Brassens, Ferrat, Brel, Gainsbourg, Ferré, Bécaud, Aznavour… Ils sont partis, ils sont tous là-bas.
Et en 2015, l’un de nos derniers grands poètes les a rejoints : Guy Béart.
A la fois rebelle et discret, il n’a peut-être pas eu les honneurs que l’on a rendus à d’autres. Et pourtant, il laisse un grand nombre de succès comme «L’eau vive», « «Le grand chambardement», «Il n’y a plus d’après», «Qu’on est bien», «Les grands principes», «Les couleurs du temps», «L’espérance folle», «La vérité» et tellement d’autres.
Et si nombre d’artistes ont repris ses chansons, ou s’il a écrit pour eux, c’est en fait… pour elles car peu ou prou d’hommes l’ont chanté.
On se souvient de Dalida avec «Allo, tu m’entends ?» ou «Si la France…», de Gréco et «Il n’y a plus d’après»… qu’un homme (l’xception confirme la règle) avait repris : Anthony Perkins !
Et puis encore «Bal chez Temporel» par Patachou, «Qu’on est bien» par Zizi Jeanmaire et «Mon cher Frantz» chanté en duo avec Marie Laforêt…
Né en 1930 au Caire, le métier de son père le fera voyager au Mexique, au Liban, à Beyrouth avant de poser les valises à Paris. Il a alors 17 ans et s’il fait des études d’ingénieur à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, il n’en n’aime pas moins la musique et dès 1954 il va se faire entendre dans tous les cabarets rive gauche.
Son premier succès en 58, «Bal chez Temporel» lui permet de se faire connaître d’autant qu’il remporte le prix de l’Académie Charles Cros. Très vite c’est «L’eau vive » qui le propulse, chanson générique du film éponyme de François Villiers, avec Pascale Audret, sœur d’Hugues Aufray ce dernier reprenant la chanson en 97 en hommage à celle-ci.
Si Béart est devenu un auteur, compositeur et chanteur connu et apprécié, en 66 il décide de devenir producteur-animateur d’une émission de télévision : «Bienvenue», où il recevra la crème des artistes, tous voulant y passer.
Côté télé, on n’a pas oublié cette rencontre sulfureuse avec Gainsbourg qui tentait de lui expliquer que la chanson était «un art mineur» ! Ce que Guy contestait et ce qui ne l’a pas empêché d’enregistrer «La chanson de Prévert» du même Gainsbourg !
Il obtiendra la médaille de la chanson française que lui remet l’Académie Française.
En 63 nait sa seconde fille qui deviendra célèbre grâce à «Manon des Sources» Emmanuelle Béart.
A cette époque, elle vivait avec sa mère à Ramatuelle et elle supportait mal qu’on lui rappelle qu’elle était «la fille de…», tout en ne le reniant pas et en aimant et admirant son père qu’elle rejoignit d’ailleurs sur la scène de l’Olympia en 2015. Elle ne savait pas alors qu’il disparaitrait quelques mois après.
Avec sa sœur, Eve, née d’un premier mariage, Emmanuelle mit du temps à ouvrir le coffre aux trésors où toutes les œuvres de l’artiste dormaient depuis son décès. Et ce fut la découverte de la caverne d’Ali Baba qui leur donna l’idée de lui rendre hommage en demandant à nombre d’artistes de choisir parmi ces centaines de chansons, celle qu’ils aimeraient reprendre.
C’est donc sur un double album paru chez Polydor, que ce CD est sorti et qu’on y découvre des petits bijoux, connus, moins connus, quelquefois pas connus, chantés par de beaux artistes d’aujourd’hui, nous montrant, s’il en était besoin, que «longtemps après que les poètes ont disparu», comme le chantait Trenet, les chansons courent toujours dans les rues et défient le temps.
Le choix a dû être difficile pour chaque artiste car il a fallu puiser dans un répertoire énorme nombre de chansons qui sont toutes des petites pépites qui prouvent que, loin d’être un art mineur, les chansons peuvent être des œuvres véritables qui font partie du patrimoine de la chanson française.
Ainsi trouve-t-on un charmant duo Thomas Dutronc-Emmanuelle Béart reprenant, revu et corrigé «Qu’on est bien». Emmanuelle qui est le fil rouge du CD et qu’on retrouve avec Julien Clerc pour la reprise de « Frantz», avec tout l’humour et la férocité que Béart y avait mis avec Maris Laforêt, puis avec Yaël Naïm, la chanson qui fit la gloire de son père «L’eau vive». Carla Bruni a trouvé un véritable petit bijou en interprétant «C’est après que ça se passe», chanson passée alors inaperçue et pourtant d’une tendresse et d’une légèreté que la voix aérienne de la chanteuse renforce.
Vincent Delerm fait de «Bal chez Temporel» un moment de douce nostalgie. «Qui sommes-nous ?» devient un rap que chante Akhenaton, prouvant que ce texte est tout à fait adaptable aux sonorités d’aujourd’hui.
«Il fait toujours beau quelque part» va comme un gant à la voix sirupeuse de Laurent Voulzy. Catherine Ringer a choisi «Les souliers» qu’elle interprète dans une ambiance slave… Il faudrait citer toutes ce 20 chansons pleines de nostalgie, de délicatesse, de simplicité et on ferme l’album avec Christophe qui a eu le temps d’enregistrer «Vous», moment émouvant qu’il interprète avec sa voix feutrée et haut perchée dans des sonorités très personnelles.
Un grand moment de musique, de poésie, prouvant que toutes ces chansons tiennent la route, sont indémodables, après quelques décennies et que tous ces chanteurs distillent avec talent, respect et admiration.
A noter encore Maxime le Forestier, Alain Souchon, Brigitte, Raphaël, Clara Luciani, Vianney… et quelques autres. A écouter avec attention et émotion.
Jacques Brachet
Photos 1 et 5 Serge Assier