Janine BOISSARD : Puisque tu m’aimes (Ed Fayard – 253 pages)
Un roman de Janine Boissard est toujours attendu. Ses écrits sont toujours originaux, bien souvent tournés vers le thème de la famille ou d’un groupe de gens qui s’aiment, se détestent, s’engueulent pour mieux se retrouver, avec toujours beaucoup de tendresse, de bienveillance.
On pourrait dire que Janine Boissard est à la littérature ce que Claude Sautet était au cinéma.
Et ce nouvel opus, s’il tourne toujours autour de ce thèmes est cette fois ce qu’on pourrait appeler «un portrait de femme avec groupe» pour reprendre à l’inverse le titre d’un film de Petrovic «portrait de groupe avec dame». Mais notre auteur y ajoute un sacré suspense qui nous laisse en haleine jusqu’au dénouement inattendu.
La femme en fait est une jeune fille de 17 ans, Lou, qui vit dans un petit village de Basse Normandie : Montsecret, qui porte bien son nom. Ayant perdu son père dans un accident, elle vit avec Hélène, sa mère, Elsa, sa petite sœur et le compagnon de sa mère, Gégoire, qui est comme son père. S’ajoutent à ce portrait, Stan, son petit ami photographe et morpho-psychologue, Philippe, son oncle, frère de son père, qui est son parrain, pompier de profession, qui a perdu sa femme dans un incendie, Martin, son cousin, Jocelyn son copain d’enfance, amoureux d’elle…
Très admirative de son oncle et parrain, Lou s’est engagée comme pompière volontaire.
Tout ce beau monde se trouve confronté à plusieurs incendies, toujours perpétrés le jour d’un mariage.
Qui en est l’auteur ? Lou et Stan vont mener l’enquête au péril de leur vie.
Ils suivent des pistes et vont fatalement tomber sur la bonne, inattendue, déroutante, difficile à admettre…
Beaucoup de non dits et de secrets de famille vont peu à peu se dévoiler.
Janine Brossard nous brosse encore des portraits attachants autour de ce « thriller campagnard» et elle mêle les pistes avec subtilité jusqu’au moment où, ayant trouvé la bonne, le danger se précise.
Dès le départ on tient l’histoire et on ne la lâche plus… C’est ce que j’appelle «L’effet Boissard» car on s’attache aussitôt aux personnages et l’on a envie de découvrir l’auteur de ces incendies particuliers.
L’écriture est fluide, naturelle, les personnages, pour certains, sont attachants et on s’immisce dans cette famille avec délice.
On comprend pourquoi les lecteurs l’aiment tant.
Thibault BERARD : Il est juste que les forts soient frappés
(Ed de l’Observatoire – 293 pages)
Dès les premières lignes, le ton est donné. Ce sera un roman qui se veut léger, drôle, surprenant, mais qui a la puissance de l’amour envers et contre tout. Un couple étonnant, Sarah ex punkette, aimant côtoyer la mort par défi ou ennui, et Théo, six ans de moins qu’elle, blagueur et charmeur. Et le couple fonctionne, avance dans la vie en riant. Oui, le rire est leur quotidien, elle devient «moineau», lui «lutin», c’est dire leur fantaisie et leur joie. Un enfant arrive, le deuxième pose problème, le diagnostic est terrible : elle a un cancer. Une tumeur mal placée, inopérable et le rythme de vie change, pour Théo hôpital, crèche, boulot, copains, hôpital, crèche, boulot, copains… Une épée de Damoclès que Sarah pressentait, il est juste que les forts soient frappés», elle sait depuis toujours qu’elle mourra avant quarante ans. La vie reprend, il y a de l’espoir, Sarah peut entourer d’amour son lutin et ses deux amours d’enfants mais il y a les examens cliniques, la peur au ventre, la révolte, l’extrême fatigue, la douleur.
L’auteur entraîne son lecteur dans un superbe parcours, un roman éblouissant, irradiant de bonheur, de gaité, d’humour face à une cruelle vérité.
Un hymne à l’amour rythmé sur les chansons de Nick Cave, un hymne à la vie, car c’est elle la gagnante, elle qui sera toujours la plus forte.Un premier roman qui je l’espère sera suivi de bien d’autres.
Renaud CAPUCON : Mouvement perpétuel (Ed Flammarion – 240 pages)
Au départ, n’étant pas féru de musique classique tout en l’adorant, j’avais peur de me perdre dans le livre de Renaud Capuçon, qu’on ne présente plus. Je pensais que ce livre s’adresserait surtout à des spécialistes. Mais c’est aussi un excellent conteur.
Violoniste virtuose qui porte très haut la musique dite «classique», celle qu’on appelait la musique savante, il a également un talent incontesté d’homme de plume pour ne pas dire écrivain.
Si on devait résumer son combat, son sacerdoce on pourrait le définir par trois mots : Passion, émotion, transmission.
Né dans une famille qui aime la musique, très vite il a su où était sa voie. Même si quelqu’un lui a très vite dit : «Il faudra du temps pour être un grand musicien». Il a pris le temps et il l’est devenu. Le déclencheur a peut-être été, nous avoue-t-il, son amour pour Strauss.
Et il fallait être gonflé pour aller s’installer à Berlin alors qu’il ne parlait pas allemand ! Grâce à une femme rencontrée par hasard et qu’il n’a d’ailleurs jamais revue !
Et en fait, alors qu’il commençait à être connu, bizarrement il fut mieux accueilli en Allemagne qu’en France.
Renaud Capuçon est une véritable Bible musicale, connaissant les musiques et les musiciens,, les compositeurs et leurs œuvres, même les moins connus, sur le bout des doigts, pouvant même jouer à la demande n’importe quelle musique, qu’elle soit baroque ou romantique, musique de chambre ou musique sacrée, musique de film ou de jazz… Pour lui, il n’y a pas de petite ou grande musique. Il y a LA musique. Et sa culture est immense. Et sa mémoire également.
Dans ce livre, il nous parle de tous les grands musiciens qui ont croisé sa route, avec une infinie tendresse, avec amour même, avec emphase et admiration. Il est quelquefois dithyrambique. Mais il a également une grande culture littéraire car il lit beaucoup et ses lectures alimentent sa vie d’homme et de musicien.
Il y a beaucoup de sensualité dans sa façon de parler du violon… Il en parle, non comme un instrument de musique mais comme une femme, comme un être humain. C’en est touchant, émouvant et en fait, il nous emporte dans son monde de musique, même si l’on n’est pas féru de musique, si l’on ne connait pas tous ces compositeurs, ces musiciens qu’il a découverts et qu’il aime profondément. On se demande même s’il y a des artistes qu’il n’aime pas.
En solo, en duo avec les plus grands dont son frère, le violoncelliste Gauthier Capuçon, avec des orchestres symphoniques ou philharmonique du monde entier, dirigé par les plus grands chefs d’orchestre du monde, il a gardé une grande simplicité et garde les pieds sur terre.
Boulimique, il passe d’un concert à un master class, d’un festival à un enregistrement. Tout cela en étant très famille. On le sait, son amour, sa muse se nomme Laurence Ferrari avec qui il mène une vie discrète avec leur fils Elliot et dont il parle avec infiniment d’amour.
C’est d’ailleurs un livre d’amour que cet immense artiste nous offre, même si quelquefois on se perd dans tous ces musiciens et ces œuvres dont il parle.
Mais il sait nous faire partager sa passion avec une rare élégance.
Joël DICKER : L’énigme de la chambre 622 (Ed de Fallois – 563 pages)
Curieux roman que celui-ci, qui mêle réalité et fiction avec une maestria incroyable.
C’est l’histoire d’un écrivain (Joël Dicker à n’en pas douter) qui, depuis la mort de son éditeur et sa rupture avec Sloane, est en panne d’inspiration.
Il part alors dans les Alpes Suisses, passer quelques jours dans le palace du Verbier. Il va y rencontrer une certaine Scarlet qui le reconnait, qui le drague, avec qui il va tenter d’élucider un mystère : pourquoi cet hôtel a une chambre 620, une chambre 622 et entre les deux, une chambre 621 bis au lieu de 621 ?
Ils apprennent très vite qu’un crime y a eu lieu. Qui a-t-il été assassiné ? Qui a assassiné ? Pourquoi ?… Bref, voici nos deux détectives en herbe qui partent à la recherche de ce fait divers, de cette enquête dont ils découvrent qu’elle n’a pas abouti faute de preuves pour arrêter l’assassin présumé.
Nous voici partis avec eux dans les palaces suisses, dans le monde de la finance et en particulier d’une banque tout aussi suisse dont les protagonistes ont tous quelque chose à cacher et que, petit à petit, ils vont découvrir. Et nous avec.
De mystères en coups de théâtre, «l’écrivain» et sa comparse se prennent au jeu et remontent peu à peu une histoire de près de vingt ans.
Le chemin est long, les retours en arrière pléthore, ce qui nous fait souvent perdre le fil de l’histoire car beaucoup de personnages entrent jeu, chacun n’est jamais celui qu’on croit, et on finit par s’y perdre… Avant de retrouver le fil de l’histoire !
Joël Dicker nous mène en bateau jusqu’au bout où dans les dernières pages il nous assène deux coups de théâtre qui nous font tout comprendre… On aura mis du temps !
Mais il nous tient en haleine jusqu’au bout et on a du mal à lâcher le livre même si, parfois, ces constants retours en arrière sont quelquefois très énervants.
D’autant qu’il nous met sur une piste qui, tout à coup s’avère ne pas être la bonne et nous voilà sur une autre piste. Très fort «l’écrivain» ! A tel point qu’on a souvent envie de laisser tomber… Tout en étant curieux de savoir qui est qui et pourquoi.
Les personnages sont hauts en couleur, ambigus à souhait car en fait, qui sont-ils vraiment ?
C’est du grand art, un thriller original et inventif qui renouvelle le genre malgré beaucoup d’invraisemblances.
Ce livre ferait l’objet d’une série télé formidable.
C’est également un hommage à l’éditeur de Joël Dicker, Bernard de Fallois, décédé récemment.
Baptiste GIABICONI : Karl et moi (Ed Robert Laffont – 240 Pages)
Baptiste Giabiconi, jeune provençal né à Marignane, est devenu en quelques années un mannequin superstar, internationalement connu.
Beau, jeune, riche, aimé, détesté, critiqué, comme toute célébrité, il a, en quelques années, tout connu, grâce à son Pygmalion, Karl Lagerfeld, l’un des plus grands créateurs de mode du monde.
Durant dix ans et jusqu’à la disparition du maître, ils ont vécu une histoire d’amitié, de filiation, d’amour platonique.
Bien entendu, lorsqu’on est jeune, beau, riche et célèbre et vivant avec un homme de 40 ans son aîné, les langues vont bon train. Mais aussi bien l’un que l’autre en riait et passait au-dessus des ragots, des jalousies, de la malveillance.
Venant d’une famille modeste, aimante, à l’accent ensoleillé, il se retrouve à 20 ans le roi du monde avec tout ce que ça comporte de plaisirs, d’excès.
Naïf et insouciant, il vit son conte de fée. Jusqu’à saturation car, lorsqu’on a son âge, qu’on a vécu tous les plaisirs… que demander encore à la vie ?
Et un jour il se pose les questions : quelle est la vraie vie ? Est-ce cette vie où rien ne lui est refusé, où l’on dépense sans compter avec exagération ? Est-ce que je mérite tout cela ? Qui sont mes vrais amis ? Cet entourage superficiel ? Les grands de ce monde qui s’intéressent à lui parce qu’il est avec cet homme talentueux, célèbre, qui fait la pluie et le beau temps ?
C’est cette histoire incroyable que nous raconte Baptiste Giabiconi, cette ascension, cette aventure pas banale et peut-être aussi ambigüe avec un homme qui pourrait être son père, histoire d’amour et d’amitié qui se terminera avec la disparition de celui-ci.
Il a à la fois cette faconde provençale, avec des expressions bien de chez nous, mêlées à celles de ce monde qui ne parle que par des expressions anglo-saxonnes… Curieux mélange magnifiquement écrit (s’est-il fait aider ?) qui se termine par des pages émouvantes, poignantes avec le décès de cet homme à qui il doit tout.
Un conte de fée qui se termine tragiquement et comme le dit la chansons : «Les histoires d’amour se terminent mal en général»
Désormais, après avoir pensé au suicide, il a décidé de continuer sa route seul car hormis ses parents et une poignée d’amis, dans ce monde fait d’apparence et de relations superficielles, beaucoup ont abandonné le bateau.
Un bateau qu’il dirige désormais seul en espérant retrouver la sérénité et vivre une autre vie.
Daniel KEHLMANN : Le roman de Tyll Ulespiègle (Ed Actes Sud – 406 pages)
Traduit de l’allemand par Juliette Aubert
La légende de Tyll Ulespiègle, saltimbanque malicieux et farceur de la littérature populaire du Nord de l’Allemagne, daterait de 1510.
Daniel Kehlmann la réinvente en la plaçant pendant la guerre de Trente Ans qui a duré de 1618 à 1648. Par chapitres en allers et retours chronologiques, l’auteur nous décrit la vie de Tyll, fils de Claus, meunier et Agnetta son épouse, né dans un petit village rural.
L’enfant mène une vie simple et dure qui va être bouleversée après la mort de son père, exécuté à l’issue d’un procès en sorcellerie. Il va quitter son village, emmenant son amie Nele, pour suivre un chanteur ambulant. On découvrira ensuite au cours du roman ce qu’il adviendra de ces enfants qui connaitront la faim, les guerres, la peste mais qui, devenus membres du «peuple itinérant» auront trouvé, désormais adultes, la liberté ainsi que le pouvoir du rire et de l’insolence, notamment auprès de rois et hauts personnages.
Des personnages attachants, un récit historique bien mené, une écriture alerte font de cet ouvrage un très bon moment de lecture.
Francis HUSTER : Pourquoi je t’aime (Ed Cherche-Midi – 212 pages)
Il y a quelque quarante ans que je «pratique» Francis Huster.
C’est dire que je l’ai connu dans tous ses états d’âme : Très heureux ou très malheureux, très sombre ou très exalté, très calme ou très volcanique… Il y a quelque chose d’Italien chez lui, on est toujours dans les extrêmes.
Comme dans ce denier livre où il nous parle d’amour sur tous les temps. Une espèce de «master class de l’amour» !
Quand le Misanthrope devient philosophe, cela donne un livre haut en couleur, un genre de feu d’artifice qui explose avec passion, tel qu’il est en fait dans la vie, fougueux, excessif, emporté… C’est certainement pour cela que nous sommes amis depuis si longtemps.
Avec ce livre, il veut nous convaincre que l’amour est la chose la plus importante du monde mais, tel Arnolphe, il est par moments très optimiste puis très pessimiste, il espère et aime l’amour mais aussi il s’en méfie et il nous envoie des phrases à l’emporte pièce, quelquefois définitives comme : «Le destin n’existe pas, le destin ne se force pas»… «Tomber amoureux c’est comme tomber malade ou tomber raide mort… C’est toujours une chute… » Il faut donc s’élever ou se relever amoureux, conclue-t-il.
Emphatique à l’extrême, comme il est dans la vie, il nous assène des vérités – ses vérités – comme «On sait que l’amour a existé lorsqu’il est mort» car pour lui, le bonheur, on ne le voit qu’une fois qu’il est passé ou encore «A deux, on trouve la seule raison de s’aimer soi-même»… A méditer !
Très péremptoire dans ses dires, il a de belles phrases d’auteur et il faudrait toutes les retranscrire pour les étudier.
«Aimer, c’est désirer, rêver, admirer… Aimer c’est gifler la mort».
Tout en décriant souvent l’état d’amour et le redoutant, il avoue qu’il ne peut s’en passer et il y a dans ce livre des moments très émouvants lorsqu’il parle de la mort de son père ou de l’amour de ses filles qui lui ont appris que l’amour n’était pas mort en lui.
Il considère que des phrases «Aimer pour la vie» ou «L’amour triomphe de tout» sont des phrases stupides mais avoue également qu’il a tout sacrifié pour son métier et qu’il a dû passer à côté de certaines choses de l’amour.
J’avoue qu’on se perd un peu dans ses écrits quelquefois contradictoires, quelquefois de mauvaise foi, mais toujours assumés et là, c’est Huster brut de décoffrage que je retrouve car il peut assener des choses qu’il ressent et quelques temps après assener le contraire avec la même assurance.
Et il va jusqu’à dire que ce n’est pas un livre à lire mais un livre à vivre.
Essayez donc de vous y retrouver dans tout ça. Lisez-le, vivez-le… De toutes manières il vous fera réfléchir sur l’amour.
Délia OWENS : Là où chantent les écrevisses (Ed Seuil – 477 pages)
Étrange roman que ce voyage initiatique vers une contrée mystérieuse de Caroline du sud où vit Kya, la fille des marais. Élevée au cœur d’une famille complètement détraquée qui va se dissoudre elle va peu à peu se retrouver seule telle une naufragée sur son île.
C’est elle que l’on va suivre au long de son enfance, de son adolescence, puis de sa vie d’adulte en prise avec la rudesse de la solitude qu’elle choisit par force, développant un caractère de fer et de tendresse à la fois envers la nature à laquelle elle s’identifie, protégée par la flore et la faune des marais.
Seule mais pas ignorée, cette fille sauvage affrontera le rejet d’une population hostile à sa différence mais aussi à la curiosité, et l’attrait de bonnes personnes qui entraineront de merveilleuses rencontres mais aussi des dangers inévitables.
Ce roman parfaitement traduit où toutes les beautés de la nature nous sont offertes avec abondance sans aucune source de lassitude où les plus beaux sentiments se côtoient autour de ce merveilleux personnage, est un vrai bonheur. On y retrouve les grands élans de la vie, de l’amour et de la solitude partagée ou redoutée telle qu’on la rencontre parfois dans la vie et à laquelle on pourrait songer en ces temps de confinement que nous traversons.
C’est un hymne à la nature qui transcende tout