
Le film se passe à Paris, dans le quartier dit « Le petit Jaffna » dans le Xème arrondissement. Un quartier où les émigrés indiens tamouls se sont installés en quittant leur pays, Jaffna étant une ville du Sri Lanka.
Mickaël (Lawrence Valin) est un policier de racine tamoul mais né en France. De par sa couleur, on l’infiltre dans un gang tamoul pour le démembrer. Mais, comme il est entre deux cultures, il va, là aussi balancer entre les bons et les méchants auxquels, au fil des jours, il commence à s’attacher. Malgré tout, il devra aller jusqu’au bout de sa mission, à ses risques et périls.
Lawrence, qui est aussi le scénariste et le réalisateur, nous immisce avec lui dans ce quartier peu connu où les tamouls ont recréé leur monde. Et où un gang mène la danse. Un monde fait de peur et de violence où deux bandes s’opposent avec brutalité dans un monde de déracinés, où se mêlent quand même fierté, amour, fraternité. Le film est à la fois énergique, violent et poignant où notre flic balance entre deux cultures, entre humanité et sauvagerie, fraternité et violence.
Un film coup de poing, superbement maitrisé qui aurait pu faire partie d’une sélection cannoise à la place de sempiternels invités que l’on voit revenir à chaque festival.
« Lawrence, faire un film sur la communauté Tamoul… Quelle question vous êtes-vous posée ?
(Il rit) La question que je me suis posée est : Est-ce que ça va intéresser les gens ? Mon but était de mettre la lumière sur ce conflit. C’est une communauté qui est peu visible, très discrète. Il faut dire que la première génération qui a fui le conflit avait besoin de l’être pour pouvoir s’intégrer. Je suis la première génération à être né en France, j’avais besoin d’exister et de dire haut et fort que j’étais là et je pense que ce film est une manière de dire que je suis français. La seule représentation dans le cinéma français était celle de migrants. Je me suis dit qu’il y aurait une autre représentation, avec des gangsters colorés ! J’ai toujours eu envie de faire des films de gangsters et cette représentation sera la seule que je ferai car je ne veux pas stigmatiser cette communauté. C’est à la fois mon premier et mon dernier sur cette communauté tamoul.
Est-ce que ce projet a été difficile à monter, d’autant que c’est votre premier long métrage ?
Il y a quelques années il y a eu « Dheepan » de Jacques Audiard qui a eu la palme d’or à Cannes en 2015 et je me suis dit que ce serait dur d’arriver derrière ce film. Du coup j’ai mis beaucoup de temps à écrire le mien, d’autant que je n’avais pas de tête d’affiche pour le porter. J’ai donc tout misé sur le scénario et du coup, le financement a été très rapide. On n’a mis que six mois.
Vous avez quand même mis sept ans pour le faire ?
Oui, j’ai commencé en 2017 et j’ai terminé le film en juillet dernier. Et j’ai fait depuis, plus d’une trentaine de festivals, à commencer par Venise et Toronto et on a enchaîné. Le film est sorti en France le 30 avril et là il y a eu un problème : il a été considéré comme un film étranger alors qu’il a été 100% financé en France et tourné en France. Les comédiens sont effectvement franco-tamouls. C’était important pour moi de mêler les deux langues à égalité. Je ne voulais pas qu’il soit considéré comme un film du cinéma du monde. Mais ça a été un frein pour la sortie en France.
Et pourtant, ce sont des jeunes qui existent…
Oui, ce ‘est pas purement fictionnel mais ce que j’aime faire c’est mettre la lumière sur les gens qu’on ne voit pas, et c‘est vrai qu’au sein de la communauté tamoul, les mecs de bandes c’est ce qu’on voit encore moins car on veut les cacher et moi, en tant que metteur en scène, c’est eux que je voulais voir briller. Ce qui a occasionné des tensions jusqu’à créer un boycott à la sortie du film en France.
En fait ils voulaient qu’on montre les gentils contre les méchants alors que je voulais que ce ne soit pas manichéen car de chaque côté, forcément, dans une guerre il y a des parties d’ombre, des parties de lumière dans chaque clan. C’est ce que j’ai voulu montrer mais eux ne veulent pas l’entendre. Ce que je voulais montrer que ce qu’on considère comme des terroriste, ce sont en fait des résistants. La frontière est très fine entre les deux.
Le choix de vos comédiens, comment s’est-il fait ?
Pour la plupart des jeunes qu’on voit dans le film, c’est leur première fois. Dans les acteurs confirmés, il n’y en a que deux : Vela Ramamoorthy qui joue Aya et Radhika Sarathkumar qui joue la grand –mère deux grands acteur en Inde. Radhika est l’équivalent d’Isabelle Huppert ou Catherine Deneuve même si en France, on ne la connait pas et c’est ce qui l’enchantait. D’ailleurs, la communauté ne venait pas pour moi mais pour la voir, elle ! C’est pour moi le personnage principal du film.
Etre scénariste, réalisateur, comédien principal, ce n’est pas un peu compliqué ?
Quand on n’a pas le choix, il faut le faire ! J’avais tellement soif de jouer que c’est ce qui m’a porté tout le long. C’est ce qui m’a donné l’envie d’écrire et réaliser, même lorsqu’on me disait que ce n’était pas possible. Je suis allé le chercher ce film car, sachant qu’on n’allait pas demandé à un franco-tamoul pour faire le film, c’était une manière de créer ma place. Mon critère de départ, vis-à-vis des producteurs, était que je n’écrirais pas si je ne jouais pas dans le film.
Réaliser un premier film est, je pense, difficile ?
Ce film, je ne l’ai vraiment pas fait comme un premier film mais comme mon dernier film. Ce qui m’a enlevé toute la pression qu’on a sur un premier film en pensant à la réussite, à la critique, à la suite. Je m’en fichais en fait, je me disais que j’avais besoin de faire ce film pour moi et je serais le plus heureux de le pouvoir le faire exister. C’était très important de parler de ce conflit. Du coup, j’ai profité de chaque moment. Je voulais prendre du plaisir même si je devais me planter. En tout cas le film serait là. J’ai travaillé à tous les postes avec chaque responsable.
Alors en fait, ce ne sera pas votre dernier film ?
C’est vrai que, dès le film terminé, on a envie d’en refaire un autre ! Je suis déjà en train d’écrire le deuxième… Et le plus dur sera de le financer ! Mais avant, je vais accompagner ce film tant qu’il faudra le faire ».
Propos recueillis par Jacques Brachet