Aujourd’hui le métier de la chanson a tellement changé, est tellement encadré, « cerné de barricades » qu’on en est malade ! Interviewer un chanteur est aujourd’hui devenu le parcours du combattant : pas de rencontre, pas de photo, un « phoning », oui mais trois minutes… Bref, lorsqu’on arrive à ça on doit s’en contenter.
Alors, lorsque l’on demande une interview de Christophe Willem, qu’on vous dit tout de suite : oui, quand ? et qu’en plus c’est lui qui appelle, on est totalement surpris et surtout quel bonheur, quel plaisir !
Pour l’avoir déjà rencontré à ses débuts, je l’avais trouvé charmant et concerné et après douze ans de carrière, je retrouve le garçon inchangé, sympathique, simple, volubile et c’est une vraie joie que de converser avec lui pour parler de son dernier disque « Rio », de sa tournée au titre éponyme et de plein d’autres choses.
« Christophe, ce 5ème album s’intitule « Rio ». Ca semble être un coup de foudre pour ce pays. Parlez-moi de sa genèse.
Je terminais ma tournée « Paraît-il » durant laquelle il y avait eu ces terribles événements à Paris. Je commençais à travailler avec Aurelien Mazin en pensant au prochain album. Vu les événements que je ne pouvais pas occulter, je voulais faire des chansons optimistes, aussi bien pour les paroles que pour la musique. Rio a été le détonateur alors que, bizarrement , devant y chanter une semaine pour les Jeux Olympiques, je n’y allais pas de gaieté de cœur. Ce n’était pas un pays qui m’attirait vraiment.
Et pourtant …
Pourtant, j’ai tout de suite été happé par ses paysages, par les gens qui y sont super accueillants, qui font tout le temps de la musique, qui rient, qui chantent. Je crois que cela vient du fait qu’ils ne sont pas optimistes sur l’avenir de leur pays et donc du leur. Ils ne se projettent plus, ils vivent l’instant présent et essaient d’en profiter au maximum.
Du coup, j’ai commencé à écrire et je suis revenu avec quatre chansons en sachant exactement ce que j’allais en faire, en ayant aussi déjà dans la tête d’autres titres à l’humeur brésilienne. J’ai aussi rencontré par hasard un type génial : Igit avec qui j’ai travaillé.
Le hasard chez vous fait souvent bien les choses, non ?
Vous avez tout à fait raison, c’est complètement le cas. J’ai souvent la tête en l’air, je ne suis jamais calculateur, les rencontres se font sans calcul, simplement. Si ça marche c’est bon, sinon je continue ma route. Ca m’a quelquefois joué des tours mais je suis comme ça.
Du coup, vous retournerez à Rio ?
Mais j’y suis déjà retourné plusieurs fois car je m’y suis fait des amis, ils viennent me voir, je vais les voir, j’ai tourné un clip… Il y a un échange continu.
La pochette du disque… Fallait oser !
(Il rit) Mais je trouve qu’aujourd’hui on s’ennuie tellement. J’ai trouvé cette coiffe haute en couleur et j’ai eu envie de m’amuser. D’un côté il y a la coiffe et de l’autre, mon regard sur le côté qui est un clin d’œil, une façon de dire que l’on ne se prend pas au sérieux.
C’est votre côté original. D’ailleurs vous avez dit une phrase qui vous résume : « Être hors norme, ça ne fait de mal à personne » !
J’ai toujours été plus ou moins en décalage, je ne fais pas partie d’une famille et je sais que j’ai quelquefois des goûts qui déstabilisent. En même temps, je ne peux ni ne veux me changer.
Sur ce disque, il y a une sublime et émouvante chanson, « Madame », en hommage à Latifa Ibn Ziaten.
Ça a été une rencontre très particulière. J’avais écrit la musique mais je la trouvais mélodiquement puissante, peut-être trop grandiloquente. Je voulais y mettre un texte qui soit très simple pour compenser et ne pas en rajouter. Je suis tombé sur une émission où j’ai découvert cette femme que je ne connaissais pas mais qui m’a bouleversé. J’ai voulu la rencontrer, elle a été d’accord et nous avons passé une journée ensemble. J’ai été très impressionné de rencontrer une femme bienveillante qui vous fait du bien, qui a transformé sa peine en quelque chose de bon, de positif, n’ayant pas une once de haine, totalement dénuée d’ego. Il y a quelque chose de noble en elle. Dans ce marasme d’aujourd’hui ça devient rare. Je suis devenu le parrain de son association et nous nous voyons souvent. C’est un cadeau de la vie incroyable.
Cette chansons, sans être un tube, j’espère qu’on la chantera encore dans 50 ans.
Autre personne qui compte dans votre vie, qui ne vous jamais quitté : votre coach… Zazie !
Elle est toujours présente dans ma vie. D’ailleurs elle a signé deux chansons de mon album :
« Vivement qu’on vive » et « Nos balles perdues ». Avec Zazie, il y a une complicité inexplicable, une espèce d’évidence. On peut ne pas se voir de six mois puis se voir tous les jours et toujours avec le même plaisir. Et puis, on ne peut pas nier qu’elle est une des rares chanteuses à faire de la musique intelligente. Surtout par rapport à l’hécatombe dont on a droit aujourd’hui ! C’est une grande artiste.
J’adore son nouveau single « Speed », c’est une chanson sur le temps qui passe, la vieillesse, les marques du temps, surtout chez les femmes. Elle qui est très pudique a osé faire cette chanson très émouvante.
Parlez-moi un peu de votre aventure « Eurovision » ?
C’est quelque chose de très marrant. Je n’ai jamais fait partie des Eurofans mais j’ai été très impressionné par cette énorme machinerie réglée comme une horloge. Ce sont les jeux olympiques de la chanson. J’ai apprécié qu’il y ait cette année plus de chansons chantées dans la langue du pays. Après ça, il y des trucs bien, des choses loufoques, des chansons incroyables… Mais je ne critique pas car chaque pays a ses chansons, ses codes. Pourquoi en rigoler ? Peut-être que certains trouvent notre musique à chier !!! Il faut donc savoir prendre du recul. Ca a été une formidable expérience.
12 ans de chansons… Revenez-vous quelquefois en arrière ?
Pas souvent, je l’avoue mais je n’ai aucun regret car depuis douze ans j’ai toujours fait les choses à fond, c’est un peu une série d’instantanés dans ma vie, des moments que j’ai vécu intensément. Il m’arrive de rigoler de certains looks que j’ai pu avoir mais c’étaient des moments que je n’analyse pas. Ce sont des évidences. Par contre je me rends compte que c’est passé très vite et je me sens rattrapé par le temps.
Déjà ? A votre âge ?
(Il rit) J’ai 12 ans de plus, je fatigue plus vite, j’ai besoin de sommeil car je suis un gros dormeur. Mais je garde le moral, en vieillissant, je prends plus de recul et j’espère que les prochaines années seront plus sereines. De toutes façons, l’âge, c’est dans la tête, c’est un état d’esprit.
Ah, quand même ! Et justement, que pensez-vous faire en vieillissant si vite ?!
Continuer à chanter, à faire de la scène car c’est là mon vrai plaisir. C’est même essentiel à ma vie. Un disque, c’est un objet inanimé mais la scène, c’est le partage, l’intensité, la vibration. C’est là que je me sens utile.
D’autres envies ?
J’adore chanter en français car je veux être compris. Mais j’aimerais peut-être faire quelque chose à côté. Vous savez, je viens du gospel, du jazz, j’écoutais Sinatra, Count Basie et j’ai envie de temps en temps de sortir de la pop. Par exemple, si je devais faire du jazz, ce ne pourrait pas être en français ! Mais je ne ferai jamais que ce que j’aime car je veux rester authentique à 100% et non faire des choses pour de mauvaises raisons.
En fait, comment, ambitionnant d’être prof d’économie et de gestion… devient-on chanteur ?
Par hasard car j’aimais chanter, je donnais des cours mais je n’aurais jamais fait l’émission « Nouvelle Star » si ma sœur ne m’y avait pas inscrit sans me le dire. Je n’ai jamais compris comment je m’y suis retrouvé, de gré ou de force, je me suis laissé faire sans réfléchir.
Mais j’ai très vite compris que c’était un métier dans lequel je pouvais être utile. D’ailleurs il m’arrive encore de donner des cours de chant. Pour le plaisir de transmettre, de donner des émotions et surtout transmettre les bonnes raisons de faire ce métier. Aujourd’hui, c’est l’apologie du vide, de ce qu’on appelle « les people » à qui l’on consacre des pages entières. Le monde est plus sur le fond que sur la forme, sur l’image que sur le continu.
Et c’est quelque part assez désespérant ».
Propos recueillis par Jacques Brachet
Christophe Willem sera le mercredi 8 août au Théâtre de la Mer à Sainte-Maxime et le vendredi 9 novembre au Théâtre Galli de Sanary