Alain ARNAUD : Capitaine au cœur d’or (Ed. BoD – 207 pages)
Avec ce troisième roman Alain Arnaud abandonne sa terre natale pour nous faire partager ses souvenirs d’adolescence dans les embruns de Belle île en mer où il situe sa stupéfiante rencontre avec Pierrot ,un vieux pirate au long cours à la recherche de ses origines et surtout de sa mère qui l’a abandonné à sa naissance.
Foin de soleil et de chaleur c’est dans les terres agricoles au bord de mer certes mais dans un milieu rural qu’il évoque le destin de Joss, fils de fermier élevé comme on l’était en ces temps-là entre éducation scolaire et travaux des champs, entrecoupé de loisirs maritimes »pêche aux pousse-pieds » et autres coquillages qui l’amèneront à rencontrer Pierrot capitaine au long cours retiré dans l’île mais difficilement accepté par les locaux hostiles à la nouveauté et au mystère qui l’entoure.
Le lien qui va s’engager entre le marin audacieux et l’enfant nous transportera dans un monde de rêve et de réalité, entre aventure du voyageur qui l’initie à la lecture, aux astres, à la mer tiraillé par un père borné qui veut l’attacher à la terre familiale et à la médiocrité.
Un beau roman plein de mystère, de voyages, de rudes rapports terrestres et maritimes qui le feront grandir , l’éclosion d’un homme de cœur à travers les hésitations de l’enfance<.
Bien écrit, bien ressenti , ce troisième roman affirme le talent de l’auteur qui possède un vrai talent de conteur et de passeur de rêves
Adeline FLEURY : Ida n’existe pas (Ed François Bourin – 141 pages)
Ida n’existe pas, elle n’a même pas droit à la vie sauf dans la tête terriblement malmenée d’une femme. Une femme qui ne cesse de donner le sein, laver, soigner, peigner, promener un bébé comme toute jeune maman, mais cette mère perçoit en elle des instincts de maltraitance jusqu’au meurtre. Qui est cette femme qui décide de prendre le train avec son bébé pour découvrir la mer, une mer difficile à atteindre car, après le train, il lui faudra prendre le car, et cette mer emportera-t-elle le bébé ?
Cette femme vit ou plutôt survit après un passé où le métissage devient une barrière. Comment vivre avec une peau de blanche mais le sang d’une gabonaise soumise au rituel de sa tribu Njembè ?
Une société secrète constituée de femmes uniquement, une secte qui selon la résistance à la douleur, la peur mènera la jeune fille au mariage avec un blanc ou à la prostitution.
Ce roman donne la mesure des coutumes ancestrales de certains peuples, des rites qui se heurtent violemment au monde moderne, un monde qui pourtant ne se caractérise pas par sa douceur.
Ida, bébé fantôme, est le fruit de ces traditions et de ces frustrations, Ida n’existe pas nous dit Adeline Fleury, elle est pourtant bien présente tout au long de ces 141 pages. Elle vit et doit vivre pour que sa mère regarde le monde en face. Mais est-ce possible ?
Un roman qui rappelle un fait réel rapporté dans les journaux, : En effet, une femme d’origine africaine avait déposé son bébé au bord de la Mer du Nord attendant que la marée l’emporte. Un fait divers ou un drame personnel ? Adeline Fleury a écrit avec force et magie la douleur de cette femme, il n’y a aucun jugement, non, seulement un constat de folie.
Émouvant mais très instructif pour éviter de juger ou critiquer sans savoir.
Jean-Marie BLAS de ROBLES : Ce qu’ici-bas nous sommes (Ed Zulma – 221 pages)
Un roman extraordinaire mêlant littérature, histoire, géographie, philosophie, science, poésie depuis la très haute Antiquité jusqu’à nos jours.
Jeant-Marie Blas de Roblès s’amuse, amuse, entraînant le lecteur dans une fiction complètement folle où un certain Augustin Harbour est recueilli en plein désert de Lybie par les habitants de l’oasis de Zindan. Une oasis bien particulière où s’affrontent des clans d’Amazones, de mangeurs de crevettes, de trayeurs de chiennes. Des lois régissent ces clans, un chaman règne en maître, des amours, des jalousies, des découvertes étranges, un territoire d’où nul ne peut sortir une fois entré, rien n’arrête la plume de l’auteur.
Il faut se laisser entraîner dans cette vaste fantaisie délirante, agrémentée à chaque page d’une multitude de dessins dans la marge, et quels dessins !
Et au fil des pages, le lecteur retrouve son âme d’enfant rêveur.
La maîtrise du récit, les détails savoureux, leur origine, tout est vrai et pourtant tout semble une œuvre magistrale d’imagination.
Une lecture inédite et surtout un véritable plaisir de lecture.
Nathalie COUGNY : Amour Amor (Ed du Net – 188 pages)
J’avoue avoir un dilemme avec ce roman qui n’en est pas vraiment un puisque c’est l’histoire de Nathalie Cougny racontée par elle-même.
Elle a la belle cinquantaine et un coup de foudre réciproque va lui faire avoir une aventure avec un homme de 15 ans son cadet. Aujourd’hui, ça ne choque plus personne, sauf, peut-être, elle qui se rend compte que cet homme à la force de l’âge, vit avec quelqu’un, a envie d’avoir des enfants alors qu’elle, qui en a eu quatre, ne pourra jamais lui en donner.
Et nous entrons de plain-pied dans cette histoire qui, elle le sait, aura un jour une fin. Mais elle est folle amoureuse. Lui aussi mais à sa manière et c’est donc une histoire qui va se vivre au jour le jour, avec beaucoup de SMS et d’appels téléphoniques entre deux rencontres qu’il décide lorsqu’il peut se libérer ou qu’il a en envie. Le problème est qu’elle a envie de le voir tous les jours, de le toucher, de faire l’amour avec lui. A tel point que ça en devient une souffrance insoutenable.
Tergiversations d’une femme qui sait que son histoire risque de ne pas aller loin à ce rythme-là, qui retient ses élans pour ne pas le perdre et qui, à travers cette relation chaotique, nous raconte sa vie, de son enfance entre une mère possessive et jalouse, qui l’a désirée, un géniteur absent qui, à l’inverse d’elle, avait 25 ans d’écart avec sa mère, un amant violent et qui va passer d’un psy à l’autre pour essayer de comprendre et de se reconstruire…
Le chemin est long, sinueux et ce livre l’est aussi pour nous qui essayons de suivre l’auteure dans ses méandres de petite fille mal aimée et de femme qui voudrait être aimée comme elle aime.
Mais surtout, durant toute cette lecture, on est distrait par une faute de temps qui parcourt le livre car elle confond le futur et le conditionnel. Une fois pourrait être une erreur de frappe mais tout au long du livre ça distrait et ça agace.
Dommage. Ce qui est surprenant, c’est qu’elle en est à son 17ème livre et qu’il semblerait que personne ne le lui ait jamais dit.
Loris BARDI : La position de schuss (Ed le dilettante – 221 pages)
Un chirurgien orthopédiste devient le médecin des stars après avoir raccompagné une cliente à sa voiture et avoir été flashé par la presse people à son insu. Sa vie en sera bouleversée.
Divorcé, il a la garde de son fils Dany jeune ado de dix-sept ans, une semaine sur deux. La vie semble facile, l’appartement à New York est assez grand pour leur laisser une totale liberté de mouvement quand ils vivent ensemble, et le chirurgien qui espérait tant devenir sculpteur dans ses jeunes années a maintenant l’espoir de devenir un grand écrivain comme Jonathan Frantzen. La méthode ? Boire, boire, boire jusqu’à l’écriture automatique ou l’inspiration de l’alcoolique ! Ça ne marche pas, d’autant que le service dans lequel il travaille commence à se plaindre de son haleine et de son geste moins sur.
Côté cœur, une ancienne maitresse propriétaire d’une galerie de peinture moderne et depuis peu le professeur de sciences de Dany, affublée d’un malheureux polype nasal qui lui donne une intonation bien particulière mais ne gâte en rien le charme de ses formes généreuses et de ses tenues excessivement moulantes et suggestives qui ne peuvent qu’attirer l’œil du chirurgien.
Vous devinez la suite…
Un roman fort sympathique, très américain, très américain.
Frédérique DEGHELT : Sankhara ( Ed Actes Sud – 384 pages)
Une bien belle couverture des éditions Actes Sud pour le dernier roman de Frédérique Deghelt,: un visage de femme couvert de paillettes d’or.
Un roman qui met en scène le couple d’Hélène et de Sébastien et que l’auteur dissèque après avoir expérimenté la méditation avec la méthode Vipassana de Goenka, prédicateur birman aujourd’hui décédé.
Après une dispute qui a failli se terminer par des coups, Hélène part sans bagages ni mot d’explication. Son mari ne sait rien, les enfants recevront chaque jour des nouvelles de leur mère et même un petit cadeau, mais mystère, nul ne sait où Hélène est partie.
Chaque chapitre correspond à la période de retraite de silence qu’Hélène a intégrée, un chapitre par jour vu par elle puis par Sébastien. Car ce n’est pas facile de chausser le rôle de mère de jumeaux de cinq ans et de continuer son métier de journaliste.
Une progression pour l’un comme pour l’autre, un couple qui s’est profondément aimé mais que le temps a peut-être abimé car les jours ne sont plus ceux de la rencontre merveilleuse. Des questions, ils s’en posent, elle, expérimentant le lever à quatre heures du matin, les heures de silence imposées dans des postures insupportables créant une douleur insoutenable qui miraculeusement se transforment en bien-être, les fameuses sankharas de Frédérique Deghelt, et lui, se débattant avec le quotidien, la culpabilité, le questionnement sur les écrits d’Hélène troublants au possible.
Ce roman ravira les lecteurs inspirés par cette méthode de concentration et de perception des plus petits détails de la vie. Le roman s’accélère le jour où le monde apprend avec effroi l’attaque des deux tours du World Trade Center à New York, une occasion d’analyse journalistique très pertinente de l’auteur. Il est évident que l’épreuve que s’impose Hélène et qu’elle impose à Sébastien modifiera leur comportement et leur vie.
Un roman peut-être un peu trop long, très bien documenté, remarquablement écrit pour les descriptions de la nature au petit matin.
Reste la méthode vipassana… peut-être pas pour tout le monde !
Alain BERTHIER : Notre lâcheté (Ed le dilettante – 126 pages)
Seul et unique roman écrit par Alain Berthier – de son vrai nom Alain Lemière – en 1930, « Notre lâcheté » glace le lecteur par la violence, la veulerie et la perversité des personnages.
Un jeune garçon persécuté à l’école par ses camarades qui voient en lui le faible à abattre et écrasé sous les principes religieux de repentance imposés par sa mère, grandit dans la dissimulation et le secret pour survivre.
Attiré par les femmes mais dans un rapport malsain de défiance et de voyeurisme, il ne peut trouver espoir ni apaisement dans une relation normale. Sa rencontre avec Pauline, vieille prostituée en mal d’amour et de chair fraîche enclenche une guerre pernicieuse entre ces deux êtres, ce sera à qui avilira le plus l’autre.
Paule piège l’amant en l’épousant, elle a le pouvoir de l’argent, il a la lâcheté de tout accepter tout en la haïssant. Il exècre tout en elle, son poids énorme, ses rides, son âge, et pourtant ce qu’il hait en elle l’attire et le retient. Il ira jusqu’à la battre une fois, deux fois et pourquoi pas plus et ainsi jusqu’à la mort ?
Roman déstabilisant par son sujet et l’analyse repoussante qu’en fait l’auteur. On reste intrigué par ce roman qui porte bien son nom et que les éditions Le Dilettante ont eu le courage de rééditer.
Mais ce ne sera sans doute pas un succès de librairie !
Séverine de la CROIX : Au milieu de la foule (Ed. rocher – 347 pages
Sympathique rencontre que celle de ces deux célibataires.
Elle ; Mado, aide-soignante dans un hôpital, Lui ; Lazlo, employé dans une maison de retraite, co-locataires dans la vie ils s’épaulent, se complètent et évoluent lentement dans une situation routinière où les avatars de l’un profitent à l’autre et où une complicité profonde s’établit.
Tous les deux un peu bousculés par la vie, lui, par ses difficiles relations avec son père qui voudrait le voir en homme mieux installé dans la vie et non en ado attardé, elle, la trentaine bien sonnée, fragilisée par la découverte du « don »qu’elle possède, de pouvoir sentir les failles physiques des gens qu’elle côtoie, son pressentiment des failles physiques .
Nous les verrons évoluer parmi les pensionnaires de la maison de retraite comme de l’hôpital ou de leur entourage ou leur famille, toujours complémentaires, engagés dans la vie et pleins d’énergie, de fougue et d’amour du prochain, qu’il soit humain ou animal
Un beau roman plein de vie et de sincérité, de belles rencontres et de beaux portraits, de la vie et du cœur !
Peut-être même un peu trop… mais qui fait du bien !