Depuis 1994, ont avait eu la version Pierre Vaneck – Fabrice Luchini – Pierre Arditi, puis la version Pierre Vaneck – Jean-Louis Trintignant – Jean Rochefort.
Plus de 20 ans plus tard, après avoir fait le tour du monde traduite en 35 langues, la pièce de Yasmina Reza « Art », revient avec un nouveau trio : Charles Berling – Alain Fromager – Jean-Pierre Darroussin, remplissant tout autant des salles pleines à craquer, faisant à la fois rire et réfléchir sur le thème de l’art contemporain, sa subjectivité, son incompréhension chez certains, son amour excessif chez d’autres, son snobisme encore chez ceux qui souvent ne trouvent à dire qu’il y a… quelque chose…
C’est aussi un prétexte à une immense scène de ménage entre trois amis d’enfance où chacun va s’exprimer en toute vérité , en toute mauvaise foi, en arrivant aux mains.
Serge (Alain Fromager) est un dermatologue réputé, content de lui, fréquentant les hautes sphères. Il n’hésite pas à débourser 30.000 € pour acheter une toile de maître… blanche, c’est-à-dire peinte en blanc, agrémentée de filaments… blancs. Au grand dam de Marc (Charles Berling), ingénieur aéronautique colérique et égocentrique qui tout d’abord éclate de rire avant d’entrer dans une colère noire contre son ami qui a claqué tant d’argent pour « une merde » !
Le ton monte et voici qu’arrive Yvan (Jean-Pierre Darroussin), le « raté » de l’équipe qui prépare son mariage sans grand enthousiasme avec la fille de son patron qui l’a fait entrer dans l’imprimerie familiale. Personnage naïf, simple, qui a horreur des conflits, perturbé par la préparation du mariage qui se passe mal, il n’a vraiment pas besoin d’être le tampon entre ses deux amis. Il essaie, comme à son habitude, de ne pas prendre parti, de ne pas trop se mouiller et ça va se retourner contre lui, se faisant agonir d’injures par les deux autres.
Au bout de trente ans d’amitié, celle-ci va-t-elle exploser pour une œuvre d’art ?
C’est une pièce à la fois drôle, intelligente qui n’a pas pris une ride, l’art contemporain étant toujours une source de contradictions qui, là, vont être poussées au paroxysme, entre ces trois personnages de noir vêtus passant d’un appartement à l’autre par un système ingénieux de décor… tout blanc !
Nos trois comédiens sont au sommet – on peut le dire – de leur art, Alain Fromager sûr de son fait d’avoir acheté une oeuvre extraordinaire, Marc essayant de lui tenir la dragée haute en voulant lui prouver qu’il est dans l’erreur, yvan, pris entre deux mecs en crise et d’une évidente mauvaise foi, cette bagarre qui le dépasse, ses problèmes de famille, à la fois mortifié, peiné et terriblement humain.
Une scène d’anthologie, lorsque, soudain très en colère il explique ses problèmes au sujet du faire part de mariage qui, là aussi, a fait l’objet de discussions sanglantes entre les familles recomposées entre les ex, les belles-mères, les mères dont il n’arrive pas à se sortir, comme chaque fois qu’il a un problème. Lui, toujours calme, incolore, tout à coup se lance dans une litanie à 200 à l’heure irrésistible.
Trois personnages à l’opposé les uns des autres, trois comédiens de grande envergure qui nous ont fait passer une très grande soirée de théâtre, standing ovation à l’appui.
On en redemande !
Jacques Brachet