fin le héros ne retrouve ni sa famille, ni sa maison.
C’est l’occasion pour l’auteur de faire intervenir de nombreux protagonistes prêts à prendre l’avion de Calcutta à Venise, retour vers New York et surtout de superposer à la légende le problème actuel écologique annoncé par la déesse et conséquemment les flux migratoires des populations en danger.
Promenez-vous à Venise, le vendeur de gadgets ne sera pas italien mais originaire du Bengladesh.
L’auteur tient essentiellement à faire prendre conscience du dérèglement climatique, des bouleversements dans le débit des rivières, les zones cultivables de plus en plus en danger, la pollution de la mer et donc notre survie et celle des générations suivantes.
C’est un avertissement solennel, n’essayez pas de retrouver le temple de la déesse, il a été englouti par les flots.
Ce livre toutefois peut agacer le lecteur qui peut trouver facile de voyager sans problème d’un bout à l’autre de la terre, mais c’est un roman fort bien documenté, à conseiller aux climato-sceptiques.
Constance JOLY : Over the rainbow ( Ed Flammarion – 175 pages)
Seule Constance Joly peut qualifier ces 175 pages d’Over the rainbow de roman.
Le lecteur découvre au fil des pages une superbe histoire d’amour entre une petite fille et son père, une petite fille qui partagera la douleur de ses parents lorsque le père acceptera son homosexualité et quittera le foyer familial.
Une petite fille qui grandit, passera ses vacances avec son père et Ivan, puis Soren, qu’importe elle a toujours été choyée et heureuse. Parfois le tableau «Le damné aux enfers», accroché au-dessus de son lit lui faisait peur mais son père éclatait de rire et la vie reprenait avec visite de musées, films, un contexte intellectuel des années 80 où bientôt le mot sida apparait dans toute sa dangerosité. Et pour l’enfant devenue adolescente plutôt indépendante, c’est désormais «La maladie que l’on tait, car elle fait si peur qu’elle promet l’exclusion, l’isolement».
Constance Joly vient d’accoucher d’une merveilleuse petite fille et à cette occasion reçoit la visite d’une amie. Qu’elle n’est pas sa surprise lorsque cette amie lui demande des nouvelles de son père pourtant décédé depuis plusieurs années ; réalisant ce qu’elle avait oublié, ses simples paroles «La dasse, oui c’est ça» provoquent un tremblement, un effroi qui engendrera ce roman troublant de vérité, de lucidité, de douleur. Comment vivre avec pour seule définition de son père «Ce vieil homo», non ce n’est pas possible. Il y a la maladie bien sûr, le silence, mais surtout tellement de joie, de rires et d’amour dans ce récit que Constance Joly a eu raison de lécrire. Un écriture en très courts chapitres qui permet de ne pas tourner la page, surtout dit-elle «Pour inverser le cours du temps, ne pas te perdre pour toujours, pour rester ton enfant».
Peut-être le lecteur découvrira-t-il, acceptera et comprendra désormais ce qui a été un énorme changement dans la société française. Et je conseille vivement d’écouter avec délice cette merveilleuse chanson Over the rainbow. (Photo Roberto Frankenberg).
Nathalie de BROC : Lucile de Nantes (Ed Presses de la Cité – 355pages)
Bien qu’étant une suite, ce roman peut tout à fait se lire de façon indépendante.
L’époque : 1805, Lucile jeune femme téméraire qui a survécu à la Révolution Française revient des Antilles où elle avait suivi son époux Alexis de Préville, capitaine d’un navire marchand auquel un lourd passé la liait.
La traversée sera tumultueuse comme l’est son couple. Amour et haine, dominant dominé. C’est ce que nous décrypterons tout au long de ce roman foisonnant de batailles, tempêtes, affrontements complots et tragédies.
D’une plume vive et parfaitement documentée l’auteur nous fait vivre une épopée pleine d’imprévus, très entrainante et agréable à lire quand on aime l’Histoire.
Nathalie RHEIMS : Danger en rive (Ed Léo Scherer – 186 pages
Vingt-deuxième roman de cette écrivaine qui, une fois de plus, nous expose ses sentiments envers la mort et les disparus. Elle se met en scène en recluse volontaire, dans sa belle maison en vallée d’Auge, en compagnie de son chien Paul.
Menant une vie paisible et retiré, elle essaie d’oublier le traumatisme causé par un harceleur qui l’a poursuivie sur les réseaux sociaux et qui s’est échappé de l’hôpital psychiatrique où il purgeait sa peine.
Elle nous fait donc partager ses angoisses devant l’abando,n tant de la justice que de la société. Imaginant un scénario à partir d’un fait divers qu’elle a vu ou crû voir elle nous promène dans ses rêves ou ses prémonitions en embrouillant tout.
On a beaucoup de mal à la suivre, avec l’impression d’être baladée dans un n’importe quoi.
Très confus et peu crédible.
Michel LAURY : Johann Sébastian Bach et la représentation de l’univers
(Ed Amalthée -129 pages)
L’auteur nous dit tout de suite qu’il a écrit «Un essai, pour être compris par un lecteur non spécialiste», et du coup, l’on prend beaucoup de plaisir et apprenons beaucoup de choses en le lisant, bien que quelques fois, la technique musicale puisse nous.
L’auteur recherche : «Pourquoi la musique de Bach nous transporte-t-elle au ciel ?»
On apprend qu’il y a plusieurs formes musicales au XVIIème siècle : la Mort, le Divin et la Musique sont liés.
Dans un nouveau chapitre, résumé de la biographie de Bach (1685-1750), il s’intéresse au luthéranisme, nous explique l’importance de cette nouvelle religion, en quoi elle consiste et ses rapports avec la musique, Luther pense que «La musique est un puissant don de Dieu fait aux hommes» d’où l’importance des cantiques et du chant grégorien. Lui-même en a composés. Bach vénérait Luther (1483-1546).
Presque contemporain de Bach, Leibniz (1646-1716) l’influença aussi avec le concept d’harmonie, le contrepoint dont il est déjà question au début du livre, les dissonances, et les consonances. «La musique est un modèle de l’harmonie du monde». Suit un autre chapitre sur différentes musiques : religieuses, concertantes etc. …
Difficile de résumer ce livre très riche, Bach «Ce colosse musical et guérisseur d’âmes» a consacré sa vie, il le dit lui-même, à composer de la musique d’église à la gloire de Dieu.
Le chapitre sur la confrontation de Bach avec d’autres musiciens, en particulier Mozart est fort intéressant. Cela nous aide à comprendre mieux l’un et l’autre et à les apprécier différemment. Dans le dernier chapitre, quelques critiques de Bach faites par des personnages célèbres sont drôles et parfois originales. Celle d’Einstein par exemple, est particulièrement savoureuse, il écrit «Voici tout ce que j’ai à dire à propos de l’œuvre de Bach : écouter, la jouer, l’aimer, la vénérer et taisez vous»
Ce résumé a été un peu long et pourtant ne dévoile pas la moitié de ce que Michel Laury écrit, chaque mot est important, à peine a-t-on fini de lire ce magnifique essai que l’on a envie de courir écouter Bach et tous ceux dont l’auteur a fait mention.
Charif MAJDALANI : Dernière oasis (Ed Actes Sud – 267 pages)
Charif Madjalani, auteur libanais, professeur de littérature à l’université de Beyrouth publie son huitième ouvrage.
Le narrateur, Raphaël Arbensis, un archéologue libanais spécialiste du Moyen Orient, se rappelle et raconte.
C’était en avril 2014. Expert reconnu, il n’hésite pas à intervenir dans des cessions d’antiquités dont l’origine est douteuse. Il est une sorte d’«Arsène Lupin un peu snob de la vente d’antiquités». C’est à ce titre qu’il est contacté par le général Ghadban pour se rendre au nord de l’Irak expertiser des antiquités qui proviendrait du trésor de la famille de ce dernier et organiser leur vente. Il arrive dans l’oasis de Cherfanieh, dans la plaine de Ninive. Le lieu est magnifique mais son calme est relatif. L’oasis est occupée par des militaires car le danger rode. Les forces kurdes sont à l’Est, les djihadistes de Daech sont au Nord et à l’ouest.
Bien sûr, rien ne se passera comme il l’avait prévu.
Ce roman d’aventures est l’occasion pour l’auteur d’aborder de multiples questions : l’art et le beau, la propriété des vestiges archéologiques, la démocratie et le comportement de leurs dirigeants, le sens de l’Histoire qui selon son narrateur et donc lui-même, est le fruit d’un évènement imprévu ou du hasard et de l’entropie provoqué par les erreurs des hommes.
Un ouvrage original qui se lit agréablement bien que certains passages des discussions sur l’entropie soient un peu répétitifs.
Thierry SCHWAB : OPTIMA 2121 Le monde dans cent ans, si proche, si différent
(Ed L’ombre rouge – 261 pages)
Thierry Schwab est polytechnicien. Il a créé une galerie d’art contemporain, un site internet de poésie française et une maison d’éditions, L’ombre rouge, où il a publié ses deux derniers romans.
Cet ouvrage, sorti en mars 2021, met en scène un journaliste scientifique parisien, Damien Ferlot, qui accepte d’être le cobaye de Pierre Maréchal, un astrophysicien spécialiste de la relativité générale et d’être envoyé dans le futur pour une durée de six mois.
Damien va partir le 12 avril 2019 pour arriver dans le futur à la date du 13 avril 2121, soit cent ans plus tard. A son retour il devra faire un compte rendu de tout ce qu’il aura constaté au seul Pierre Maréchal, puis faire effacer de sa mémoire tout ce qu’il a vécu.
Mais il ne tient pas sa promesse et relate son expérience.
L’auteur nous emmène alors dans le monde qui lui paraît possible d’exister dans cent ans au vu des progrès de la science et de l’évolution probable des conditions géopolitiques. C’est bien vu et original.
Mais OPTIMA est-elle devenue la planète du bonheur ? L’utilisation de l’intelligence artificielle peut-elle entrainer un risque d’un monde mené par les robots humanoïdes ? Si l’on connaît le futur, peut-on le modifier par les actes du présent ? Le lecteur sera seul juge.
Un très bon moment de lecture. Les varois comprendront que l’auteur connaît bien ce département, où il situe quelques scènes.
Wilfried N’SONDE : Femme du ciel et des tempêtes (Ed Actes Sud – 267 pages)
C’est le sixième roman de cet auteur né à Brazzaville, vivant actuellement à Lyon.
L’histoire se passe aux confins de la Sibérie, dans la péninsule de Yamal. Noun, chaman Nenets, lors d’un glissement de terrain, découvre la sépulture d’une reine africaine ayant vécu il y a plus de 10.000 ans. Cette Africaine de l’Arctique, comme il la nomme, vient alerter le monde sur les problèmes climatiques et le respect de la planète. Elle tombe à point nommé car des gigantesques travaux d’exploitation des réserves de gaz vont commencer dans la zone. Cette découverte archéologique va peut-être permettre d’arrêter ce saccage.
Noun prévient immédiatement son ami Laurent Joubert, zoologue français qui décide de monter au plus vite et dans le plus grand secret une expédition scientifique de reconnaissance. Joubert doit convaincre Cosima Meyer-Yamazaki, médecin légiste germano japonaise et le jeune ethnologue congolais Silvère Mabanza de compléter l’équipe. Bien sûr, ils vont devoir affronter la mafia russe locale et le propre neveu de Noun qui espère devenir chef de chantier des futurs travaux gaziers.
Un roman d’aventures mettant en avant l’antagonisme entre les protecteurs de l’environnement et les industriels, mais qui donne une place excessive et peu crédible à la communication entre les mondes visible et invisible.
Gilles PARIS : Un baiser qui palpite là, comme une petite bête (Ed Gallimard – 213 pages)
Ils se prénomment Tom, Emma, sa sœur Timothée, Gaspard, Sarah, Romane, Julien, Aaron… tous 15/16 ans, dans la même école et qui ont tous un point commun : Iris.
Iris est cette gamine violée par son beau-père, qui n’a pas été crue par sa mère, et qui pour se venger de la vie et des hommes, s’est mise à coucher avec tous les gars de la classe, jusqu’à ce que ses frasques arrivent sur les réseaux sociaux.
Tout le monde alors lui tourne le dos, lui crache dessus comme sur une pestiférée, même ceux qui ont profité de ses charmes… Jusqu’à ce que, la vie devenant impossible, elle se suicide.
Un énorme choc pour tous, des regrets, des culpabilisations, et chacun va se raconter, raconter sa vie d’adolescent toujours un peu compliquée à cet âge-là, avec ses peurs, ses espoirs, ses joies, ses tristesses, ses amis, ses amours, ses emmerdes, comme le chantait Aznavour, et cette fameuse aventure que chacun vit à sa manière : sa première fois.
Emma et Tom sont les deux personnages centraux autour desquels les autres gravitent, chacun pour des raisons différentes.
On y retrouve Gilles Paris, qui nous avait offert un roman très autobiographique : «Certains cœurs lâchent pour trois fois rien» et dont certains personnages lui ressemblent.
Tous ces émois et problèmes d’ado sont magnifiquement transcrits. Chacun se retrouvera dans un des personnages car on a tous vécu cette période difficile entre l’enfance et l’âge adulte.
Leurs histoires s’imbriquent, chacun se raconte au jour le jour et peu à peu révèle sa personnalité, ses histoires intimes, par petites touches, à travers le souvenir d’Iris qui reste prégnant dans leur jeune mémoire.
L’histoire est écrite comme pourrait l’écrire ces ados, avec leurs mots à eux, ce qui parfois est un peu difficile pour les moins jeunes qui doivent s’adresser au lexique de leurs expressions que l’on retrouve à la fin du livre !
Un livre plein de tendresse et d’émotion, plein de questionnements de ces ados qui ont peut-être mûri trop vite.
Comme toujours, Gilles Paris joue sur la corde raide, la corde sensible des sentiments et l’on a presque envie de retrouver ses personnages pour savoir ce qu’ils vont devenir.
Romain SARDOU : Un homme averti ne vaut rien (Ed XO – 342 pages)
Le roman de Romain Sardou ne laisse aucune place à la miséricorde et au pardon.
Un homme est froidement assassiné, personne ne bronche, donc c’est la règle.
Le titre d’ailleurs prévient le lecteur qu’un homme averti ne vaut rien. L’histoire prend sa source en Irlande pour les Bateman, en Angleterre pour les Muir et sur plusieurs générations avec des trafics bien juteux et des hommes prêts à tout, les fortunes s’accroissent et ce sont ces clans mafieux que le lecteur découvre au fil des pages.
Intéressant par exemple de prévoir l’extension du port de Savannah surtout quand l’amour s’en mêle. Nombreux rebondissements, des fortunes dont on a du mal à mesurer l’importance, toujours un esprit de vengeance soit pour dominer soit pour assouvir sa haine.
Roman à tiroirs, le lecteur y trouvera son compte s’il aime les clans, les puissants et a encore un peu d’espoir dans l’amour.