Archives mensuelles : juillet 2025

 Çağla ZENCINI & Guillaume GIOVANETTI
en toute confidence en toute confidence

Arzu est une jeune femme en instance de divorce, son mari voulant lui enlever la garde de son fils.
Pour vivre, elle travaille dans un call center érotique à Istanbul quand un séisme survient. Elle est alors appelée par un jeune garçon bloqué sous des décombres, qui demande de l’aide. Elle va tout faire alors pour le sauver, en appelant le procureur, plus que douteux et va se retrouver dans une spirale infernale où elle-même risque sa vie.
Le film est un huis clos, une sorte de thriller à la Hitchcock, oppressant, plein de dangers et de coups de théâtre dans lequel la jeune téléphoniste va de charybde en scylla, prenant de véritables risques pour sauver le gamin, risquant même sa peau, ne sachant pas dans quel guêpier elle s’est mise.
Jusqu’à la dernière image de ce film intitulé « Confidente », est suspendu à l’histoire. Les plans serrés ajoutent à l’angoisse suffocante de cette femme enfermée dans cette pièce. Angoisse que les réalisateurs nous communiquent. Les regards de cette femme qui a, à la fois, une peur immense mais un courage incroyable sont d’une grande intensité.
C’est un film signé d’un couple franco-turc : Guillaume Giovanetti et Çağla Zencirci . La comédienne Saadet. Aksoy y fait une performance digne de la grande et belle actrice qu’elle est.
Un film inattendu, hors du commun alors que l’action se passe entre une femme et un téléphone, ce qui pourrait d’ailleurs être une pièce de théâtre mais dont les réalisateurs ont fait un vrai film d’angoisse.
Sortis de la projection avec peine, tant on a le souffle coupé, l’on retrouve nos deux réalisateurs, beaux et souriants comme si de rien n’était !
Ils en sont à leur quatrième film et à leur quatrième visite au Six N’Etoiles grâce à Noémie Dumas, la directrice et Pascale Parodi, présidente de « Lumière(s) du Sud, avec qui ils sont devenus complices et amis.

« D’ailleurs – nous dit Guillaume en riant – nous avons signé pour les dix prochains films ! »
Après nous être remis de la projection, j’ai aussitôt pensé à Hitchcock !
Guillaume : C’est flatteur mais vous savez, ça fait partie de notre cinéphilie, ce sont des codes que nous avons intégré, c’est plus ou moins en nous, ces grands films. Ce n’est évidemment pas forcément conscient lorsqu’on écrit un film mais c’est quelque part dans nos neurones.
Avant de parler du film, parlons de vous…
Çağla : C’est notre quatrième film de fiction et tous sont sortis en France. Après, c’est vrai que nous venons du documentaire, nous avons aussi fait des courts métrages de fiction. Notre premier long métrage date de 2012, il a été présenté à Cannes… Et déjà à Six-Fours !
Et depuis, nous avons un pacte de fidélité avec le Six N’Etoiles !
Dans votre cas comment, un Français rencontre une Turque ?
Guillaume : Nous nous sommes rencontrés en Turquie en 2001 dans un lieu complètement improbable : l’ambassade de France. Elle y travaillait et moi je suis venu pour faire un stage dans le cadre de mes études. Nous voulions laisser tomber ce qu’on faisait et choisir une autre voie. Après moult rebondissements, comme dans le film, nous avons décidé d’essayer de faire des films.
Comment êtes-vous venus au cinéma ?
Çağla : Il est ingénieur, je suis économiste, donc loin du cinéma. C’est lui qui m’a dit de venir en France faire du cinéma. J’étais dubitative car pour moi, le cinéma était un vrai métier et nous en étions loin.
Guillaume : Il faut dire qu’avant j’avais développé une cinéphilie et elle avait chez elle une montagne de cassettes de films.
Commençant par des documentaires, qu’est-ce qui vous a poussés à la fiction ?
Çağla  : Lorsqu’on fait des documentaires, on prétend qu’on montre la réalité mais à partir du moment où on pose la caméra, les gens changent et ça change la réalité. Du coup nous avons commencé à faire de la mise en scène. Alors… Pourquoi ne pas faire de la fiction ?
Guillaume : C’est une évolution continue. On commence à faire de la docu et on se rend compte qu’on fait un peu de mise en scène. Du coup, on commence à leur écrire un rôle… Et on finit à faire de la « fiction sincère » !
Ce film, « Confidente », est en fait un huis clos qui pourrait faire l’objet d’une pièce de théâtre !
C’est vrai. D’ailleurs on a le droit d’adaptation mais, n’étant pas metteurs en scène de théâtre, pourquoi pas, si cela intéresse quelqu’un ?
Votre comédienne, Saadet Askoy, est exceptionnelle ! Comment est-elle venue sur ce film ?
Caslar : Nous la connaissions depuis longtemps et nous avions envie de travailler avec elle. Nous n’en avions pas eu l’occasion. Il faut savoir que nous travaillons pour les acteurs, avec leur visage en tête. Déjà, nous voulions travailler avec elle pour notre précédent film « Sibel ». Ça n’a pas pu se faire. Pour ce projet, nous l’avons contactée, elle a voulu lire le scénario et tout de suite elle nous a dit : « Ce film est pour moi » !

Vous avez bien fait. Elle a un talent fou et en plus elle est belle alors qu’elle est peu mise en valeur.
 Çağla : Elle n’a aucun maquillage, pas même un fond de teint !
C’est vous deux qui avez écrit le scénario ?
Guillaume : Oui. Contrairement à nos films précédents, là nous sommes dans la fiction. La seule dimension véritable, c’est la date du tremblement de terre qui a eu lieu à Istanbul mais tout ce que l’on brode autour a été provoqué par le fait qu’il y a deux ans, il y a eu un autre terrible tremblement de terre dans le sud-est de la Turquie. Caslar y était alors, pas moi, et elle a donc vu les échos malheureux des conséquences, des dégâts matériels et humains et de tout ce qui s’est socialement passé après. L’histoire se répétait de façon identique 25 ans après.
C’est ce qui vous donné l’idée de départ de ce film ?
Guillaume : Oui, nous nous sommes demandé ce que nous pouvions faire en tant que cinéastes. Nous avons décidé de prendre ce sujet à bras le corps et de révéler certains nombres de choses. Nous avons donc pensé  raconter l’histoire du tremblement de terre de 2023 en le plaçant en 1999.
Le départ du film est un peu glauque puisque Arzu parle au téléphone avec des types qui sont, soit détraqués, soit grossiers, avec des mots très crus et violents et peu à peu, chaque coup de fil qu’elle reçoit va l’amener un peu plus loin dans ce drame
Guillaume : Notre but au départ n’était pas de montrer les horreurs du tremblement de terre. On aurait pu montrer beaucoup de choses mais on a décidé de tout garder dans le hors champ en faisant un huis clos. On s’est souvenu que dans les années 90, les hot line téléphoniques érotiques étaient extrêmement populaires en Turquie. Nous nous sommes beaucoup documentés pour être pertinents et à partir de là, il fallait garder l’attention des spectateurs. Il fallait une écriture très ténue, avec beaucoup de rebondissements, avec un montage qui suivait ce rythme-là.
Çağla : En faisant des recherches, sur ces hot line, nous avons eu des témoignages des personnes qui avaient pratiqué ça à l’époque et elles disaient toutes : « Nous, nous connaissons tout le pire de l’humanité », d’autant que les appels étant anonymes, elles recevaient tous les désirs cachés, les frustrations, les rancœurs, les dépressions… Et nous avons quand même pensé qu’en dehors de l’histoire, on parlait de femmes qui ont vécu ça durant vingt ans et ça a dû faire un effet psychologique sur elles.
Là, elle est prise entre ce fils que le père veut lui enlever et ce jeune homme qui appelle au secours sous les décombres… Et qui n’est en fait pas si sympa que ça.
Guillaume : Chaque fois qu’on choisit un personnage, ce qui nous intéresse c’est qu’il soit complexe. S’il est négatif au départ, on se rend compte qu’il n’y a pas que du mauvais en lui et inversement. Lorsqu’on creuse un peu, chaque personnage va avoir une double facette. Arzu elle-même est dans une double facette. Et les femmes qui sont au téléphone, on s’est rendu compte qu’elles étaient pour la plupart marginalisées dans leur vie sociale pour des tas de raisons et qui sont à la fois dominantes et dominées par la force des choses.
Arzu est un personnage très très fort car elle est à la fois désespérée mais aussi d’une force et d’un courage rares… A chaque fois qu’arrive un événement, on reste en haleine…
Guillaume : Ce qui a été intéressant lorsqu’on a commencé à créer le scénario, et même après, c’est qu’on s’est documenté sur les autres films de ce genre, qui mettaient des gens dans des huis clos mais tous les protagonistes étaient des hommes et nous avons voulu aller vers un personnage féminin qui arrive à trouver sa force, sa voie. C’est drôle d’ailleurs que nous nous en soyons rends compte après coup. Naturellement nous sommes allés vers un personnage féminin parce que nous trouvions qu’il ouvrait la voie à d’autres possibilités.

Alors, chose surprenante, le film est tourné en Turquie, parlé en turc et le générique est chanté par une chanteuse française !
Guillaume : (Rires) Nous aussi ça nous a surpris !
Çağla : En fait, nous voulions terminer le film par du hard rock car à l’époque il y avait une montée de groupes hard rock et même de groupes féminins. Donc je pensais à elles pour terminer le film avec des guitares et des batteries. Un jour, alors qu’on travaillait, on écoutait la radio lorsqu’on a entendu « Douce » qui porte bien son nom tant qu’on n’écoute pas les paroles qui sont très fortes, d’une grande violence et alors on s’est dit que c’était ça qu’on devait mettre. Mais lorsqu’on a décidé de contacter Clara Ysé qui a écrit et chante la chanson, elle obtenait la Victoire de la Musique. On s’est alors dit qu’on ne l’aurait jamais. Et elle a dit oui. C’est une chanteuse très généreuse et la prod a été très sympa.
Guillaume : Nous aimons travailler par contraste. Le film est un thriller hyper rythmé et d’un coup il y a cette douceur, agréable musicalement mais au niveau du sens c’est ce dont on avait besoin.
Le film a été tourné à quel endroit ?
Çağla : A Ankara, dans la maison secondaire de mes parents. Après le décès de mon père, ma mère ne voulait pas y retourner. La maison était vide, j’ai demandé à ma mère de pouvoir l’utiliser. Elle a dit oui à condition de lire le scénario. Vu le sujet on s’est senti un peu mal à l’aise.
Mais elle a dit oui. On commence à faire tomber un mur pour agrandir l’espace et la voilà qui arrive. Elle me dit alors : « Je n’avais pas pensé à ça… Alors je veux être là tous les jours ! »
Je lui dis que le seul moyen d’être là est de jouer dans le film. Du coup, ma mère, ma tante, leurs meilleures amies, les copines de mon frère sont venues jouer les opératrice du hot line !!!

Elles n’étaient pas choquées de dire ce dialogue ?
Guillaume : Au contraire de ce qu’on pensait ! Nous, nous adorons travailler avec des non-comédiens mais là, vu le sujet, on avait un peu peur de leurs réactions. Et pourtant elles ont joué le jeu… Elles ont même inventé des dialogues et elles ont été extrêmement créatives !!! Elles se sont données à fond tout en tricotant !
Même Saadet trouvait que le dialogue « Pouvait mieux faire », elle a trouvé des personnes qui faisaient du sado-maso et elle a chopé leurs dialogues !
Alors que le sujet ne s’y prêtait pas du tout, on a tourné dans une atmosphère familiale. Certaines femmes venaient avec leurs petits enfants qu’on faisait sortir pour le tournage.
Vous êtes donc un couple, et donc vous travaillez ensemble. Comment ça se passe ?
Çağla, étant un couple dans la vie, notre travail se déroule vingt-quatre heures sur vingt-quatre ensemble. On s’engueule beaucoup mais ce qui nous aide, c’est que nous n’avons pas fait d’études de cinéma, nous avons appris ensemble à écrire, tourner, monter  et toutes ces capacités, nous les avons développées ensemble. Nous sommes totalement complémentaires et nous ne pouvons rien faire l’un sans l’autre.
Guillaume : Et ça fait vingt-trois ans que ça dure ! »

Magnifique couple qui nous offre un film qui nous tient en haleine jusqu’au bout… Et ce n’est pas fini, tant ils cogitent plein de projets, dont trois sont sur la table : le premier est un film d’art martial de genre et d’auteur dont le rôle principal sera tenu par une athlète de Kung Fu qui va essayer de transmettre le calme et la philosophie aux femmes, pour leur permettre de se reconstruire. Le second est une tentative de long métrage à partir du court métrage tourné il y a dix ans sur un ouïghour s’est enfui en France refaire sa vie, aidé par un chinois de Hong Kong. C’est un thriller géopolitique. Le troisième projet se passe en Corée du Sud, une quête historique d’une jeune femme turque qui vient rechercher les traces de son grand-père supposé mort.
Trois films, trois voyages, trois histoires très différentes qui vont encore les mener à voyager… Mais qui feront escale à Six-Fours pour chacun, promis !
Alors… A bientôt !

Propos recueillis par Jacques Brachet

Justine, responsable de la communication et Noémie Dumas directrice du Six N’Etoiles, Çağla Zencirci et Guillaume Giovanetti, les réalisateurs, Pascale Parodi, présidente de « Lumière(s) du Sud