Gaëlle JOSSE : Ce matin-là (Ed Notabilia – 216 pages)
Pour Clara, jeune femme brillante qui vient d’avoir une promotion dans sa société financière, la vie s’annonce sous les meilleurs auspices, et côté cœur, elle a un petit ami avec lequel elle envisage un avenir.
Mais, patatras, un matin, c’est le gros burn out, un blocage terrifiant qui la terrasse, l’écrase. Dormir, oui, dormir pour ne pas avoir à se lever, à se laver, à répondre au téléphone, à vivre. L’ami très cher se lasse, les copines de bureau sont là, mais leur monde n’est plus celui de Clara. Une thérapie, des médecins psychiatres, encore faut-il trouver le bon, c’est la marche à suivre normale, plus ou moins satisfaisante car le temps passe et l’angoisse s’installe, il va falloir réfléchir à l’avenir.
L’avenir pour Clara est toutefois dans le passé, une amie qui lui offre une autre façon de vivre, qui lui rappelle ses aspirations de jeune fille.
Un livre de deux cents pages plein d’espérance, d’ailleurs Gaëlle Josse cite un extrait des « Grandes Espérances de Dickens » : « Nous ne devrions jamais avoir honte de nos larmes, car c’est une pluie qui disperse la poussière recouvrant nos cœurs endurcis ».
Ce matin-là, oui, Clara sombre mais cet autre matin-là, elle se relève.
Un livre à faire circuler pour montrer que la lumière est au bout du chemin.
Catherine LE GOFF : La robe Une odyssée (Ed Favre – 305 pages)
Ce second roman de la psychologue Catherine Le Goff fait preuve d’originalité en mettant en scène une robe et ses divers propriétaires de 1900 à 2010.
C’est une élégante robe noire crée par un couturier en 1900 pour la femme d’un notaire de province. Elle va passer de mains en mains au gré de l’imagination de l’auteur, en marquant la vie d’hommes et de femmes.
Chacun a un intérêt différent vis-à-vis de ce vêtement, mais tous seront influencés par lui alors qu’ils traversent les évènements mondiaux ayant marqué toute l’histoire du XXème siècle.
En dix-sept chapitres très denses, se déroule un vrai feuilleton, la robe étant volée, perdue, offerte, achetée, retrouvée.
Malgré quelques invraisemblances, on s’attache aux différents détenteurs de cette robe et on s’intéresse à leurs destins entrelacés, pleins de mystère et d’émotions, entre Paris, Berlin et New York.
Grégoire DELACOURT : Un jour viendra couleur d’orange. (Ed Grasset -267 ages)
Un livre au titre mystérieux et aux chapitres courts portants des noms de couleurs, tels une palette de peintre, qui décrivent les sentiments des personnages. C’est un roman doux amer que nous livre Grégoire Delacourt.
Le titre est tiré d’un poème de Louis Aragon de 1936.
Federico Garcia Lorca vient d’être assassiné par les franquistes mais Aragon veut continuer à espérer en un monde meilleur tout comme Delacourt aujourd’hui dans ce récit.
Les couleurs, le jeune Geoffroy y est très sensible. Même qu’il ne mange que si les aliments qui sont dans son assiette sont présentés dans leur chromaticité, à savoir du plus clair au plus foncé. Il a 13 ans, vit dans le Nord avec ses parents Pierre et Louise Delattre. Il est autiste Asperger et sa différence rend sa vie difficile.
Difficile aussi la vie de son père, Pierre, devenu vigile à mi-temps chez Auchan après un licenciement et qui a rejoint le mouvement des gilets jaunes, passant par la violence, sa colère contre la société et les hommes politiques mais aussi face à ce fils qu’il ne comprend pas.
Heureusement, il y a Louise, l’épouse et mère, infirmière en soins palliatifs, aussi dévouée et bienveillante envers les malades qu’avec son fils. Et aussi Djamila, la jeune collégienne aux yeux vert Véronaise, la seule amie de Geoffroy.
Dans une écriture délicate et poétique, le romancier aborde les sujets de notre siècle : les désillusions des citoyens face à leurs gouvernants, la misère, l’injustice, la violence, le racisme, l’intégrisme, la différence.
Un beau roman, malgré un manque de crédibilité dans la relation de Louise avec un patient ainsi qu’une fin qui ne nous a pas convaincu.
Philippe DELERM : La vie en relief ( Ed. Seuil – 240 page)
Une fois de plus l’auteur se met en scène afin de nous faire partager son expérience de la traversée des années, de la lente construction de son personnage jusqu’à l’âge mûr dans lequel il trouve l’apaisement, l’achèvement de ses doutes et de ses questionnements. Vivre, c’est vivre le temps présent, accepter les problèmes avec sérénité et jouir de son passé indispensable à son devenir. C’est trouver la beauté dans l’ordinaire des choses. C’est écouter le bruit du temps qui passe. Ce livre c’est la recette de l’accès à la sérénité.
Magnifiquement, écrit, calme et profond, l’auteur arrive à faire partager sa quête de réussite et de bonheur à travers l’acceptation de toutes les petites choses.
Beaucoup de poésie et de belles images apaisantes. Mais c’est un constat, pas une marche à suivre. Lui l’a atteint Mais… est-ce à la portée de tout un chacun ?
Gilles PARIS : La lumière est à moi (Ed J’ai lu – 218 page)
C’est une série de nouvelles qui étaient sorties en 2018 chez Flammarion, qui ressort dans la collection J’ai lu en même temps que le dernier livre de l’auteur «Certains cœurs lâchent pour trois fois rien» également paru chez Flammarion (Voir article).
Ces nouvelles sont des histoires de petits héros de tous les jours (des filles souvent), de tous pays, des héros malmenés par la vie pour diverse raisons : des parents disparus, de enfants maltraités qui vont se créer une vie dans un monde qu’ils s’inventent, d’espoir, de joie, d’amour dont ils manquent, afin d’oublier leur vraie vie.
Ces mini-portraits sont faits de souffrance mais pleins de poésie, de tendresse, d’onirisme. D’espoir.
Ils s’inventent un ami, un amour, une autre famille, cherchent un ailleurs pour pouvoir vivre, survivre et espérer.
Méprisés, malmenés, abandonnés et livrés à eux-mêmes, incompris ils s’inventent une autre vie, plus belle, faite d’un bonheur qu’ils n’ont pas et qui les aident à supporter le poids de leur jeune vie.
Dans toutes ces nouvelles, et lorsqu’on connait un tant soit peu les écrits de l’auteur, on l’y retrouve invariablement, sous d’autres latitudes, dans d’autres mondes mais toujours avec cette marque au fer rouge qui ne guérira qu’avec de l’espoir, s’inventant un présent, un futur qui les aide à affronter leur jeune vie.
C’est beau, tendre, émouvant et l’on s’attache à chaque fois à Aaron, Ethel, Anna, Brune et les autres, tous ces enfants en manque d’amour dont la résilience passe par le rêve afin de retrouver la lumière.
Maryline DESBIOLLES : Le neveu d’Anchise ( Ed.Seuil – 144 pages)
Maryline Desbiolles est l’auteur d’une vingtaine de livres.
Originaire de Savoie elle vit dans l’arrière pays niçois.
Récompensée en 1999 pour « Anchise » elle reprend aujourd’hui une suite avec »Le neveu d’Anchise », Aubin.
Cet adolescent a peu connu ce grand oncle apiculteur farouche, reclu sur ses terres, veuf inconsolable qui s’est suicidé par le feu, mais il a connu sa maison abandonnée, rasée à ce jour pour faire place à une déchetterie. Aubin jeune garçon renfermé et nostalgique qui parcourt la campagne dans les pas de son grand oncle, cherche les souvenirs qui l’aideront à franchir le seuil de l’enfance. C’est au travers de ses rencontres avec la nature, la musique, la vie qu’il connaitra par l’accompagnement entre autres d’Adl le jeune gardien..
C’est l’occasion pour l’auteur de revenir sur ses grands thèmes de recherche : l’origine, l’imprégnation des souvenirs, la perte du réel et la nostalgie d’une campagne qui est maintenant réduite aux déchets. Avec à la fois un grand lyrisme sur les traces laissées par un passé révolu et la simplicité du ton adopté elle nous présente une période révolue éteinte.
Etienne de MONTETY : La grande épreuve (Ed Stock – 300 pages)
La grande épreuve, grand prix du roman de l’Académie Française 2020 est une plongée sombre et effrayante dans une version copié-collé de l’attentat du Père Hamel dans l’église de St Etienne du Rouvray en 2016.
L’auteur remonte le temps et analyse la cassure psychologique du jeune et futur terroriste, comment un jeune homme élevé dans une famille aimante bascule dans l’horreur indicible. Il démontre l’engrenage, le silence, le secret, les réseaux qui mènent à l’assassinat, il parle d’un prêtre qui a connu la guerre en Algérie, a trouvé la foi dans l’eucharistie, mais qui aujourd’hui subit l’usure du temps, la désertification des églises, repense à Camus qui dans « La Peste » écrit « Peut-on être un saint sans Dieu ? »
L’église est aussi un lieu sûr de prière pour sœur Agnès, une femme qui vit dans les zones de non-droit, qui évolue dans un monde de démunis, offre sourires et aide à son prochain sans distinction de religion ni statut.
L’auteur, chapitre après chapitre, révèle le déroulé du futur assassinat du Padre, le jeune David qui se transforme en Daoud, Hicham petit délinquant que la prison a radicalisé et qui est prêt pour le sacrifice suprême à la cause de l’islam, et surtout éliminer tous les mécréants.
C’est un livre angoissant qui pointe l’évolution d’un monde, soit exigeant, soit indifférent, un monde qui communique mal, un monde qui va trop vite et ne laisse plus le temps à la culture et à la réflexion.
Oui, des attentats qui envahissent les médias, mais ce n’est certainement pas la solution à des mondes qui s’affrontent. C’est la question que tout un chacun doit se poser.
Patrick GRAINVILLE : Les yeux de Milos ( Ed du Seuil – 345 pages)
Patrick Grainville ne surprend pas son lecteur en écrivant sur la peinture et la vie des peintres. Dans ce nouveau roman, il dissèque la vie et l’œuvre de Picasso, il y associe la vie tragique de Nicolas de Staël.
Milos, prénom original, un prénom qui évoque la Grèce, la mythologie et la Méditerranée, Milos a des yeux extraordinairement bleus, un bleu qui fascine, qui électrise, des yeux qu’il doit protéger derrière des lunettes noires pour échapper à la brillance du soleil mais aussi à la curiosité des femmes. Milos fait des études d’archéologie, vit à Antibes la ville de Picasso et celle où Nicolas de Staël s’est suicidé. Milos fouille dans les grottes, les cavernes à la suite de l’abbé Henri Breuil qui a parcouru l’Afrique, en parallèle. Il est imprégné par la peinture violente de Picasso, son Minotaure, son Guernica, son enlèvement des sabines, les innombrables portraits de ses femmes et maitresses, et surtout la corrida, combat mortel de l’homme face au taureau. Ce combat c’est aussi la domination du sexe, un sexe que Milos retrouve dans les peintures des aurignaciens en France, un sexe non maitrisable et qui entraine Picasso dans une série de conquêtes de toutes jeunes filles parfois abandonnées, parfois cachées, un sexe qui tuera Nicolas de Staël fuyant depuis son plus jeune âge la Russie, puis la Belgique, puis une femme . Milos aussi séduit les femmes, Marine, Samantha, Vivie, il court après un rêve qu’il concrétise dans son imaginaire de ces deux grands peintres.
Le bleu, les taureaux, les cavernes, la guerre, le sexe, la vie, la mort, un rythme effréné que Patrick Grainville impose au lecteur. Il faut reconnaitre à l’auteur une connaissance exhaustive de la vie mouvementée de Picasso mais aussi regretter la moindre importance qu’il accorde à Nicolas de Staël dans ce roman.
Une lecture épuisante, hachée, qui vire parfois au cauchemar, en espérant qu’on puisse s’enréveiller et n’en garder que la part du rêve.