Hyères – théâtre Denis
Concert les Quatre Vents et Three Days of Forrest

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Pour sa session d’hiver Jazz à Porquerolles (partenaire de Jazz sur la Ville) présentait au Théâtre Denis, ce joli petit théâtre à l’italienne dont l’acoustique est un modèle, deux concerts avec deux groupes : Three Days of the Forrest et Les Quatre Vents. Concerts précédés d’un cocktail qui réunissait des personnalités, la presse, le personnel du théâtre et les musiciens.
Three Days of the Forrest, c’est un trio avec une instrumentation rare : une chanteuse, Angela Flahaut, un batteur Florian Satche, et Séverine Morfin au violon alto, instrument rarissime aussi bien dans le jazz, le rock que dans la variété. Et pourtant par sa tessiture grave et a puissance cet instrument devrait y avoir une place de choix. Avec cet alto Séverine assure des parties de basse pizzicato, des tenues, des accompagnements divers, ou un phrasé traditionnel. La chanteuse est assez étonnante ; dans les ballades elle chante avec une voix au charme de celle des chanteuses celtiques (Irlande, Ecosse), et dans les tempos rapides ou les morceaux emportés, elle déploie une puissance rageuse, avec des growls, et des aigus à briser les verres. Florian joue de la batterie tambours battus, à l’africaine, dans une polyrythmie fracassante et un tempo à faire pâlir les métronomes.
Les morceaux reposent sur une mise en musique des textes de poètes afro-américaines dont Rita Dove et Gwendolyn Brooks (elle fut la première Afro-Américaine à gagner le prix Pulitzer). Avec ce trio c’est parfois une tornade qui s’abat sur la scène, avec un engagement, une énergie, une frénésie, une puissance à couper le souffle. On est parfois à la limite de la transe. Difficile de classer cette musique ; c’est du rock, peut-être alternatif, en tout cas c’est l’expression personnelle d’un groupe, qui a trouvé ses voi(es)x. Mais hiatus, il se présente sous Jazz à Porquerolles, pourtant ce n’est en aucun cas du jazz, ni même du free jazz et je comprends mal que ce trio ait été lauréat de « Jazz Migrations 2018 ». Tant mieux pour eux, et ce que je dis là n’enlève rien aux qualités du groupe. Question de vocabulaire, dans un festival Wagner on ne vient pas écouter du Mozart.

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En deuxième partie on revient au jazz avec Les Quatre Vents, bien connus dans la région, d’autant que les quatre musiciens vivent à Marseille. Ce sont Perrine Mansuy au piano, Christophe Leloil à la trompette, Pierre Fénichel à la contrebasse et Fred Pasqua à la batterie, dans un répertoire issu du disque éponyme.
Ce quartette joue ce qu’on pourrait appeler des « suites » où se mêlent écriture savante (Mansuy, Fénichel, Leloil) et improvisation ; ils s’inventent collectivement leur moyen d’expression à quatre voix. Chacun a joué avec pas mal de grosses pointures, et ils ont déjà une discographie qui compte, c’est dire qu’on les attendait et on ne fut pas déçu, au contraire.
Dès le premier morceau « Kin Hin » on baigne dans une atmosphère où règne la beauté des sons, la profondeur de l’expression. Perrine Mansuy, buste droit devant son clavier jouant essentiellement dans le médium et le grave du piano, choix qui donne toute sa chaleur communicative à cette musique. Pierre Fenichel, la tête pratiquement posée sur sa contrebasse, ancre le groupe à la terre ; beau son, impros mélodiques, et une pompe hors des sentiers habituels. Fred Pasqua est un batteur très fin, prévoyant, soulignant, accompagnant les ruptures de rythme, il tient le groupe du bout de ses baguettes. Il nous gratifiera d’un époustouflant solo à la caisse claire et à la grosse caisse, chose devenue rare de nos jours. Quant à Christophe Leloil c’est l’olympien de la trompette. Un son venu de la Nouvelle-Orléans, une virtuosité à toute épreuve, il se ballade sur une grande tessiture avec une puissance égale sur tous les registres, donnant de beaux graves bien ronds, et des aigus  himalayesques. Son phrasé rapide vient en contraste de l’ensemble et procure un décalage qui fait toute la saveur des morceaux.
Qu’on soit sur des tempos lents « Kin Hin ou Time Eats Us Alive » ou médium « Prima Luce » le quartette fonctionne à merveille dans une mise en place et un équilibre parfaits. On a même parfois une musique à tendance descriptive comme « First Light on Muskoka » qui dépeint l’atmosphère du lac Muskoka que Perrine a découvert au Canada.
Pas de frime, pas d’exploits, ils s’expriment au service de leur musique, baignant aux mêmes sources, dans une connivence et un partage qui ravissent l’auditeur-spectateur.
Et le public ne s’y est pas trompé à en juger par les applaudissements.
On peut retrouver les morceaux de cette musique riche et exquise, pour ceux qui étaient au concert, ou la découvrir sur leur nouveau disque qui bénéficie d’une qualité d’enregistrement assez exceptionnelle.

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Serge Baudot
Les Quatre Vents – Music for a Quartet…
Morceaux : Time Eats Us Alive, Kin Hin, Prima Luce, Libeccio, The Bright Suite, First Light on Muskoka, Blake, Deval in Time, West of the Moon.
Musiciens : Perrine Mansuy (p), Christophe Leloil (tp), Pierre Fenichel (b), Fred Pasqua (dm).
Enregistré à La Buissonne les 1 et 2 novembre 2018 – Durée : 57’ – Laborie Jazz 56 (Socadisc)