Toulon – Le Liberté : « Mélancolie(s) »

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Ils sont huit comédiens du Collectif in Vitro (Julie André, Gwendal Anglade, Eric Charon, Aleksandra De Cizancourtt, Olivier Faliez, Magaly Godenaire, Agnès Ramy et David Seigneur) qui on d’abord improvisé sur le travail de Julie Deliquet fusionnant deux pièces majeures d’Anton Tchékhov : «Les Trois Sœurs» et  Ivanov», en restant assez près du langage de Tchékhov, du moins en français.
« Mélancolie(s) » se découpe en 3 chapitres (au lieu d’actes, ce qui ajoute au côté littéraire de la pièce), trois moments cruciaux de la vie des personnages.
La vaste scène du Liberté est recouverte d’un plancher sur lequel repose côté cour une grande table chargée de victuailles et de bouteilles, quelques chaises autour. Décor simple dans lequel vont évoluer les huit personnages, qui par l’art de la mise en scène de Julie Deliquet, se placeront sur tout l’espace de la scène comme des pièces d’un jeu d’échec en fonction des événements, positions assez révélatrices des psychologies, des états d’âme, dans une remarquable distribution. Tous ces comédiens jouent au sommet.
En prologue, un couple à l’avant d’une voiture sur un grand écran. On sent bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Puis premier chapitre : on se retrouve un an avant. C’est le printemps. L’homme de ce couple, Nicolas, vient revoir la maison qu’il fréquenta dans sa jeunesse, il était ami du père, décédé. C’est l’anniversaire de Sacha, l’une des trois sœurs ; on finit par se reconnaître, c’est la joie, on fait la fête. Nicolas est accompagné d’un ami tonitruant, sûr de lui, assez imbuvable. Par exemple il affirme avec violence, envers et contre tous, que le carpaccio est une soupe, et le gazpacho une viande crue. Ce qui donne une idée de la raideur et de la fatuité du personnage.

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A partir de là on pénètre dans la vie de ces huit personnes de génération années 70, qui se croit vieille et finie à 40 ans. On se trouve dans un trou perdu au bord de l’océan. Certains s’approchent de la dépression, n’assument plus, ou très mal, les aléas de la vie. Amours déçus, solitude, ennui, travail épuisant, difficultés financières, etc… Tous sombrent dans la ou des mélancolies. La seule qui aurait vraiment des raisons de sombrer, mais qui y échappe, c’est la femme de Nicolas, en train de mourir atteinte d’une grave maladie.
Le troisième chapitre est dédié à Nicolas. Sa femme est morte. On fête son mariage avec l’une des trois sœurs, Sacha, qui a divorcé. Là ce n’est plus de la mélancolie, mais du drame ; Nicolas se dévoile, entre salaud et type qui n’a pas eu de chance (c’est toute l’ambiguïté du personnage tout au long de la pièce), sans complaisance, il se détruit complètement, aucun argument ne le ramène à la raison, sa seule issue est le suicide. Qu’il commet en allant se tirer une balle. Cette descente aux enfers est peut-être un peu longue, mais n’oublions pas que ce sont des Russes, victimes bien sûr de ce qu’on appelle » l’âme russe », qui est le besoin de la souffrance, selon Dostoïevski.
C’est une pièce littéraire, en ce sens que tout passe par le langage, par les mots, révélateurs des sentiments cachés, secrets, qui laissent sortir des choses qu’on aurait voulu ne pas dire, comme par exemple quand Nicolas, en conflit avec sa femme, laisse échapper la phrase terrible qui lui annonce qu’elle va mourir sous peu.
Pour rendre la pièce plus accessible,(elle dure deux heures), Julie Deliquet a choisi de faire jouer les comédiens façon théâtre de boulevard, c’est à dire qu’on parle très fort, qu’on s’agite, se déplace très vite, en plus d’attitudes corporelles dynamiques, qui font qu’on est emporté dans ce maelstrom, dans lequel chacun des spectateurs doit retrouver des moments qu’il est en train de vivre, ou qu’il a vécu.
La musique qui marque une pause entre les différents chapitres est d’un à propos parfait. Par de grosses vagues sonores, elle insuffle une atmosphère angoissante, laissant prévoir un dénouement tragique.
Gros succès public issu d’une salle comble.

Serge Baudot