Jean-Baptiste ANDREA : Des diables et des saints (Ed. L’iconoclaste – 364 pages)
Un titre qui à lui seul résume le magnifique roman de Jean-Baptiste Andrea.
Qui n’a pas été ravi d’entendre dans une gare, une mélodie, un morceau de musique classique, du jazz, des notes hésitantes de débutant ou comme dans ce roman un toucher particulier, un toucher qui traduit une vie entière de souffrance, un toucher qui a saisi le mot magique de rythme.
Joe est orphelin et subit comme de nombreux autres garçons le régime sévère d’un orphelinat tenu par l’abbé Sénac assisté d’un garde-chiourme, ancien de la légion étrangère. Joe a appris à jouer du piano avec son maître Mr Rothemberg. Une tape derrière les oreilles n’était jamais de la maltraitance, c’était une marque d’encouragement !
Dans cet orphelinat, une société secrète avec ses membres Souzix, Sinatra, Edison, Fouine et Danny accueillera Joe et son petit protégé Momo, les rendez-vous sont nocturnes, il faut impérativement échapper à l’œil de l’abbé Sénac, un abbé qui impose la soumission aux plus rebelles. Cet abbé aurait-il subi plus jeune des sévices ?
Tout le roman est rythmé par la musique, les sonates de Beethoven et le conseil à ne jamais oublier de Mr Rothemberg «Joue, bubele, tu dois entendre la voix de ton peuple».
Il y a aussi le lien magique que Joe entretient avec Michael Collins l’astronaute, un dialogue d’espoir car Collins savait que la pire des solitudes ne dure que quarante-sept minutes et que Columbia finirait par émerger dans la lumière.
Ce roman est bouleversant et mérite largement le grand Prix RTL 2021. Une plongée dans un monde que tous espèrent révolu et une réflexion sur l’influence de l’éducation.
Qu’en est-il des conséquences sur les futures générations ?
Isabelle de COURTIVRON : L’été où je suis devenue vieille (Ed.L’iconoclaste -192 pages)
Brillante universitaire franco-américaine qui a beaucoup vécu aux US, Isabelle de Courtivron a écrit sur des femmes marquantes de la société avant de se confronter au temps qui a passé, à l’été où elle est devenue vieille.
Après avoir campé son propre personnage de battante dans la vie sociale et intellectuelle elle nous offre une évocation de son parcours familial et ses choix de vie. Avec humour et tendresse elle s’étend sur cet avenir qui s’annonce plus sombre de ce que l’on ne peux plus faire et non de ce que l’on voudrait faire.
Bien sûr c’est la vie mais avec bien de nostalgie et de regrets aussi.
Elle n’a pas anticipé, c’est le temps qui l’a gagnée. Elle s’y résout honnêtement et avec le sourire mais avec quelque tristesse aussi. C’est un constat sans concession dans un style émouvant et plein d’éclat.
Maylis de KERANGAL: Canoës (Ed.Gallimard -167 pages)
Bien que l’écrivaine présente son roman comme un recueil de pièces détachées, il se présente plutôt comme des nouvelles centrées sur la voix que l’on retrouve partout et sur Mustang qui est un peu le cœur du livre.
Mais la liaison entre ces différents tableaux parait un peu artificielle.
Certes fort bien écrit comme toujours, le souffle des descriptions, la finesse des perceptions sont présentes, toutes les évocations de la voix y sont évoquées mais il n’en reste qu’une impression un peu disparate de petits raccords.
Charmé mais perplexe on reste un peu sur sa faim.
Jean des CARS : Au cœur des royautés (Es Perrin – 391 pages)
Cet ouvrage compile les textes diffusés dans «Au cœur de l’histoire», émission et série de podcasts d’Europe 1, écrits et racontés par Jean des Cars.
Avec un véritable talent de conteur, Jean des Cars trace les portraits de grandes figures historiques, rois, reines, empereurs et impératrices et relate les évènements marquants du passé.
Cléopâtre, Théodora, le roi Arthur, Elisabeth 1er, Gabrielle d’Estrées, Marie-Antoinette, Marie-Thérèse, Raspoutine, Sissi et François Joseph, Alexandre II et Katia, Marie de Roumanie, l’impératrice Eugénie, Elisabeth II, Lord Mountbatten sont présentés dans leur vie publique et privée, intimement liées.
S’intercalent entre les chapitres, quelques rubriques intitulées «Le saviez -vous ?» qui rapportent des anecdotes et répondent à des questions du type : Comment Louis XV espionnait les Français ? Comment Louis XVI a piégé les Français pour qu’ils mangent des pommes de terre ? Marie-Antoinette s’est-elle servie d’un tableau pour faire grimper sa popularité ?
Un ouvrage de vulgarisation qui plaira à ceux qui s’intéressent à la grande et la petite histoire et à ceux qui souhaitent avoir une trace écrite de ces émissions radiophoniques.
Tatiana de ROSNAY : Célestine du Bac (Ed. Robert Laffont – 325pages)
Curieux roman que cette Célestine du Bac, premier roman de l’auteur refusé à l’époque par les éditeurs et qu’elle ressort aujourd’hui. Souvenir de jeunesse nul doute puisque le héros, jeune lycéen d’un prestigieux établissement parisien, fils d’une famille fortunée réduite à une mère absente et un père célibataire à la recherche d’un nouvel amour en élevant ce fils doué mais assez atypique au point d’avoir raté par deux fois son bac. C’est sur le chemin du lycée qu’il rencontre une vieille clocharde Céléstine dite « Titine du Bac », c’est-à-dire de la rue du Bac. De la curiosité à l’émoi, de la pauvreté et de la solitude il va construire sa vie à travers elle et donner des leçons à son père en faisant se côtoyer des mondes inconciliables et en tirer des sentiments d’humanité et de confiance.
De bons sentiments, de bonnes études de caractères qui décèlent le futur talent de cette écrivaine aujourd’hui connue et reconnue.
Éric LE NABOUR : Les promesses de l’innocence (Ed Les Presses de la Cité – 412 pages)
Clotilde, Judith et Naîma sont trois jeunes filles fidèles en amitié depuis leur adolescence.
En 1953, elles fêtent joyeusement leurs vingts bougie à Alger. Bien que de religions différentes, Clotilde chrétienne, Judith juive et Naîma musulmane, rien n’entrave leur joie de vivre et leurs futurs espoirs. C’est sans compter avec un climat politique qui se détériore, les tensions religieuse quis créent désormais une barrière infranchissable entre les communautés. Clotilde est fille d’un officier de carrière qui a connu la guerre d’Indochine et les hauts faits comme les exactions et se mure dans le silence, Judith fille d’un bijoutier travailleur et respectueux des croyances de ses voisins a pour amant un musulman et enfin Naîmai se retrouve recluse dans sa cuisine et soumise à ses frères entrainés dans les rets du FLN et disparus dans la clandestinité.
Eric Le Nabour relate avec précision le développement de la guerre d’Algérie que le gouvernement n’a sans doute pas su gérer dès les prémices. Il nous livre un regard très pertinent de participants vivant le drame qu’est la guerre depuis la ville d’Alger en 1954. Les politiques à Paris n’entendent rien au peuple algérien, nient leurs revendications et les attentats commencent dans les provinces pour finalement gangrener tout le pays et notamment Alger. Les trois amies se murent dans leur famille, se soumettent ou non à leur père ou frère et chacune vivra intensément et douloureusement cette triste période de l’histoire. Il y a toujours un prix à payer.
Un titre prometteur bien vite compromis car d’innocence il n’y a plus.
Une lecture fluide, des faits historiques relatés avec réalisme sans doute plus faciles à découvrir dans le cadre d’un roman.
Marybel DESSAGNES : Gontran DESSAGNES ,musicien humaniste des deux rives (Ed GBGDB – 250 pages)
Dans ce livre largement documenté grâce à des archives familiales et à un voyage en Algérie la dernière fille de Gontran Dessagnes fait le récit de la vie de son père, né à Cholet le 25 mai1904 et décédé à Toulon le 29 juillet 1978.
Né dans une famille de teinturiers, d’une mère catholique pratiquante, Gontran Dessagnes apprend le piano et fait des débuts fulgurants de concertiste dans les années 1920.
Alors qu’il est en tournée en Algérie, il est nommé pianiste soliste et chef d’orchestre de Radio Alger. Il sera également directeur du conservatoire d’Alger où il créera des classes de musiques arabo-andalouses. Les évènements entraineront son rapatriement en 1964 et sa nomination au poste de directeur de l’école nationale de musique de Bayonne. Mal accueilli par le maire, anti Pieds Noirs, rejeté par ces derniers comme traitre car il était pro algérien, il sera renvoyé pour « incompétence » et sera mis prématurément à la retraite après avoir perdu un procès en Conseil d’État. Il finira sa vie à Toulon, dans l’oubli.
Pourtant cet homme fut un brillant soliste et directeur d’orchestre ainsi qu’un prolixe compositeur.
Ainsi, il créera un opéra, un oratorio, une musique de ballet, une messe de Sainte Cécile, un Stabat Mater, sept œuvres concertantes, trois suites d’orchestres symphoniques, des œuvres pour deux guitares et une version de l’hymne algérien.
Un livre qui fait découvrir un personnage passionné.
Camille GOUDEAU : Les chats éraflés (Ed. Gallimard – 267 pages
Un premier roman qui ne laisse pas indifférent car comment la vie d’un bouquiniste sur les quais de Seine ne pourrait pas intéresser des amoureux des livres ?
Soizic, grande, oui un mètre quatre-vingt, belle jeune fille de vingt-deux ans quitte sa famille brutalement pour Paris avec pour seule référence un oncle qu’elle n’a jamais vu. Un défi qui paie car avec une promesse d’embauche et un toit, tout pourrait se dérouler sans faille
C’est la découverte d’une famille, du Paris glauque et difficile pour les pauvres ou sans papiers, mais surtout le monde étrange et merveilleux des bouquinistes des quais de Seine. Son cousin, amusé par son culot, l’embauche à l’essai et c’est pour nous, lecteur, la découverte de ce métier tellement dur, ingrat mais aussi plein de récompenses littéraires et humaines que nous faisons page après page avec Soizic.
Une panoplie de personnages attendrissants, l’obligation de faire son chiffre d’affaire avec la bimbeloterie pour touristes, tours Eiffel à gogo, et au fil des saisons le chaud, le froid, la pluie, le maniement des caisses de livres, subtil pour non initié, l’entraide entre bouquinistes, tout cela est relaté dans le livre de Camille Goudeau elle-même bouquiniste. Il y a aussi la recherche inconsciente de la mère de Soizic, une mère qui l’a abandonnée à six ans et ne se manifeste qu’en cartes d’anniversaire, et surtout un nombre incalculable de bières éclusées par caisses, mal déjà bien connu de Soizic élevée par des grands-parents alcooliques.
Un style chaotique, une certaine vulgarité mais une écriture à suivre, et surtout l’envie d’aller bien vite faire la connaissance de l’auteur, cela doit être assez facile !
Anne PARILLAUD : Les Abusés (Ed. Robert Laffont – 367 pages)
Terrible roman que cette actrice reconvertie en écrivaine nous livre.
Premier roman bouleversant qui relate les tourments d’une femme qui lâche une vie rangée et tranquille auprès d’un mari aimant et de leurs trois enfants pour se lancer à corps perdu dans une passion amoureuse violente, passionnée, tumultueuse comme dans un combat, avec un peintre renommé, plein de mystère et de violence, qui fait de chaque étreinte une guerre qui réveille chez l’auteur les émotions refoulées, enfouies sous le déni de l’inceste qu’elle aurait subi par son père dans sa jeune enfance.
Horrible rétrospective que l’évocation de cet amour ravageur dans ce monde frelaté de la jet-set, de l’argent facile et d’une vie compliquée.
Beaucoup de talent pour cette femme mûrissante pour nous plonger dans un climat d’amour dévastateur qui nous entraine dans un malaise profond au point de rendre cette lecture dérangeante, insupportable même.
Un gros livre bouleversant, inquiétant même, tant le malaise est grand, rendu en phrases courtes et haletantes, brutales, elliptiques.
A ne mettre qu’entre certaines mains. On en sort brisé.
Sylvain TESSON : Un été avec Rimbaud (Ed Equateurs – France Inter – 218 pages)
Dans ce livre qui reprend les émissions diffusées sur France Inter pendant l’été 2020 «un été avec Rimbaud» par Sylvain Tesson, nous partons en trois chapitres à la découverte d’Arthur Rimbaud : Le chant de l’aurore, le chant du verbe et le chant des pistes.
Cet ouvrage, qui comprend de nombreuses citations des œuvres de Rimbaud, n’est pas une biographie mais la tentative d’analyse par l’auteur de la personnalité de ce poète.
Tesson partage avec Rimbaud ce phénomène psychiatrique nommé dromomanie, c’est-à-dire une impulsion incontrôlée à marcher, se déplacer. Rimbaud marchera, adolescent, le long de la Meuse autour de Charleville Mézières, sa ville natale, fuguera et ira à pied à Paris rejoindre Verlaine, marcher jusqu’en en Belgique. Puis il marchera en Afrique, jusqu’à ce qu’un cancer des os, touchant le genou, le conduise à Marseille où il mourra en 1891, à 37 ans.
Génie précoce, il écrit à 16 ans « Le Bateau Ivre ». Il veut être un poète qui transforme le monde par les mots et qui arrive à l’inconnu par le dérèglement des sens. Comment comprendre l’hermétisme de sa poésie ? La consommation de poison, (c’est ainsi qu’il nomme l’opium qu’il consomme) n’est pas la seule explication. Pas plus que son appartenance au mouvement zutiste, qui veut ridiculiser l’Académie.
Pourquoi Rimbaud cesse-t-il toute production artistique et part-il en 1875 pour cinq années de voyages erratiques pour finir par se fixer à Aden comme négociant en armes ?
Un livre, d’une écriture raffinée à laquelle nous a habitué Sylvain Tesson, qui donne envie de relire Rimbaud