En cette soirée de mai 2019 Le Liberté, scène nationale, avait revêtu des habits comédie Française, pour accueillir la célèbre pièce de Marivaux «Le jeux de l’amour et du hasard» mis en scène avec maestria par Catherine Hiegel, qui fut entre autres emplois, sociétaire et «doyenne» de la Comédie Française. Elle a elle-même joué cette pièce dans la mise en scène de Maurice Escande en 1969.
Un décor, somptueux, classique : un magnifique jardin à la française devant une imposante maison de maître XVIII° siècle. On se trouve ainsi dans un lieu qui présente tous les détails de la réalité, ce qui est devenu rare au théâtre, et qui ma fois procure beaucoup de plaisir et de dépaysement, même si c’est le texte qui prime, et quel texte ! Une langue qu’il faudrait faire apprendre à tous les enfants de France. On évite ainsi les habillages pseudo contemporains trop employés ces dernières années. On est au théâtre, pour être transporté ailleurs : ce qui n’empêche pas de penser.
On connaît l’intrigue : Silvia et Dorante vont être mariés par leur père respectif. Mais Silvia veut un mari qui lui convienne. Pour l’observer elle décide, avec la complicité de son père que cela amuse, de se faire passer pour sa servante Lisette. Pour les mêmes raisons Dorante se fait passer pour son valet Arlequin. Ce changement d’identité et surtout de classe sociale permet à Marivaux de mettre à jour les préjugés, de bousculer les conventions, l’ordre social, les rapports maîtres et servants, tout en disséquant la naissance de l’amour, exaltant sa force qui emporte tout finalement, sans tenir compte des classes sociales. Chacun des maîtres amoureux se trouve confronté au dilemme : abandonner l’être aimé, ou passer par-dessus les conventions, ce qu’ils choisissent. Tout est bien qui finit bien, nous sommes dans la comédie, mais Marivaux nous aura fait nous poser de très graves questions tout en nous amusant. Ces difficultés de vivre son amour sans entraves sont toujours d’actualité, dans certains pays plus que d’autres, auxquelles s’ajoutent les questions de couleurs de peau et de religion. Jeux de l’amour certes, mais hasards provoqués quand même.
Vincent Dedienne avecLaure Calamy et Cyrille Thouvenin
D’une fenêtre d’un étage supérieur on voit et entend une violoncelliste qui ouvre le spectacle et qui ponctuera les changements d’acte.
La pièce est menée tambour battant par d’excellents acteurs qui jouent à fond. La direction d’acteur est irréprochable, et les trouvailles de mise en scène époustouflantes ; du grand art car tout coule de source et paraît évident. C’est un tourbillon qui vous emporte, avec un parti pris de comique irrésistible, semé de gags sobres et d’une terrible efficacité, surtout pour le duo Lisette-Arlequin. Laure Calamy (Lisette-Sylvia) joue avec un charme délicieux et une fougue dévastatrice (C’est Calamity Jane, dit mon amie). Comme on dit au cinéma, elle prend la lumière ; dès qu’elle apparaît la scène est envahie de sa présence. Vincent Dedienne (Dorante-Arlequin) est d’une truculence à toute épreuve ; grandiose d’humour dans ses poses qu’il croit être celles d’un maître, burlesquement physique, et ses sauts au final, quand il a obtenu l’accord de celle qu’il aime, sont dignes d’un danseur classique.
Je n’émettrai qu’un petit bémol : nous sommes en présence d’une langue de haute tenue qui demande la même hauteur de ton. Ce à quoi s’astreignent avec brio les comédiens. Cependant il arrive assez souvent à Clotilde Hesme d’avoir une intonation, une façon de parler des filles d’aujourd’hui qui nuit quelque peu au personnage. Par contre ses véhémences sont monumentales.
Les autres comédiens sont Alain Pralon (le père) heureux de s’amuser à sa farce, et Cyrille Thouvenin (Dorante), plus en retenue que les autres, Emmanuel Noblet (le frère).
Il faut noter les décors de Goury, les costumes de Renato Blanchi : belle interprétations des costumes XVIII° siècle, et les lumières de Dominique Borrini ; tous contribuent à la beauté et à la réussite de cette mise en scène.
Spectacle fastueux qui fut applaudi par de nombreux rappels y compris par les lycéennes et lycéens. Il est capital de les mettre en présence de ce grand théâtre du répertoire, surtout quand il est présenté avec une telle approche et de tels talents.
Serge Baudot
Vincent DEDIENNE, curieux et gourmand
Marivaux, Ovide, Nietzsche, Ella Fitzgerald, la télé, le cinéma, l’écriture, la radio, la scène seul ou accompagné… Vous avez dit boulimique ?
Dix ans de carrière à peine et Vincent Dedienne a déjà touché à tout. Et touché avec talent car il est un artiste complet et surdoué.
Il me reçoit dans sa loge du Liberté avec un grand sourire et j’ai beaucoup de chance car, m’avoue-t-il, en tournée il accueille peu de journalistes. Alors, pourquoi moi ?
« Parce que vous avez un nom qui me plaît et un beau cahier pour prendre des notes », me dit-il en riant. Je me contenterai de cette joyeuse réponse.
Nous parlons d’abord de cet éblouissant Marivaux qui de sa part, mais comme il le fait souvent, nous surprend car il n’est jamais là où on l’attend. Il rit de cet aparté. D’ailleurs il rira souvent durant notre trop court entretien car il est à quelques minutes de passer son habit d’Arlequin déguisé en bourgeois.
Comment êtes-vous venu à jouer ce classique des classiques, Vincent ?
Grâce à Catherine Hiegel et au hasard. Nous ne nous connaissions pas et nous sommes croisés dans la rue. Elle connaissait mon spectacle et très vite elle m’a dit qu’elle me verrait bien dans le rôle d’Arlequin. Nous avons déjeuné ensemble, nous avons parlé de Goldoni, de Marivaux et très vite on s’est mis d’accord sur « Le jeu de l’amour et du hasard ». C’est allé très vite puisque notre rencontre a eu lieu en mai et l’adaptation était prête en décembre.
Nous avons joué cent représentations à Paris puis la tournée. Nous en sommes à quatre spectacles de la fin et nous aurons donné trente-quatre représentations en Province.
En 2018, vous avez joué trois pièces ; « Le jeu de l’amour et du hasard », « Callisto et Arcas » d’Ovide, « Ervart ou les derniers jours de Frédéric Nietzsche » d’Hervé Blutsh.. Presque en même temps… Comment faite-vous ?
Il part d’un grand rire : C’est vrai que je jouais quelquefois en même temps, un autre jour, dans un autre lieu ! Comment je fais ? dans ces cas-là, je fais confiance à la SNCF !
« Ervart ou les derniers jours de Frédéric Nietzsche » – « Callisto et Arcas«
Qu’est-ce qui vous fait courir ainsi ?
Ce qui me fait courir c’est la curiosité la gourmandise et le hasard des propositions. Rassurez-vous, je ne suis pas schizophrène ! Mais je me dis qu’en ce moment tout va bien, on me propose plein de choses et dans ce métier on ne sait jamais si ça va s’arrêter. Alors j’en profite au maximum.
Comment passe-t-on de la Comédie de St Etienne où vous avez étudié et joué les classiques, au one man show ?
C’est le contraire qui s’est passé ! Tout jeune, j’ai un jour découvert Muriel Robin. J’ai été ébloui et je me suis dit : « C’est ça que je veux faire ! ». Et je l’ai fait. La Comédie de St Etienne est venue après. Le hasard encore. C’est un ami qui passait un concours et qui m’a demandé de lui donner la réplique. J’ai alors découvert qu’il existait autre chose que l’humour, de belles pièces, de beaux textes. C’est ce qui m’a amené au théâtre.
Vous voilà encore à la radio, France Inter, « Les grosses têtes » sur RTL, puis à la télé dans « Quotidien » de Yann Barthès sur TMC entre autres, « Burger Quiz » encore…
« Burger Quiz », c’était juste parce qu’Alain Chabat m’a demandé de le remplacer deux ou trois jours. Quant aux autres, c’est toujours le hasard, les propositions, la curiosité. Et ça me plaît de varier les plaisirs.
« Premières vacances » avec Dominique Valadié – « La fête des mères » avec Nicole Garcia
Il y a encore le cinéma et là, ça commence à prendre de l’ampleur avec des films qui se suivent et ne se ressemblent pas…
Oui, en 2018 j’ai tourné « La fête des mères » de Marie-Castille Mention-Schaar avec plein de belles comédiennes, en particulier Nicole Garcia dont je jouais le fils. Puis il y a eu « Premières vacances » de Patrick Cassir avec les deux Camille, Cottin et Chamoux et Dominique Valadié. J’ai enchaîné avec « L’étreinte » réalisé par Ludovic Bergery, avec Emmanuelle Béart et le vais partir pour deux mois à la Réunion pour tourner dans la jungle une comédie, un film d’aventure justement nommé « Terrible jungle », d’Hugo Banamozig et David Caviglioli avec… Catherine Deneuve !
Ca va pour vous ?! Beau cadeau d’anniversaire pour vos dix ans de carrière !
(Il marque un temps, surpris) Mais c’est vrai ! Je n’avais pas réalisé que j’ai débuté à ma sortie d’école, en 2009. Tout s’est en fait enchaîné et je n’ai pas vu le temps passer !
Propos recueillis par Jacques Brachet