Quelques gouttes de pluie n’ont pas fait peur aux Six-Fournais venus découvrir un nouveau lieu. Un lieu que tout le monde connaît : Charlemagne qui, jouxtant le Six-N’Etoiles élargit le pôle culturel de cette ville, d’autant que, face à la librairie, le maire Jean-Sébastien Vialatte, devait nous annoncer ce soir-là, l’installation de la médiathèque, juste en face de la librairie, ce qui, ajouta-t-il, n’était pas un hasard. !
Nous avons de la chance et, comme le soulignait encore le maire, d’être à cet endroit faisait sens à côté du cinéma que Noémie Dumas et Jérôme Quattieri dirigent de main de maître et ne vont pas se gêner pour collaborer, lorsque viennent les artistes pour présenter leurs films. En cela, un autre duo : Stéphanie Banon et Christophe Seng, les deux responsables de cette nouvelle librairie, sont tout à fait d’accord et bientôt l’on verra naître des animations communes autour du livre et du cinéma. Beaucoup de monde donc pour cette inauguration dont Fabiola Casagrande, adjointe à la culture, Sandra Kuntz, ajointe aux affaires scolaires et Delphine Quin, adjointe au patrimoine, qui organise tous les étés des rendez-vous littéraires dont on connaîtra bientôt le nom des auteurs cette année. On peut déjà vous dévoiler que ce sera René Frégni qui ouvrira le bal et qu’il sera clos avec Nicolas Sarkozy… Mais vous aurez bientôt le programme !
Bien entendu, le grand patron de Charlemagne, Olivier Rouard, était là pour inaugurer cette nouvelle librairie, présentant toute son équipe et disant son bonheur d’ouvrir ce nouveau lieu, « La culture, dans cette période troublée, étant le meilleur moyen de s’évader et de pouvoir apporter du plaisir et de la joie » Grâce au maire et son équipe, Six-Fours nous offre une action culturelle forte, le livre et le cinéma étant des espaces d’échange et de liberté. C’est sous une pluie de confettis que le ruban fut coupé, pluie – l’autre ! – qui décida de ne pas assombrir ce moment de fête que chacun apprécia. Alors aujourd’hui, vous savez ce qu’il faut faire pour vous évader, pour rêver, pour réfléchir : passer du cinéma à la librairie et vice-versa. Nos deux duos vous y attendent.
Aymeric (Karim Leklou) est un gars sans problème, solitaire, introverti… Mais gentil. Il retrouve Florence (Laetitia Dosch) une copine avec qui il a travaillé, qui a été lâchée par son mec qui lui a laissé un souvenir avant de partir : un bébé à naître. Karim tombera amoureux, prendra la grossesse et l’enfant en charge. En fait, il sera son papa durant sept ans. Le temps que revienne le vrai père et que le drame s’installe. Le père veut retrouver son fils, la mère alors décide de prendre Aymeric comme parrain avant que tous trois aillent s’installer au Canada laissant Aymeric dans une tristesse profonde. Jusqu’au jour où… On n’en dira pas plus sur ce film signé des frères Larrieu « Le roman de Jim ». Trois beaux acteurs dont Karim Leklou qui crève l’écran avec cet air doux et triste, qui prend tous les coups – et ils seront nombreux – qui encaisse sans broncher. Quant à Laetitia Dosch, elle est d’une inconséquence et d’un égoïsme crasses au nom de la liberté, ne se rendant pas compte du mal qu’elle fait à cet homme et à ce gosse. Enfin Florence (Sara Girodeau) qui va être le catalyseur pour qu’Aymeric retrouve un espoir, une vie, vie qui l’a si longtemps malmenée. Un trio de magnifiques comédiens avec Karim, ce bon toutou qu’on a envie de protéger avec ce regard, malgré un calme et un sourire qui cachent tous les malheurs du monde. Une fois de plus il nous surprend, il nous séduit, il nous émeut par tant d’amour et d’humanité, comme le grand comédien qu’il est… Et qu’on a plaisir à retrouver après la projection du film au Six N’Etoiles où il nous rejoint. Si Karim n’est pas une star, il est l’un de nos plus beaux comédiens français, à la filmographie impressionnante, chargé de prix de meilleur comédien et recordman de films présentés à Cannes dans diverses sections, dont ce film des frères Larrieu.
Et ce regard. Un regard qui ne lâche pas le vôtre, qu’on ne peut pas lâcher non plus tellement il est intense. Et l’homme ne nous déçoit pas, bien au contraire. Il nous séduit par sa gentillesse, sa simplicité et sa façon lucide de voir le cinéma.« Karim, votre personnage est un vrai gentil… Trop gentil ? Je dirai que c’est quelqu’un de résilient. C’est vrai que c’est un homme gentil mais qui ne s’apitoie pas sur lui-même, quelqu’un qui fait face. Il n’a pas une forme de passivité mais il fait comme il peut, comme d’ailleurs tous les personnages du film. Ce sont des gens qui ne sont pas plus intelligents que l’histoire qu’ils vivent. C’est ce qui m’a touché dans le scénario car il y a une qualité assez rare : c’est un personnage qui n’a pas forcément un changement d’étape psychologique très important mais qui, par sa gentillesse, risque de perdre une part de sa vie. A mon avis c’est très fort. Ce qui m’a plu également c’est qu’à un moment tout peut dérailler. Le personnage accepte quand même beaucoup de choses sans broncher ! Au départ il tombe amoureux et du coup il reçoit cet enfant qui n’est pas de lui. Ce n’est pas le plus beau jour de sa vie mais il accepte d’en être le père. Il y a plein d’étapes qui font qu’il va aimer ce gosse qui n’est pas au départ programmé dans sa vie. Il fait avec la réalité du moment. Il vivra sept années idylliques dans ce cadre magnifique du Jura. Le scénario est tiré du livre éponyme de Pierric Bailly… Oui et ce qu’il y a de formidable c’est que Jean-Marie et Arnaud Larrieu n’ont pas trahi le roman. Mieux : ils ont fait participer Pierric au scénario, ce qui n’est pas une obligation. Mais il y avait une transparence, ils ont fait ensemble les repérages, les gens de Saint-Claude les ont aidés et d’un coup, il y a eu une synergie qui s’est créée.
Aviez-vous lu le roman ? Non, je l’ai lu après, je ne voulais pas du tout le lire avant, j’avais très peur de trouver d’autres éléments par rapport au scénario pour ne pas me créer un autre imaginaire. Je me suis vraiment basé sur le scénario. Par contre, je me suis très vite trouvé hyper proche de Pierric. C’est un gars très simple, vrai intello mais très accessible, très généreux. Vous vous êtes trouvés en phase avec lui, avec ce scénario avec les réalisateurs ? Oui, nous avons beaucoup échangé sur l’écriture du scénario, j’étais très touché par sa vision de ces liens qui se distendent, qui dépassent les liens du sang. Ça a une forte résonnance avec la vie d’aujourd’hui. Je trouvais aussi le portrait de ces deux femmes très moderne, très actuel… On n’est pas dans « L’amour est dans le près » ! Les discussions ont bien fonctionné entre les frères Larrieu, Prerric et moi. D’autant qu’au départ j’étais surpris que les frères Larrieu fassent appel à moi, je ne pensais pas pouvoir entrer dans leur monde qui est loin de moi. Mais dès la première rencontre, je suis tombé sous leur charme, je les ai adoré par leur humanité, par leur vision mais aussi par leur fantaisie, par leur écoute. Ce sont des réalisateurs qui aiment les gens, qui font attention aux autres. Comment définiriez-vous le film ? C’est un film social, c’est un grand mélo, c’est un film romanesque, c’est un film d’amour, c’est aussi peut-être un film politique car ça parle de ces liens qui se tissent sans qu’au départ ce soient des liens familiaux. C’est un film de la France d’aujourd’hui que je suis très heureux de défendre car je crois que je n’avais jamais défendu cette notion de gentillesse et de douceur dans un film qu’au départ je ne me sentais pas légitime d’être. Je dois vous avouer que, même dans d’autres films, j’ai toujours été subjugué par votre regard dans lequel, sans rien dire, vous faites passer tellement de choses ! Merci maman ! Merci à vous aussi car ce que vous dites me touche. Mais je crois que c’est aussi un travail de tout le monde.
Vous parlez toujours des autres, pas de vous ! Oui mais le regard ça dépend aussi du chef opérateur, de la façon qu’il a lui-même de vous regarder. Comment il vous filme et ce qu’il perçoit de vous. Il y a aussi l’importance des silences, des regards. Personne n’a rien inventé depuis Chaplin ! Il y avait toute l’universalité que je retrouve dans ce film. C’est un film qui ne va pas dans l’artifice. Alors parlons de vos deux partenaires féminines. Laetitia est une actrice sensationnelle qui m’a impressionné par sa capacité totale à plonger dans les scènes. Elle a un rôle difficile et arrive à l’humaniser… Je l’aime et la respecte profondément. Elle a une force dingue de travail et de proposition qui l’amène dans un ailleurs de sincérité, de vérité, de liberté, de courage, d’humanité. Sara, c’est magique. On a l’impression d’une grande facilité. Elle raconte beaucoup de choses dans les regards, dans l’énergie qu’elle met dans son personnage qui fait du bien au film. Dans le film, c’est un soleil qui emporte tout. J’ai pris un grand plaisir à jouer avec ces deux actrices. Ce film a-t-il changé quelque chose en vous ? C’est un film qui m’a touché, qui m’a de plus en plus donné envie d’explorer des fonds universels, de continuer d’aller vers des films très différents, comme je l’ai fait souvent. Des films qui permettent de voyager à l’intérieur de vous-mêmes, de vous interroger sur vous. Ça me rend encore plus curieux de travailler avec des gens différents, d’oser encore plus d’être qui on est. Et c’est un métier qui demande d’être humble, de s’intéresser aux autres. Ce film m’a conforté dans une certaine idée de l’humanité.
Parlons du festival de Cannes. Vous êtes un recordman des films présentés, toutes catégories, jusqu’à celui-ci qui était en projection officielle… J’étais très heureux que ce film se retrouve là-bas, comme chaque fois que je viens y défendre un film. Ce sont toujours de belles naissances d’un film, une place privilégiée Pour celui-ci, surtout lorsque c’est un film d’auteur ou d’art et essai. Je suis toujours très heureux pour les comédiens, pour l’équipe avec qui j’ai partagé un certain temps. C’est pour ça que j’aime Cannes, c’est une chance d’exister pour les films. Cannes ce n’est pas moi mais les films qui m’ont permis d’y aller et de les défendre. C’est le film qui vous amène à Cannes, par les comédiens. On porte un film en commun et on essaie de les faire vivre. Je suis heureux de les présenter avec toute l’équipe ».
Propos recueillis par Jacques Brachet Photos Alain Lafon
La saison sera un peu particulière pour Chateauvallon qui fête cette année ses 60 ans d’existence. Pour les moins de vingt ans qui ne peuvent pas connaître, il faut rappeler que les « anciens » comme moi, ont vu naître, pierre après pierre ce village aux allures grecques que l’on doit à un génie nommé Henri Komatis et qui fut dirigé par Gérard Paquet durant des décennies, jusqu’à l’arrivée du FN à Toulon. A ses côtés le Liberté, théâtre qui a vu le jour à Toulon en 2008 qui, malgré sa jeunesse, nous a déjà offert un magnifique éventail de spectacles, de créations, d’artistes magnifiques. Aujourd’hui ces deux superbes lieux de Culture sont devenus scènes nationales, le premier, dirigé par Stéphane de Belleval, le second par Charles Berling. Tous deux dirigés par deux présidentes : Chateauvallon par Françoise Baudisson, le Liberté par Claire Chazal. Avec l’amiral Yann Tainguy pour présider l’union des deux lieux. Et c’est sous un beau et chaud soleil que, comme à l’accoutumée, tous étaient réunis dans l’amphithéâtre de Chateauvallon pour présenter, chacun leur tour, la programmation de la saison 24/25.
Quelques artistes étaient venus présenter leur spectacle que l’on découvrira cet hiver, interviewés magistralement, avec toujours la même classe, par Claire Chazal. C’est ainsi qu’on eut la joie de découvrir qu’un grand monsieur inaugurera la saison à Chateauvallon le 13 septembre : Michel Jonasz himself, accompagné par le grand pianiste Jean-Yves d’Angelo pour un piano-voix très jazzy auquel se joindra le Enzo Carniel Quartet. Ouverture en majeur, donc. Tout comme au Liberté puisque pour ouvrir la saison, il accueillera, du 25 au 28 septembre » un Molière et pas des moindres : « Dom Juan » mis en scène par Macha Makeief, qui fut directrice de la Criée et qui est une habituée du Liberté, Deux grands comédiens pour porter ce chef d’œuvre : Xavier Gallais et Vincent Winterhalter. Et durant une heure nous devions découvrir le choix des deux théâtres que l’on ne peut tout vous donner ce jour mais que vous pouvez découvrir sur la brochure ou sur le site internet. Notons quand même la venue de Thomas Quillardet au Libert,é du 6 au 8 novembre avec son spectacle « En addicto », Grégory Montel et Lionel Suarez à Chateauvallon pour un spectacle dédié à Claude Nougaro , le 10 décembre. Le retour du chorégraphe Jean-Claude Gallota, les 18 et 19 décembre à Chateauvallon (qui fut le royaume de la danse) avec son spectacle « Cher cinéma ». Grand moment au Liberté, les 16 et 17 janvier, avec « L’amante anglaise » de Marguerite Duras avec la sublime Sandrine Bonnaire. Autre magnifique artiste : la chanteuse Flavia Cohelo qui nous offrira son nouveau spectacle « Gingo » le 31 janvier à Chateauvallon. Encore un grand moment avec la venue d’une comédienne aujourd’hui internationale : Camille Cottin qui nous donne « Rendez-vous » les 1er et 2 mars au Liberté. Le Liberté qui recevra Stacey Kent, reconnue aujourd’hui comme l’une des plus grandes chanteuses de jazz de sa génération et qui se produira avec son quartet au Liberté le 14 mars. Bien sûr, Charles Berling viendra dans sa maison du 25 au 28 mars pour interpréter « Calek », d’après les mémoires de Calek Perechodnik.
Du Feydeau, auteur déjà déjanté mais qui, avec, la comédienne et circassienne Karelle Prugnaud, le sera encore plus avec « On purge bébé ». Encore un Molière : « Les fourberies de Scapin » mis en scène par Muriel Mayette-Holtz, issue de la Comédie Française, qui fut directrice de la Villa Médicis et tient aujourd’hui la direction du Théâtre de Nice. N’oublions pas l’Opéra de Toulon, dirigé par Jérôme Brunetière, qui, toujours fermé pour rénovation, viendra se joindre à la programmation des deux sites avec « La belle Hélène » d’Offenbach au Liberté du 13 AU 18 mai Bien évidemment, la liste est loin d’être exhaustive et, entre théâtre, danse, musique, chanson cirque, marionnettes, music-hall, cabaret, les « Théma » et la « passion bleue » qui sont aujourd’hui très suivis, les expositions, le pont culturel entre ces deux espaces que nous avons la chance d’avoir dans le Var, est large, riche, varié. Ce sera encore une belle année !
Paris, hiver, fin des années 60. Il fait froid. On peut même dire qu’il gèle. Une petite brise glaciale vient s’insinuer au travers de mon manteau. Pour comble de bonheur, il pleut. Une de ces petites bruines parisiennes qui vous transperce jusqu’aux os. Le ciel, uniformément gris et bas, vient se confondre avec la Seine qui coule doucement, frileusement. Seule Notre- Dame a l’air de résister au temps maussade et hivernal, la tête dans les nuages. Elle en a vu d’autres. (Elle est encore loin du drame). Et, si j’avais encore quelques doutes, je comprends pourquoi je n’ai pas tenu longtemps à Paris, pourquoi j’ai refusé d’y rester pour travailler ! Je traverse un pont. Lequel ? Je n’en sais rien. Je suis fidèlement le plan que m’a donné Françoise Hardy. Eh oui, je vais chez Françoise Hardy. Profitant de quelques journées parisiennes, j’ai pris contact avec la plus discrète de nos chanteuses afin de la rencontrer. Très tôt, elle s’est éloignée de la scène et de ce fait, je n’ai jamais pu la rencontrer en province, sinon lors d’une folle journée au magasin Prisunic où elle est venue faire une animation. Pourquoi ? Elle ne veut plus s’en souvenir tant elle fut traumatisée par la folie des fans. Alors, j’avais décidé que, si Françoise ne venait pas à moi, j’irais à elle. Par l’intermédiaire d’une attachée de presse amie qui a fait l’entremetteuse, j’ai reçu une réponse positive. Ça me réchauffe le cœur… et le corps qui commence à être transi ! Je prends une petite rue de l’île St Louis, calme, grise – mais en fait ici, tout est gris ! – longée d’anciennes et très belles maisons, très souvent transformées en hôtels particuliers. J’entre dans une cour pavée où l’on s’attendrait à voir se ruer une calèche. Je monte trois étages en colimaçon qui me font remonter le temps. Une porte sans nom : juste la tête d’un petit bonhomme dessiné en trois coups de crayon, sur un petit carton. C’est charmant.
Je sonne. Temps mort puis des pas. La porte s’ouvre sur une silhouette longiligne, reconnaissable entre toutes. Pantalon et pull noir, chemisier rosé. Je me présente : « Vous êtes en avance d’un quart d’heure !« La phrase est jetée sans bonjour, sans méchanceté mais elle a tapé au but. C’est vrai que j’ai l’habitude, la qualité – le défaut, me dit ma femme ! – d’avoir tellement peur d’être en retard que je suis sempiternellement en avance. Après, selon les rendez-vous, j’attends l’heure. Mais j’ai une sainte horreur du retard, pour moi et pour les autres ! Là, vu le temps, j’avais pensé qu’à un quart d’heure près et m’attendant chez elle, Françoise n’y verrait pas d’inconvénient… Visiblement elle en voyait un ! Mais, le temps d’avoir grommelé cette phrase d’un air boudeur, un sourire – oh, très fugitif ! – s’esquisse sur ses lèvres pour me faire comprendre que, malgré tout, ça n’est pas un drame. Tout de même, elle l’a dit et j’apprendrai très vite qu’elle est très directe et qu’elle peut être assassine ! Encore un escalier en colimaçon, tout moquetté. Une douce chaleur m’envahit, qui fait du bien. Une musique, douce également, en sourdine, des lumières tamisées. Moquette noire, murs blancs immaculés, lampes oranges, meubles design en acier et cuir noir. Une immense cheminée dans laquelle trône une chaîne hifi entourée de plein de disques. Me voilà donc dans l’univers de Françoise. Un univers qui lui ressemble étrangement, à la fois sobre, mystérieux, racé, un peu froid mais plein de douceur. Tout y est si feutré qu’on a presque envie de parler bas. Je découvre. Je me réchauffe. Je me sens à la fois bien et un peu gêné de déranger la Belle au Bois Dormant. Françoise, qui n’a plus parlé depuis sa petite phrase lapidaire, me demande, d’une voix aussi feutrée si j’aime. J’aime. Je le luis dis. Oubliés le vent glacé, la pluie, le brouillard. Elle me fait installer dans l’un des grands fauteuils noirs et, avant que je lui aie dit quoi que ce soit, elle pose un disque sur la platine. Dans un murmure elle m’invite à écouter des chansons qui feront partie de son prochain album. Je suis quelque peu surpris car elle vient tout juste d’en sortir un : « Dès qu’un disque est sorti, pour moi c’est terminé. Je pense au prochain même s’il ne sortira que dans un an ou plus. Je prends le temps de choisir les chansons, de les essayer, j’écris, je réécris, je cherche le style, la couleur que je vais lui donner. Une année, ça passe vite. Il me faut encore chercher les orchestrations et donc, l’orchestrateur qui donnera la dernière touche et la couleur à l’album. Je veux avoir tout mon temps pour ne pas me presser ni me tromper. Je sais en principe exactement où je veux aller… » J’avoue que je découvre une Françoise Hardy différente de l’image que je m’en suis faite. Je la voyais quelque peu nonchalante et passive, faisant ce métier sans vraie passion, presque avec ennui. Je me rends compte alors que, ce qui l’ennuie c’est la promo, les télés, la scène et ce qui lui plaît, c’est d’écrire, de composer, de faire naître des chansons.
Et puis, je la croyais lointaine, inaccessible et la voilà qui me propose de m’installer à même la moquette avec elle et qui me confie ses idées, sa façon de voir le métier, d’y être sans vraiment y entrer, occupant une place à part dans ce show biz avec lequel elle prend beaucoup de recul. Elle m’explique son horreur et son trac à se rendre malade chaque fois qu’il fallait monter sur scène dans des conditions quelquefois épouvantables : extérieurs, chaleur ou mauvais temps, chapiteaux pourris, sonos défectueuses, toilettes inexistantes et les kilomètres à avaler. C’est vrai qu’à cette époque, rien n’est fait pour le confort de l’artiste. Aucun d’eux aujourd’hui n’accepterait de faire une tournée dans de telles situations. Les exigences sont loin d’être les mêmes… Très, très, très loin de là ! De tout cet inconfort elle a voulu se débarrasser pour avoir l’esprit libre, du temps devant elle. Elle continue à faire des disques car c’est un besoin, une envie. La scène ? Terminé. La horde de fans ? Plus jamais. Le « service après-vente », comme elle dit, elle le fait pour les besoins de la cause : faire connaître ses chansons, vendre son album pour pouvoir continuer à en faire d’autres. Mais c’est vrai que, même à la télé, elle ne fait que le strict nécessaire. « Quand on m’invite, c’est afin de parler de l’album, je ne vois rien d’autre à raconter. Je n’aime pas parler de moi. Donc, en dehors de la promo, on ne me voit pas et c’est très bien comme ça. Tant pis si ça ne plaît pas à certains esprits chagrins. Je suis comme ça. Je suis moi, je ne cherche pas à plaire à tout prix« Ce qui ne l’empêche pas de se passionner pour la musique. Elle écoute beaucoup de choses, se tient au courant des nouvelles tendances, des nouveaux artistes et surtout des auteurs et compositeurs qui pourraient travailler avec elle, faire un bout de chemin sur un disque. Ainsi me parle-t-elle de Catherine Lara qu’elle a découverte très tôt et dont elle aurait même eu envie de produire son premier disque. Mais elle sait que la production est quelque chose d’onéreux, d’aléatoire et, avec sa lucidité et sa rigueur, elle a préféré conseiller à Catherine d’entrer dans une maison de disques où elle aurait plus de soutien et de moyens que ce qu’elle aurait pu lui apporter. Ce qui ne l’a pas empêchée d’enregistrer elle-même des chansons que Lara a écrites pour elle.
De plus, dans sa vie, il y a un sentiment qu’elle cultive particulièrement : l’amitié, dont elle a d’ailleurs fait une jolie chanson. C’est essentiel à sa façon de vivre Elle a quelques amis, peu mais fiables, qui font partie de sa bulle de vie. Tout en bavardant, nous avons rejoint les fauteuils. Le thé qu’elle m’a offert a refroidi mais qu’importe. La musique a cessé sans qu’on s’en rende compte et l’on continue à parler. Jusqu’au moment où sa voix se tait aussi. Elle se lève, regarde par la fenêtre la pluie qui continue à ruisseler, se serre les bras en frissonnant rétrospectivement. Sa longue silhouette est en ombre chinoise ou presque. La nuit est tombée et je sens qu’il est temps pour moi de partir. Le temps de lui demander de poser pour une photo. Même si ça ne l’enchante pas elle dit oui mais me propose de très jolies photos de presse au cas où mes photos ne seraient pas réussies, et dans la mesure où elle ne peut pas les voir. Elle m’en signe d’ailleurs une avec ce curieux petit bonhomme vu sur la porte. Je ne ferai que deux photos Elle ne sourira pas. Le sourire arrive enfin lorsqu’elle me dit au revoir et qu’elle redescend le petit escalier pour m’ouvrir la porte. Me revoilà affrontant pluie, nuit, froid mais le cœur encore tout chaud de ces quelques heures passées aux côtés de cette artiste unique entre toutes. Sauvage ? Peut-être, mais simple et directe. Timide ? Certainement mais surtout secrète, pudique, jalouse de sa vie privée dont je me serai garder de parler tout au long de notre rencontre. Je la rencontrerai quelque temps plus tard et par deux fois au MIDEM à Cannes et, se souvenant de moi, elle acceptera une petite séance photo sur la croisette et un court moment d’entretien pour évoquer les derniers événements de sa vie d’artiste. Bien évidemment, il n’y aura plus cette magie que j’ai vécue un après-midi d’hiver dans cette jolie maison de l’île St Louis qu’elle a quitté depuis mais qui me rappelle une rencontre exceptionnelle que j’aurais aimé renouveler… La sortie de son autobiographie m’a vraiment surpris car elle n’était pas habituée à des confidences et là, tout à coup, elle déballait tout. Sans compter que sa façon de raconter m’a laissé une drôle d’impression.
Revenue de beaucoup de choses, très souvent insatisfaite de son travail, perturbée par son enfance, pas faite pour un métier qu’elle a pourtant choisi, très critique sur son talent, sans beaucoup de compassion pour les chanteurs qui la chantent, elle paraît ainsi très abrupte et si elle ne se ménage pas, elle ne ménage personne. Elle a pourtant tout eu : la beauté, le talent, la reconnaissance, elle fut une icône avant l’heure et a su le rester avec classe et beaucoup de mystère… Malgré les énormes ennuis de santé qu’elle trimballait depuis des années et qu’elle vivait au jour le jour. En fait, elle fut un OVNI dans ces années 60, elle, la romantique-pessimiste, débarquant dans un monde de rythme, de folie, de joie et d’optimisme… C’est peut-être ce total contrecourant qui en a fait ce qu’elle était : un être et une chanteuse à part qui, durant plus de 50 ans, a continué à passionner les gens. Et malgré tout ça, j’avais gardé une furieuse envie de la rencontrer à nouveau ! Une pierre précieuse, une perle rare dans ce monde féroce de la chanson.
Lundi soir au Théâtre Daudet, on aurait pu se croire à Cannes ! En effet, Pascale Parodi et son équipe de « Lumières du Sud » organisaient le palmarès de toute la saison cinématographique de l’association. Une saison riche en découvertes et en émotions, de films venus de tous les coins du monde. Une présélection avait été faite de douze films dont le jury, c’est-à-dire, les adhérents et le public devaient choisir pour trois sections : le scénario, la réalisation et le prix d’interprétation masculine et féminine. Pour se remémorer les films sélectionnés, nous eûmes droit à la bande annonce de chaque film et… la discussion pouvait alors démarrer, animée par la présidente ainsi qu’Isabel et Frédéric Mouttet. Chacun pouvait avoir son mot à dire et ne s’en priva pas ! Dès le départ, deux films étaient jugés hors compétition : le film de Delphine Seyrig « Sois belle et tais-toi » qui est un documentaire sur la situation des comédiennes dans le cinéma, Delphine Seyrig en ayant beaucoup interrogé. Le second, « Italie, le feu, la cendre », de Céline Gailleurd et Olivier Bohler, autre documentaire sur le cinéma muet italien qui fut prolifique mais dont beaucoup de films furent détruits.
Ceux-ci ayant été enlevés de la course, un autre fit un peu polémique : « La fiancée du pirate » de Nelly Kaplan où Bernadette Laffont était d’une beauté sidérante. Avait-il lieu de le sélectionner alors qu’il a fait en son temps, en 1969 un énorme succès et a fait découvrir cette belle comédienne aujourd’hui décédée. Mais après de longs palabres, il resta en compétition et… c’est Bernadette Laffont qui obtint le prix de la meilleure comédienne ! Autour de tous les autres films, les discutions allèrent bon train, les goûts, les idées, les regards étant très différents, chacun les défendant pour des raisons personnelles. A noter qu’Isabel fut une acharnée pour défendre ou critiquer les films eux-mêmes, ou le scénario, ou l’image… Mais tout se fit dans la plus belle ambiance possible, avec un zeste de passion, quelques doses d’humour, chacun défendant ses idées. Au vote à main levée, je ne suis pas sûr que certains ne votèrent pas plusieurs fois mais, bon, ce fut un jury bon enfant, moins stressé qu’un jury cannois.
And the winners are : « Good bye Julia » de Mohamed Kordofani, qui remporta à l’unanimité le prix du meilleur scénario et de la meilleure réalisation. Pour le prix d’interprétation, hormis Bernadette Laffont pour la comédienne, c’est Olivier Gourmet qui remporta le prix d’interprétation masculine pour le film d’Antoine Russbach « Ceux qui travaillent ». Avec un prix spécial pour la jeune Tomoko Tabaka dans le film de Ninna Pàlmadottir « Le vieil homme et l’enfant – Solitude ». Et comme à Cannes, tout se termina par une fête où chacun avait apporté de quoi boire et manger et les discussions continuèrent de plus belle, juste le temps de faire difficilement quelques photos sur la montée des marches… de Daudet, moins spectaculaires que celles de Cannes mais tellement plus conviviales ! Les Lumières se sont donc éteintes avec la clôture de la saison mais déjà, Pascale et son équipe sont en train de fomenter une nouvelle saison qui démarrera en septembre. En attendant, tout le monde s’est déjà donné rendez-vous au Six N’Etoiles pour une soirée exceptionnelle le 24 juin : la présentation du film « Le roman de Jim » des frères Larrieu avec, en invité d’honneur le héros du film Karim Leklov
Et puis, ce seront les festivals d’été en attendant la rentrée. Un grand bravo à Pascale et son équipe qui œuvrent avec passion pour le cinéma et nous offrent de grands films, de beaux invités et des soirées à a fois intelligentes et chaleureuses. On s’y retrouvera !