Je me souviens d’un petit garçon de sept-huit ans qui m’avait rabroué parce que je ne lui avais pas demandé de me signer le livre de son père, « Fernandel de pères en fils ». Ce gamin était Vincent, fil de mon ami Franck Fernandel, que j’avais invité à Toulon pour signer son livre.
Le minot a aujourd’hui 40 ans (Eh oui !), son père nous a quittés depuis dix ans et quand je regarde Vincent, je vois son père, tant il lui ressemble.
Le troisième Fernandel a depuis, taillé sa route mais, un chien ne faisant pas un chat, il écrit des chansons, des pièces de théâtre, des livres, il a été journaliste et il rigole lorsque j’évoque notre première et seule rencontre ;
« Oui, ça me fait rire car j’ai eu une éducation entre des parents très présents, un père qui avait une idée simple de ce métier. Il n’a jamais voulu être une star et avait beaucoup de recul face au show biz. Il relativisait le fait d’être le fils d’une vedette et artiste lui-même. Et il a toujours été vigilant face à mon éducation.
Il ne m’a jamais rien imposé, m’a toujours dit de faire ce que je voulais, à condition d’être sérieux dans mon travail, honnête et digne du nom que je portais.
Je ne me suis jamais senti investi de quoi que ce soit. Avec lui, on parlait de tout et rarement de son métier. Je suis heureux et fier du père que j’ai eu et ce que tu me racontes aujourd’hui me fait rire car c’est tellement loin de moi ! Mais petit, être fils et petit-fils de personnages comme eux n’est pas toujours évident, surtout vis-à-vis des gens qui imaginent mal que nous sommes des personnes comme les autres. Et je remercie mes parents de m’avoir donné ce sens des réalités.
Justement, comment se construit-on entre deux célébrités ?
Comme un garçon ordinaire. Au départ, j’ai eu envie de faire des études audiovisuelles. Je n’avais aucune velléité d’être chanteur ou comédien. Je préférais être dans l’ombre pour mettre les autres en valeur. Je pensais que ma place était derrière. Le hasard a fait qu le producteur de Frédéric Lopez m’a proposé d’être chroniqueur sur Match TV, qui n’existe plus d’ailleurs. J’ai été happé par les médias, puis je suis devenu animateur, journaliste spécialisé dans le cinéma sur M6.
Mais j’ai toujours gardé cette envie d’aider les gens.
J’aimais le théâtre, non pour être comédien mais pour aider des jeunes comédiens. J’ai donc pris des cours de théâtre et j’ai créé les Ateliers Vincent Fernandel.
Et tu t’es pris au jeu ?
C’est grâce à Fanny Tempesti, fille de Gérard Tempesti, le producteur de mon père, qui a pris le relais de son père. Un jour, me voyant raconter des histoires à des enfants et voyant leurs yeux briller, elle me dit : «Pourquoi n’enregistrerais-tu pas des contes ? Si ça te dit, je m’occupe de toi»
C’est ainsi que ça a commencé. J’ai enregistré les fables de la Fontaine puis, j’ai pensé à mon idole : Alphonse Daudet. Je pense que s’il n’avait pas existé, nous n’aurions pas eu Giono ou Pagnol. J’ai donc enregistré « Les lettres de mon moulin »,
(Sortie le 16 décembre sur toutes les plateformes.Le volume 2 sortira le 27 janvier et le volume 3 le 24 février)
C’est un nouveau tournant pour toi ?
Tu sais, je vais avoir 40 ans, j’ai toujours aimé dire les mots de Daudet et je pense que c’est arrivé en temps et en heure. Il me fallait du temps. J’ai toujours eu besoin de temps pour faire quoi que ce soit. Le temps est donc arrivé. Du coup, j’ai créé les productions Vincent Fernandel aidé par Fanny. Sans elle, je ne l’aurais pas fait car elle a toujours été auprès de moi comme elle l’était auprès de mon père. Je lui dois beaucoup.
Tu as écrit un livre sur ton grand-père mais pas sur ton père…
Tu sais que tu es le premier qui me pose cette question et ça me fait plaisir que ça vienne toi qui as été l’ami de Franck.
Lorsqu’on m’a proposé d’écrire ce livre sur Fernandel, j’ai plusieurs fois refusé. Ce qui m’a décidé c’est qu’alors il allait avoir cent ans et j’ai eu peur qu’a l’occasion, il sorte tout et n’importe quoi sur lui, comme ça a déjà été le cas. J’ai donc décidé de le faire car moi, je savais de quoi je parlais !
Et Franck alors ?
Il y a dix ans qu’il a disparu, il a enregistré beaucoup de chansons et quelques succès. Je me suis dit qu’on ne les entendait plus et, plutôt que d’écrire un livre, pourquoi ne pas rééditer toutes ces chansons ? Et pourquoi ne pas devenir le producteur de mon père ? Le problème était que je n’étais ni propriétaire ni producteur de ses chansons. J’ai décidé de le devenir. Ce qui a été un très long travail car je voulais qu’il soit fier de moi. Autre hasard : un jour le directeur artistique de Marianne Mélodie, Matthieu Moulin, m’appelle pour me dire qu’il voulait sortir une compilation de ses chansons, ce qui m’a fait énormément plaisir. Je me suis dit qu’il était temps de faire ce que je voulais faire. J’ai mis deux ans pour récupérer quelque vingt masters, dont le disque de « L’amour interdit » qui date de 83. Je compte sortir tout ça en 23.
Tu produis d’autres choses ?
Je suis en train de travailler avec un jeune chanteur, Florent Richard et son premier album devrait aussi sortir l’année prochaine. Là encore, j’ai pris le temps car je préfère faire une chose à fond plutôt que de faire n’importe quoi à la va vite. Une bonne daube ne se fait pas en deux heures !
J’ai toujours pris le temps de faire chaque chose et installer des échanges humains.
Dans tout ce que tu as fait, il est une chose qui est un peu originale : la sortie d’un livre intitulé « Au cœur de la fougère », un livre parlant… rugby !
(Il rit) Là encore le hasard car je ne connais strictement rien en rugby !
Un jour, un un producteur me convie à rencontrer le journaliste, Ian Borthowick, car il veut me rencontrer pour un documentaire qu’il veut faire sur les All Black. Curieux, je le rencontre et je lui dis que je ne suis pas l’homme de la situation. Au bout de six heures d’entretien, il me propose quand même de partir avec lui en Nouvelle Zélande.
Nous y avons passé 45 jours mais en revenant,le producteur a été lâché par un investisseur. Que faire de tout ce travail ? Heureusement, je prenais des notes jour après jour et lui faisait les photos. On a donc décidé d’en faire un livre… Voilà l’histoire. Ça n’a pas été un bestseller mais une belle expérience qui m’a appris beaucoup de choses.
En fait, tu es un artiste multiple et un homme heureux !
On peut dire ça. J’ai la chance, le luxe d’avoir une famille qui m’a donné de belles bases d’amour, de simplicité, de joie de vivre. En plus, lorsque je rencontre des gens qui me parlent avec toujours autant d’émotion et d’admiration de mon père et de mon grand-père, ça ne peut que me rendre heureux.
Ma famille est mon ADN et mon héritage.
J’en suis fier.
Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Sophie di Malta