Toulon – Le Liberté – scène nationale
Le Promontoire du Songe

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Retour au Liberté, pour quelques soirs de décembre, de Philippe Berling, ex co-directeur de ce théâtre avec son frère Charles Berling.
Ivan Dmitrieff, comédien, metteur en scène, poète, photographe, auteur de lectures-spectacles en musique, est tombé amoureux de ce texte peu connu de Victor Hugo « Le promontoire du songe », nom d’un volcan lunaire. Il eut une folle envie de le jouer sur scène, c’est chose faite : il sera Victor Hugo, Philippe Berling assurera la mise en scène, la scénographie, et la lumière, tous deux participant à l’adaptation, le costume étant l’affaire de Nathalie Prats.
Résumons l’affaire : Victor Hugo a « pris un coup de lune » en 1834 chez son ami l’astronome François Arago (1786-1853) qui lui fit regarder la lune dans un nouveau télescope qui grossissait 400 fois. Au premier abord Victor Hugo ne vit rien, « qu’un trou dans l’obscur » puis petit à petit il arriva à la vision de ce « Promontoire du Songe ». il dit avoir reçu une secousse du réel. Partant de là le texte déborde et va scander, développer des tirades sur la lune à travers les interprétations de différents penseurs, la liberté, la création, les aventuriers de l’esprit, l’imagination, l’insaisissable, Dieu, la religion, et bien d’autres choses encore. C’est tout simplement admirable.
Salle plongée dans le noir, soudain s’élève le chant d’une flûte turque. Le comédien allume une bougie, apparait alors le décor, un immense rideau vert foncé tendu depuis les cintres et qui se déploie sur le sol. Au centre une colonne sur laquelle est fixée une grosse caisse de fanfare, avec à l’intérieur un gong. C’est la lune, pouvant tourner sur elle-même ; elle servira d’élément catalyseur, étant à la fois lune, télescope ou instrument de musique. Un piano d’enfant sur lequel le personnage jouera « Au clair de la lune », repris en chœur par le public. Une échelle de Jacob, un téléphone araignée : touche anachronique qui permet une conversation, jeu de mots marquant la transition vers, en somme, le deuxième acte, beaucoup plus grave – une grosse boule, la terre ? – une dame-jeanne. Et puis surtout l’utilisation, à un moment donné, d’un splendide masque de rhinocéros, symbolisant bien sûr la part de l’animal en l’homme, et peut-être aussi pour montrer que l’Homme s’en est détaché – confer la scène où le comédien s’extrait de l’animal avec moult efforts.

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Ivan Dmitrieff apparaît en une sorte de chamane-aède-philosophe, vêtu d’une longue robe jaune, sur laquelle il a enfilé une chasuble blanche et une redingote queue de pie. Il va dire, déclamer, presque danser par moment, bondir, virevolter, chanter, occupant toute la scène dans une gestuelle des plus élégante, se servant avec un à propos parfait des objets de scène. Si bien qu’on est pris, entraîné dans ce maelstrom hugolien, qui amuse parfois, qui rend gai, mais qui fait surtout réfléchir sur notre place dans le monde et la condition humaine. La mise en scène et la direction d’acteur sont au-dessus de tous soupçons. L’utilisation de lumières minimalistes, naturelles, comme la bougie, plonge la scène dans un rêve éveillé, dans un songe qui nous rend réceptifs à ce qui est vu et dit. Elle magnifie les objets, le personnage, de sorte qu’on se retrouve pris, pour le meilleur, dans un conte qui nous raconte.
Voilà une belle réussite à trois voix, qui démontre combien le théâtre peut être grand avec peu de moyens matériels.

Serge Baudot
Voir l’interview de Philippe Berling – Ivan Dmitrieff le 11 décembre 2018 par Jacques Brachet à Châteauvallon