Juliette GRECO : «J’aime décliner le verbe aimer»

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Décidemment cette année verra disparaître de magnifiques artistes.
Après mon amie Annie Cordy, voici que disparaît celle qui fut la muse de Saint-Germain des Prés et qui devint l’une de nos plus grandes interprètes de la chanson française. On avait Piaf, on avait Barbara, il nous restait Gréco… Et la voilà partie aussi.
Elle fut l’une des plus belles interprètes que puissent avoir les auteurs et compositeurs qu’elle a toujours choisis sans jamais se tromper et souvent alors qu’ils étaient peu ou prou connus, de Brel à Béart, de Ferrat à Gainsbourg, de Ferré à Fanon, de Brassens à Leprestre… Et puis elle chanta Vian, Dimey, Prévert, Queneau, Sartre, Sagan, Jean-Claude Carrière, Mouloudji, Trenet, Jouannest… C’était encore la période où la chanson française possédait ses lettres de noblesse.
Mais elle s’intéressait beaucoup à la chanson d’aujourd’hui, comme Julien Clerc ou Etienne Roda-Gil, Maxime le Forestier, Bernard Lavilliers ou  encore Abd El Malik avec qui elle chanta.
Chacune de ses chansons avait une histoire qu’elle nous distillait avec gourmandise, avec sensualité, en grande comédienne qu’elle était, avec une gestuelle d’une finesse et d’une grâce incroyables : «Déshabillez-moi», «La Javanaise», «Voir un ami partir», «Si tu t’imagines», «Un petit poisson, un petit oiseau», «Je suis comme je suis», «Les feuilles mortes», «Il n’y a plus d’après», «Jolie môme»… La liste est longue de ces chansons, de ces petits bijoux qu’elle nous a offerts durant… 70 ans ! Incroyable !

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Avec Micheline Pelletier et Jacques Higelin

Elle était une magnifique comédienne mais le cinéma ne l’a pas gâtée, à part une incursion américaine avec Darryl Zanuck avec qui elle vécut, Huston, Fleisher, Welles… Mais ce ne fut pas l’ouverture à une carrière qu’elle aurait mérité… Même après la série télé «Belphégor» qui, pourtant, enflamma la France. Mais sa carrière d’interprète, de diseuse est tellement dense, riche, belle qu’il n’y a rien à regretter.
Je l’ai rencontrée à diverses reprises, en tant que journaliste mais le souvenir qui me reste fut cette journée que la Ville de la Valette du Var consacra à la période de Saint-Germain-des-Prés où elle fut l’invitée d’honneur, où elle donna un récital le soir et où elle rencontra le public l’après-midi. Rencontre que j’eus la chance d’animer.
Ce fut un feu d’artifice de bons mots, d’élégance, de liberté dans le langage car elle appelait un chat un chat et nous fûmes sous le charme car elle avait des souvenirs à la pelle, et, suite à cette rencontre, elle me félicita de mes connaissances de cette époque et d’avoir tenu deux heures avec elle…

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Et elle m’embrassa sur la bouche ! Ce sont des choses que l’on n’oublie pas !
Puis je devais la rencontrer souvent à Ramatuelle où, lorsqu’elle n’y chantait pas, elle venait voir les amis en voisine, s’étant établie dans ce village pour lequel elle eut le coup de foudre. Elle ne m’embrassa plus sur la bouche mais souvent nous avons partagé une coupe de champagne !
Alors que cette semaine, la Villa Tamaris recevait Yann Arthus-Bertrand, invité par l’association «L’œil en Seyne», sa présidente, qui n’est autre que Jacqueline Franjou, également présidente du festival de Ramatuelle me parla bien sûr d’elle avec beaucoup d’émotion :

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« Juliette venait chanter en 85 et dès notre rencontre une relation amicale s’instaura, qui a duré 35 ans. En 86, elle m’appelle pour me dire qu’elle a l’intention d’acheter un terrain à Ramatuelle et voudrait rencontrer l’architecte qui a créé le théâtre, Serge Mège. A quelque temps de là, elle s’installe donc dans sa villa avec son compagnon Gérard Jouannest qui est musicien et fut le compositeur et le pianiste de Jacques Brel avant de devenir le sien.
Et puis un jour, elle m’appelle pour m’annoncer leur mariage, et me demande de la marier (j’étais alors adjointe à la mairie) et d’être à la fois son témoin. Tu vois à quel point notre lien d’amitié était devenu un lien familial.
Plus tard, alors que Gérard ne voulait pas en entendre parler, avec quelques amis nous lui avons offert une chienne de race qu’elle nomma Rosebud. Aujourd’hui elle doit être bien malheureuse car elles ne se quittaient pas et elles dormaient ensemble.
Que gardes-tu de toutes ces années d’amitié ?
Tellement de choses !
C’était une personne d’une grande simplicité, qui aimait les gens mais détestait les sots. Elle avait le sens du mot et pour toute chose, son langage devenait poétique. Chez elle, les mots prenaient une vie assez étrange. Elle avait toujours un petit air malin et ses mains étaient d’une grâce infinie. Elle avait travaillé avec Marceau, avait fait de la danse et tout cela ressortait.
Elle avait gardé des yeux d’enfant et cherchait des réponses à tout.  «J’aime décliner le verbe aimer» m’avait-elle dit un jour. Mais souvent, elle nous offrait de belles phrases, des expressions comme celle-ci.

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C’était une guerrière, une chanteuse engagée. Elle était profondément corse est avait une liberté de vie et d’expressions invraisemblable. Mais elle avait su rester simple, dans la vie au quotidien elle était une personne ordinaire, elle ne joua jamais à la star.
Brel, Ferré, Brassens, tous l’ont faite chanter et je me souviens de cet hommage que nous avons consacré à ces trois artistes et qu’elle a voulu présenter elle-même. C’était magique…
Aujourd’hui elle me manque beaucoup et j’espère qu’elle aura des obsèques nationales car s’il en est une qui le mérite, c’est bien elle ».
A 90 ans passés, elle avait décidé d’arrêter de chanter et de faire une grande tournée d’adieu, intitulée « Merci » car, disait-elle, elle ne voulait pas qu’on la voit  affaiblie ou décatie. Malheureusement, elle dut arrêter cette tournée en chemin et elle se calfeutra chez elle, ayant déjà perdu sa fille et son mari.
Elle sera enterrée le 5 octobre à Saint-Germain-des-Prés d’où tout est parti… Voilà plus de 70 ans…

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Jacques Brachet