Toulon – Fête du Livre
David LELAIT-Helo dans l’intimité de la reine d’Angleterre

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Paul Scarborough est un garçon timide, timoré, sans ambition réelle, que sa femme a quitté et qui vit à Londres chez sa mère.
Sans boulot, il boit plus qu’il ne devrait et vit un peu comme un zombie.
Jusqu’au jour où il entend à la radio que le Brexit a été voté. Tout à coup le voilà qui se réveille, qu’il s’énerve pour la toute première fois et qu’il prend une décision, ce qu’il n’a jamais fait de sa vie : il décide d’aller rendre visite à la reine d’Angleterre.
Il semble qu’on ne puisse approcher facilement sa majesté, cloîtrée dans son immense palais de Buckingham mais, aujourd’hui il ose et est prêt à toutes les tentatives pour l’approcher.
En fait, ce ne sera pas si difficile, profitant d’un jour de visite du palais, il se laisse enfermer dans ce lieu immense où, quand vient la nuit, il arpente couloirs et escaliers pour trouver la chambre de la reine… qu’il trouve, s’y introduit et découvre la reine endormie.
La reine se réveille et, à peine surprise de cette intrusion, contre toute attente, elle commence à discuter avec Paul, le trouvant sympathique et la faisant sortir de son ordinaire. Et voilà que tout étonné, il va converser toute la nuit avec elle.
David Lelait-Helo nous offre avec ce roman «Un oiseau de nuit à Buckingham» (Editions Anne Carrière), un conte original, surréaliste plein de fantaisie, d’humour et d’émotion mêlés et lui qui est habitué à écrire des biographies, il nous raconte habilement une situation improbable et nous fait découvrir la reine comme on n’aurait jamais pu l’imaginer, qui, si elle n’était pas ce qu’elle était, aurait pu être une ménagère lambda, qu’on découvre en chemise de nuit liberty, qui n’en peut plus de s’ennuyer, de se geler dans cet immense vaisseau.
Ayant trouvé cet être simple et naïf, elle va se confier comme jamais elle ne l’a fait, lui raconter des bouts de sa vie passée à faire quelque chose dont elle ne rêvait pas : être reine, une vie pas si rose que ça, pas idéale du tout, qu’elle subit par la force des choses.
C’est à la fois drôle et émouvant, même si David extrapole un peu, n’étant pas dans l’intimité de la reine ! (Enfin, je le pense que si c’était le cas, il m’en aurait parlé !) C’est aussi une réflexion sur la liberté, cette liberté qu’en fait elle n’a jamais connue, sur la destinée, la sienne n’ayant pas été choisie «of course» et l’on suit donc ce dialogue avec délice et curiosité.
C’est à la Fête du Livre que je retrouve cet ami chaleureux qui est à la fois journaliste, biographe, auteur de chansons et de romans et de recueil de sagesse.

David, la reine d’Angleterre pour héroïne… Gonflé, non ?
Ça fait écho à un fait divers qui s’est passé en 82, où un homme s’était introduit dans la chambre de la reine. Bien entendu il n’y est pas resté longtemps car il a très vite été interpellé.
J’avais trouvé ça incroyable mais j’étais aussi déçu qu’on l’ait arrêté tout de suite. Et je me suis alors posé la question : que ce serait-il passé s’il avait pu y rester plus longtemps ?
A partir de là j’ai commencé à penser à ce face à face et j’ai imaginé un dialogue entre eux.
Au départ, je voulais en faire une pièce de théâtre et j’avais pensé à Line Renaud pour jouer la reine. Mais à 90 ans passés elle ne se voyait pas remonter sur scène. Du coup, j’en ai fait un roman !
Qui pourrait toujours devenir une pièce de théâtre ?
Oui, bien sûr car c’est très dialogué mais à part Line, je ne vois pas qui pourrait endosser ce rôle. S’il me vient une idée, pourquoi pas ?
Il y a beaucoup de descriptions du palais de Buckingham et beaucoup de choses que tu fais dire à la reine. Je suppose que tu as étudié la question à fond. Est-ce que tout est exact ?
Tout est exact sauf le ressort dramatique que j’ai bien sûr inventé. J’ai lu une dizaine de livres, de bios, beaucoup de témoignages de ses proches, de ses majordomes. Mais bien sûr, ce n’est pas une biographie ni un documentaire sur la reine. C’est une rencontre que j’ai inventé sur des faits réels. Lorsque le prince l’appelle «ma saucisse», je ne l’ai pas inventé ! Toutes les anecdotes sont vraies.

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Et la chemise de nuit Liberty ?
C’est plausible, non ? Je ne l’imagine pas avec des déshabillés ou des dessous rouges par exemple ! C’est aujourd’hui une vieille dame et même jeune, je ne pense pas qu’elle ait pu porter des dessous affriolants !
Le ton est à la fois plein d’humour mais il y a aussi de jolis moments d’émotion.
Oui car je pense que la reine a beaucoup d’humour et c’est en fait une rencontre pleine de tendresse avec Paul. De plus, ce livre sort comme par hasard au moment où sort aussi la série télé «The crown» car aujourd’hui, la reine a retrouvé sa popularité un peu perdue avec les événements que l’on sait. La revoilà au-devant de la scène et il y a un nouvel attrait pour elle. C’est certainement dû à ce qu’elle est une vieille dame. Après avoir été ringardisée, elle est devenue une icône. C’est souvent le cas pour des personnalités qui, en, vieillissant ou en mourant, sont portées au nues. Regarde Line, Annie Cordy, Dalida…
C’est pareil pour la reine et lorsqu’elle disparaîtra, ce sera un grand choc et pas seulement pour son peuple. Aujourd’hui elle est passée à la postérité.
Envisages-tu de lui envoyer le livre ?
C’est drôle que tu me poses cette question qui m’a aussi été posée par une dame à la Fête du Livre de Toulon. Je ne l’avais pas envisagé mais pourquoi pas ?
Je pense qu’elle a assez d’humour et de recul pour livre ce livre, d’autant qu’elle lit très bien le français. Je ne vois rien qui puisse la choquer car le roman l’humanise et j’y ai mis beaucoup de tendresse.
C’est presque une psychanalyse que tu lui fais subir !
C’est vrai, d’abord parce qu’elle se confie à un inconnu, ce qui n’a jamais dû lui arriver car elle est enfermée dans sa fonction, dans sa posture. Elle est verrouillée et n’a pas le droit de s’épancher. Ce qui exclut toute pensée personnelle dite à haute voix…  «Never explain, never complain», ça dit bien ce que ça veut dire car elle n’a pas le droit, hélas, de s’exprimer sur ses sentiments, la couronne est lourde à porter, elle ne peut jamais se permettre d’osciller. Elle ne peut s’exprimer que par symboles.
Tu lui fais d’ailleurs dire : «A quoi je sers ?»
Oui car elle doit souvent se poser cette question. Elle incarne quelque chose d’énorme mais elle a les mains liées, elle n’a pas le droit de s’exprimer, ce n’est pas elle qui décide. C’est ce qui la rend émouvante, d’autant que, au contraire de sa sœur, ce n’est pas la vie qu’elle avait choisie de vivre. Elle l’a vécue par la force des choses, par devoir, par amour pour son père. Mais il lui a toujours manqué la liberté qu’elle aurait voulu avoir.
En face d’elle, Paul, qui est l’antithèse de la reine !
Il est totalement à l’opposé ! Et lui qui pense avoir tout raté dans sa vie, qui l’envie, ne comprend pas qu’elle se plaigne car il lui semble qu’elle a tout pour être heureuse. Elle va le persuader que c’est lui qui a tout : la jeunesse, la liberté, le droit de choisir sa vie… Tout ce qu’elle n’a jamais pu avoir. Elle a renoncé à beaucoup de choses.
Cette rencontre aura pour résultat que la reine aura pu parler pour une fois à cœur ouvert et que Paul verra la vie différemment »

Propos recueillis par Jacques Brachet