Marian IZAGUIRRE : D’Elisabeth à Térésa (Ed Les Escales -379 pages)
Traduit de l’espagnol par Hélène Melo
Ecrivain vivant à Madrid, auteur d’une dizaine de romans, Marian Izaguirre publie en français un deuxième livre, après « La vie quand elle était à nous ».
C’est l’histoire de deux femmes ayant vécu à cent ans d’intervalles dans le même lieu sur la Costa Brava.
Le récit est raconté par une personne déclarant qu’elle connaît Térésa Mendieta depuis qu’elle est enfant. On apprendra plus tard qu’il s’agit de Philippe son maître d’armes qui est parti à la recherche de Térésa, brusquement disparue.
Nous sommes le 4 octobre 2009. Térésa est en train de fermer l’hôtel qu’elle tient avec quelques employés et qui est près de la faillite. A l’origine c’était une maison avec une tour carrée flanquée de quatre horloges, magnifiquement située sur une falaise en bord de mer, qui a été agrandie pour devenir un hôtel. Cette maison a été léguée à la famille de Térésa par Elisabeth Babel, femme sourde et muette qui s’écrivait à elle-même des lettres que Térésa a trouvées dans une boite en fer.
Le roman va alterner les épisodes de la vie de Térésa avec les lettres d’Elisabeth, datées de 1915 à 1931, qui sont comme un journal intime.
Le lecteur va ainsi découvrir parallèlement la vie de ces deux femmes qui malgré le siècle qui les sépare présente des goûts, des apprentissages, des expériences, des joies et des souffrances assez identiques au point d’en être troublantes dans leurs similitudes.
Un long roman dans lequel la vie des deux héroïnes en Catalogne émeut et interroge sur la place de la femme, sur la difficulté à trouver le bonheur et l’équilibre quand on ne trouve pas l’amour.
L’écriture en chapitres alternatifs au gré des personnages et des narrateurs rend le suivi de l’histoire parfois complexe.
Éric VUILLARD: La guerre des pauvres ( Ed Actes sud – 68 pages)
C’est le récit flamboyant d’un homme qui, meurtri dans son cœur et dans son âme lorsqu’il assiste à douze ans à la pendaison de son père, va se battre par la parole. La parole dans les églises, la parole sur les places de village, la parole qui réclame réparation pour les pauvres laïcs et paysans.
Thomas Müntzer, né en Bohême au XVIème siècle, n’est pas le premier à se révolter. D’autres en Angleterre comme John Bull, Wat Tyler, Jack Cade ont fait trembler la royauté et l’église. Et désormais avec l’invention de l’imprimerie, la Bible est accessible, le quotidien des pauvres ne correspond pas à la promesse du Christ, un Christ crucifié entre deux voleurs.
«Pourquoi le Dieu des pauvres est-il si bizarrement du côté des riches, avec les riches ?»
La Bible est maintenant traduite en allemand, la messe doit être dite en allemand pour que tout le peuple entendre la sainte parole. Et Müntzer, prédicateur à Zwickau, puis en Bohême s’enflamme, écrit, s’adresse aux princes, une colère gronde en lui, elle s’exprime et le peuple des paysans munis de fourches ira se battre contre les puissants. La violence, la folie de Müntzer deviennent du délire. Mais face à l’armée de l’Empire, c’est le chaos, une troupe de vagabonds contre des princes armés, c’est le massacre, le pillage et le triomphe du prince. Des milliers de morts semble le prix à payer quand on est pauvre. La guerre des pauvres connaîtra-t-elle une issue ?
Éric Vuillard, récompensé par le prix Goncourt pour «L’ordre du jour» en 2017, écrit ici avec force la révolte, le combat des petits, l’illumination de certains qui «gueulent leur foi, rameutent la misère, la rage, le désespoir et l’espoir».
L’auteur n’a que les mots, mais les mots d’Éric Vuillard résonnent très fort aujourd’hui au XXIème siècle, des mots qu’on entend sur nos ronds-points. Des mots à transmettre car jusqu’à présent les révoltes au nom de Dieu, de l’injustice, de la violation des droits n’ont jamais transformé la réalité.
Et de cela, chacun doit être conscient et responsable.
Gilles VINCENT : Peine maximum (Edi Cairn – 214 pages)
Février 1947, un petit garçon assiste à la pendaison de son père, «chasseur de Juifs». Soixante ans plus tard Marseille découvre, chaque jour le corps supplicié d’un vieillard. L’enquête va révéler l’origine juive des victimes.
Un ex-flic et une jeune psychanalyste vont se lancer dans une course folle contre l’Histoire refoulée de la Libération. Ils ont six jours pour trouver le coupable. La barbarie des meurtres monte en puissance.
Sur fond d’holocauste, ce roman noir, sur la mémoire du passé et sur l’héritage que l’on transmet à ses descendants, est bouleversant.
Le tueur n’avait jamais eu peur de la mort. Ce n’est pas elle qu’il fuyait depuis des années, mais sa propre histoire.
Rodolphe BARRY : Honorer la fureur.(Ed. Finitude- 280 pages)
Sans doute fasciné par l’environnement de quelques écrivains américains, Rodolphe Barry nous livre après son «Devenir Carver» un deuxième roman biographique autour de James Agee cette fois.
Il s’agit de suivre le cursus de cet auteur sans concession, anarchiste, alcoolique et révolté du capitalisme américain, décédé en 1955 à New York.
Les premières pages du roman s’ouvrent sur le bureau de James Agee alors que celui-ci en équilibre sur la margelle de sa fenêtre considère la ville du haut de l’immense Chrysler Building en plein centre de Manhattan.
Engagé comme journaliste à «Forme épanouie du mensonge» par le magasine » Fortune », l’écrivain, poète non identifié, davantage reporter engagé que rapporteur d’idéaux d’une société libérale, végète dans une attitude résignée, persuadé qu’il est de l’inutilité de son travail.
L’espoir survient lorsque son rédacteur en chef l’envoie dans le sud des États Unis faire une enquête sur la vie des métayers dans l’Oklahoma. Il sera accompagné de Walter Evans photographe.
Un road movie au départ de New York, dans les années 30, en pleine Grande Dépression!
S’ils paraissent dissemblables physiquement, les deux engagés travailleront dans une parfaite communion avec le souci de rendre le plus fidèlement possible la pénibilité des conditions de travail, la pauvreté des foyers, la docilité et l’endurance des ouvriers agricoles. D’abord accueillis avec réserve par les populations, ils s’attacheront à ces familles de fermiers. De belles rencontres, les photos comme les textes dénonceront le modèle libéral américain «une abjection» aux yeux de James Agee. Ces cris de colère ne satisferont pas le magasine
Le lecteur en revanche sera séduit par l‘exactitude et la véracité des scènes racontées. L’écriture de Rodolphe Barry, rapide, efficace, entrecoupée de mini-dialogues, empreinte parfois de termes volontairement surannés, prête aux descriptions un exotisme attachant.
Si pour « Fortune » l’exercice n’est pas réussi, le nom du journaliste, se met à circuler et attise la curiosité de l’intelligentsia américaine. La personnalité de l’écrivain séduit jusqu’à la côte ouest. On aime ses indignations, sa sensibilité, ses engagements et même ses addictions.
Il pourra alors se proposer entre autres, à la rédaction du scénario de « La nuit du Chasseur », de Charles Laughton, de se lier d’amitié avec Charlie Chaplin qui partage ses idées, de faire vivre sa famille, de subvenir à ses mariages successifs et d’honorer son addiction au whisky… jusqu’à la dernière cuite.
Bien documentée grâce à l’échange épistolaire retrouvé avec le révérend Flye, cette vie retracée, cette belle épopée, est celle d’un homme derrière une œuvre.
Quand un écrivain raconte un autre écrivain… à découvrir !
Rosa VENTRELLA : Une famille comme il faut (Ed :Les escales – 282 pages)
Traduit de l’italien par Anaïs Bouteille-Bokobza
Pas facile d’être la fille de Tony Curtis dans cette petite ville des Pouilles dans le sud de l’Italie, d’être un être rebelle, aux jambes fluettes, au torse creux,aux oreilles proéminentes, aux mèches folles et au teint si mat qu’on l’a surnommée Malacarne. Pas forcément un modèle de douceur cette petite fille, surtout avec un père pêcheur, beau comme Tony Curtis, qui souvent règne chez lui par les accès de violence, une mère soumise et deux frères aînés ayant des comportements complètement opposés. Dans le village, tout se sait, chacun a un surnom, on parle le dialecte, très peu l’italien. Le maître d’école décèle en Malacarne une enfant très douée, réceptive, qui comprend vite que pour sortir de l’ornière familiale elle devra travailler dur et viser haut.
L’auteur décrit subtilement les villageois en traits parfois caricaturaux mais savoureux, les amitiés, les méchancetés, les amours, la délinquance et la misère d’une population sans espérance. Une amitié lie Maria Malacarne à Michele, garçon obèse, aux yeux si doux mais qui a le malheur d’être rendu responsable de la mort du jeune frère de Malacarne. Cette amitié ne se démentira jamais, au contraire, elle grandira jusqu’à devenir un amour profond bien qu’interdit par le dictat d’un père aigri qui ne se fait entendre qu’en cognant, cassant et hurlant.
Cette famille comme il faut rappelle la saga de Helena Ferrante, la lecture est fluide, c’est une analyse juste de cette société encore très féodale qui règne dans cette Italie du sud.
Gwenaële ROBERT : Le dernier bain (Ed Robert Laffont – 235 pages)
Attiré par une couverture reproduisant le célèbre tableau de David «La Mort de Marat», dans la collection Les Passe-Murailles, publiée aux éditions Laffont, le lecteur ne sait pas encore qu’il va vivre intensément et en direct, les trois derniers jours de la vie de Marat.
Nous sommes le 11 Juillet 1793, en pleine Terreur, alors que se préparent à Paris, les festivités commémorant la prise de la Bastille.
La République a été proclamée, le roi mort, les couvents vidés, Marie-Antoinette emprisonnée avec sa sœur et le jeune Louis Capet. La révolution se crispe cependant car le peuple aspire maintenant au bonheur qu’on lui a promis.
Il fait très chaud en cet été de l’An II, nous parcourons avec l’auteure les rues de la capitale. Il y règne une totale liberté mêlée d’un sentiment d’impunité. Tous sont citoyens, et devenues citoyennes, les femmes ont aussi le droit d’agir à leur guise.
Forte d’une écriture quasi cinématographique Gwenaële Robert reconstitue un Paris de figures anonymes toutes portées par un même élan, le même vent de l’Histoire. La tension est extrême parfois, le Comité de salut public inquiète, la peur se lit sur certains visages ; peur des dénonciations, peur des massacres, de la guillotine.
Dans la rue des Cordeliers, non loin du numéro 30, habitée par le Député de la Montagne, plusieurs personnages se croisent et nous deviennent familiers. Gros plan sur leurs préoccupations. Il est vrai qu’ici Marat a «érigé la délation en vertu patriotique»…
Alors Jane, Marthe, Théodore, Charlotte interviennent. Il ou elles veulent, soit venger leur père, donner un nom à un enfant, revivre leur foi ou retrouver la pureté de l’élan révolutionnaire… et la baignoire entre dans l’Histoire !
Le tableau de David, peintre officiel de la jeune République, nous semble alors avoir été idéalisé. Marat ami du peintre, n’est en fait qu’un effrayant personnage, rongé par la maladie, trempant dans un bain de soufre censé amoindrir ses douleurs, partisan actif de la purge républicaine jusqu’au coup de poignard mortel.
Magnifiquement documenté et écrit, très visuel ce roman qui mêle fiction et réalité est une réussite.
Curieusement, il arrive aussi au moment où dans Paris, les Gilets Jaunes»rêvent également d’une révolution.
A méditer !
Sylvie DAZY : L’embâcle (Ed Le Diletante – 253 pages)
C’est un roman choral où se côtoient Paul, Louise, Malick, Théo , dans cette ville qui a connu une période industrielle florissante. Aujourd’hui ellevégète mais pourrait bien retrouver une seconde vie en attirant les jeunes ménages avec enfants qui ont un désir de verdure et de fraîcheur au bord de l’eau. Car en effet, cette ville se situe entre deux fleuves. Il y a bien eu, au siècle dernier, de graves inondations mais qui s’en souvient ?
La jeunesse n’en a cure, encore moins les promoteurs immobiliers qui rassurent et endorment le client avec des propos bien rodés.
C’est, chapitre après chapitre, la vie de cette ville proche de la capitale et donc attrayante qui voit l’évolution de l’habitat où l’on pousse les personnes âgées vers des résidences de plain-pied plus confortables, où le propriétaire du bar voit sa clientèle déserter. Adieu les petits cafés du matin et le débriefing joyeux des amis du quartier, où la jeune assistante sociale essaie en vain de convaincre son voisin reclus dans sa grande maison de bien vouloir bloquer ce fichu volet qui claque jour et nuit au premier souffle d’air, où l’agent immobilier toque aux portes pour satisfaire un patron aux ambitions démesurées car ce pourrait être son dernier grand coup dans sa carrière. Il y a entre autres cet homme enfermé dans sa maison, atteint du syndrome de Diogène, roi du pliage, dont il veut qu’il lui cède absolument un vieux local immense, inutilisé mais au potentiel immobilier phénoménal !
Tout ce petit monde se croise. Sseul Paul résiste à toute invasion chez lui, il sait être dans son droit. Rien ne l’oblige à ouvrir sa porte, malheur à celui qui voudrait l’importuner. Et c’est pourtant, malgré tous les beaux projets, la ville qui surprend et rappelle la mémoire du passé : cette grande inondation du siècle qui a tout englouti sur son passage. Les plans Orsec n’y feront rien, les réunions au plus haut niveau de l’Etat non plus. C’est l’embâcle, l’accumulation d’objets emportés par les eaux lors d’une crue puis bloqués dans le lit de la rivière qui donne fort justement le titre de ce roman de Sylvie Dazy.
Un roman où l’auteur rend les personnages bien réels. Mais c’est aussi une critique virulente sur la promotion immobilière, le non-respect de la nature et l’oubli de la mémoire de la ville.
Un roman qui laisse à réfléchir.
Gilles PARIS – AlineZALKO : Inventer les couleurs (Ed Gallimard Jeunesse – 51 pages)
Je connaissais l’attaché de presse efficace qu’est Gilles Paris. Je connaissais le romancier talentueux qu’il est aussi. Je connaissais moins son talent d’écriture pour les enfants, hormis ce livre devenu un immense succès césarisé au cinéma : « Ma vie de courgette ».
Gilles a toujours été très proche de l’enfance, son dernier roman, recueil de nouvelles intitulées « La lumière est à moi » paru chez Gallimard en atteste, histoires simples, poétiques, touchantes où l’on sent toute la nostalgie de sa propre enfance.
Cette fois, c’est une très jolie histoire qu’il nous propose à quatre mains, lui écrivant, Aline Zalko l’illustrant, y ajoutant son talent poétique.
Hyppolite vit en province avec son père qui l’élève seul depuis que sa maman est partie avec le voisin. Un papa formidable et aimant malgré un travail épuisant en usine. Un papa pas très conventionnel qui picole à la bière, fume comme un pompier, pète, rote, se cure le nez… Et portant ça n’empêche pas un amour fusionnel entre les deux.
Hyppolite adore dessiner et invente son monde avec ses propres couleurs, nous racontant sa vie à la maison où il retrouve son père qui l’aime et qu’il aime, à l’école avec ses copains Gégé, Antar, Fatou, Firmin et les autres. Son imagination est débordante et il vite sa vie autant qu’il la rêve.
Jusqu’au jour où toute la classe se rebelle contre le professeur de mathématique. Rébellion sans suite où tout se termine comme par enchantement. Lorsqu’il raconte l’histoire à son père, celui-ci lui conseille de se remettre à ses dessins et à ses couleurs. Ce qu’il fera.
C’est drôle, plein de cette nostalgie qui fait partie intégrante de l’auteur, rehaussé de dessins pleins de couleur d’Aline Zalko qui a su capter la poésie de l’auteur.
Ce livre serait-il les réminiscences de la propre enfance de Gilles Paris ?
Tahar BEN JELLOUN : L’insomnie (Ed.Gallimard – 260 pages)
Un scénariste tangérois ne supporte plus de ne pas dormir : c’est un grand insomniaque.
Il veille sa vieille mère qui a déjà un pied dans la tombe. Devant ses souffrances morales et physiques, avec délicatesse, sans violence, il l’étouffe avec un oreiller….et le soir même il fait une nuit complète
Il en déduit que pour bien dormir, la seule solution est de tuer quelqu’un mais en phase terminale. Un ami lui sert de rabatteur. Ses victimes sont des crapules, des corrompus, des tortionnaires. Plus sa victime est importante, plus il dort. Il s’adjuge un système de récompenses sous forme de crédit points sommeil (C.P.S). plus ou moins nombreux en fonction de la personne qu’il tuera. C’est un « hâteur de mort » qui fait du bien puisqu’il abrège leur souffrance.
Mais c’est l’escalade…. et une erreur peut tout faire basculer .
Entre fable et thriller malicieux, d’une plume légère, l’auteur aborde des sujets sensibles : l’euthanasie, la corruption et autres problèmes sombres de la société marocaine.
Cet académicien semble s’être bien amusé à écrire ce roman.
Il a réussi à faire sourire plus d’une fois son lecteur.
Jacques PESSIS : Charles Aznavour, dialogue inachevé (Ed Tohu Bohu – 206 pages)
On le croyait immortel. Grâce à son oeuvre, il le sera comme le sont Brel, Brassens, Bécaud et quelques autres, tant ils ont marqué à tout jamais la chanson française.
Nombre de livres lui ont, depuis pas mal de temps, rendu hommage et ce n’est certainement pas fini.
Mais ses dernières confidences, il les aura faites à son ami et voisin de Mouriès, dans le Lubéron : Jacques Pessis, grand amoureux de la chanson française et de ses interprètes.
Avec lui, il avait commencé un dialogue lorsque l’artiste super-actif, se posait à Mouriès. Dialogue interrompu par sa disparition puisque Jacques avait encore quelques confidences à entendre et surtoutà choisir avec lui les photos qui devaient illustrer le livre.. Cela n’a pu se faire et du coup le dialogue reste inachevé et l’auteur nous raconte simplement la vie de l’artiste à travers ce qu’il a bien voulu lui confier.
Peu de choses en fait qui ne soient déjà connues tant en sept décennies, Charles a maintes fois raconté sa vie. Les pages les plus intéressantes sont celles où l’auteur nous raconte l’enfance et l’adolescence de l’artiste qu’il fut très jeune et dans laquelle on entre de plain pied.
Après, ce sont plus des souvenirs communs de leurs nombreuses rencontres de voisinage ou ailleurs, seuls ou accompagnés d’autres personnes comme Davoust, Trenet, Piaf, Coquatrix, Leeb… de ses concerts à l’Olympia ou à l’autre bout du monde. Et Jacques Pessis se souvient : de son élégance, de sa simplicité, de sa complicité avec les habitants de Mouriès, de déjeuners dans les restaurants et bistrots du voisinage, de cette piscine de 17 mètres dans laquelle Charles y plongeait à l’aube, de ses anniversaires, de leurs premières rencontres, des histoires juives qu’il aimait raconter… Tous ces détails qui font apparaître l’homme sous la star qu’il était.
Jacques Pessis écrit comme il raconte, avec volubilité, avec talent et surtout avec l’immense admiration qu’il portait à son voisin. Un très joli livre.
Bernhard SCHLINK : Olga (Ed Gallimard – 270 pages)
Traduit de l’allemand par Bernard Lortholary
De milieu modeste, orpheline, Olga vit chez sa grand’mère qui ne l’aime pas, dans un village de Poméranie, loin de toute modernité.
Fillette, observatrice singulière, elle cultive la solitude et ne rêve que de poursuivre ses études pour enseigner et transmettre le savoir.
Herbert, son meilleur ami, son amoureux, est le fils du riche industriel qui habite la maison de maître. Les barrières sociales font obstacle à leur amour. Il refuse la voie toute tracée de l’héritier; il est obsédé par les immensités et ne pense qu’à devenir explorateur.
Or nous sommes à la fin du XIXème siècle dans l’Allemagne du « funeste Bismarck « qui, dans son désir de grandeur, rêve de civiliser l’Afrique et de conquérir l’archipel du Spitzberg.
Herbert adhérera aux deux expéditions dont l’une lui sera fatale car mal préparée ; il n’en reviendra pas. Il s’est perdu dans la fuite et n’a pas su voir que le bonheur était proche de lui et non dans les aventures fortes.
Dans la première partie du livre c’est la voix du narrateur qui décrit la vie d’Olga jusqu’à cinquante ans et sa passion pour Herbert. Puis dans la deuxième partie c’est la voix d’un jeune ami d’Olga à qui elle se confie. Et enfin la troisième partie : les lettres d’Olga à son grand amour qui lui a échappé et qui à ses yeux n’est pas mort. Olga a fait de ce bonheur chaotique un réel Bonheur.
Roman superbe et profond. C’est le portrait émouvant et subtil d’une femme humble et déterminée qui, solitaire, a brisé les contraintes de son temps dans une société patriarcale qui ne lui apporte nul crédit, enfermée dans un pays obsédé par la folie nationaliste.
Marie-Jeanne TROUCHAUD : Donnez confiance à votre enfant (Ed Plon)
Marie-Jeanne Trouchaud fut enseignante avant d’être formatrice en relations humaines.
Ayant rencontré le philosophe Frédéric Lenoir, elle s’engagea dans son association « SEVE (Savoir Etre et Vivre Ensemble) afin d’animer des ateliers dont celui de la relation bienveillante de l’enfant, de l’adolescent, qui sont tous en fait des « ex-adultes ». Elle en a rencontré beaucoup et ce livre en est le résultat. Ce qui a tout déclenché, c’est cette petite phrase dite par une femme : « Les enfants ne peuvent pas se syndiquer ».
Et c’est la réalité car un enfant qui souffre est souvent très seul et a du mal à trouver quelqu’un pour s’épancher.
Chaque enfant, nous dit-elle, a un vécu, une personnalité qui lui viennent de la naissance, une naissance qui peut avoir été normale, bousculée, violente… Et elle est convaincue qu’une éducation doit être adaptée à l’enfant dans la réalité de son développement.
Pour cela, il faudra passer par de nombreuses et différentes phases adaptées à un vécu qui peut l’avoir fragilisé, l’avoir rendu vulnérable suite à des mensonges, des brutalités, de l’indifférence ou le désintérêt de sa famille, une mauvaise éducation, une injustice, une trop forte autorité…
Que faut-il à un enfant ? D’abord de l’amour, bien sûr et de l’intérêt du père comme de la mère, de la bienveillance, de la confiance, de l’écoute, du respect.
Tout cela elle nous l’explique, exemples à l’appui, dans ce livre dédié aussi bien à la mère qu’au père d’un enfant afin qu’il grandisse dans les meilleures conditions.
Françoise Dolto nous a quittés, voilà Marie-Jeanne Trouchard qui continue sa croisade pour le bonheur et l’épanouissement de l’enfant et pour mettre les parents devant leurs responsabilités.
Très instructif
Michèle LESBRE : Rendez-vous à Parme ( Ed Sabine Wespieser – 99 pages)
Comment résister à cette demande, non à cette prière de son ami Léo qui lui a laissé à sa mort des cartons de livres et dans ces livres « La Chartreuse de Parme », livre dont il se souviendra au paradis.
Une première lecture de ce roman a eu lieu sur une plage de Normandie, un livre au programme de troisième sans doute, une lecture dictée par le travail scolaire qui ennuie plus qu’il ne séduit mais qu’un homme a voulu lui lire à haute voix comme s’il s’adressait aussi à sa fille disparue et qu’il a priée de venir relire sur place à Parme. Et bien sûr, la jeune femme va partir à Parme pour sceller une amitié indéfectible avec Léo nouée dans ses jeunes années dans ses cours de théâtre amateur, Léo qui lui a révélé la magie du théâtre, magie qu’elle n’aura de cesse de chercher et trouver chez les plus grands metteurs en scène Chéreau, Vaclav Havel, Kantor, Peter Brook, Ariane Mnouchkine. Mais Parme ne répond pas ou plus à la jeune femme, d’autres villes d’Italie seront sans doute un écho à sa quête dès lors qu’elle aura retrouvé un amant parisien délaissé mais pugnace. C’est alors un partage mais un profond respect de la liberté de l’autre dans le couple. Déambuler dans les rues de Bologne la rouge, se laisser porter par les souvenirs, admettre que le temps passe vite et qu’il ne faut surtout pas laisser glisser les années sans dire adieu à cet homme qui dans ses jeunes années lui a confié avec pudeur sa peine.
Michèle Lesbre nous entraîne dans son amour pour le théâtre,pour des beaux textes, des créations, c’est profond et léger à la fois, un véritable plaisir de lecture.
Philippe de la GENARDIERE : Mare Nostrum (Ed Actes Sud – 260 pages)
Une tornade vient bouleverser la vie bien rangée d’Adelphe employé, dans une grande maison d’édition, à transformer des manuscrits à l’état de livres. Adelphe qui le soir joue du clavecin ou lit de la poésie, Adelphe élevé sévèrement dans un château austère de Bourgogne, seul avec une mère exigeante, Adelphe que la peau noire de Maïsha va séduire, captiver, obséder. Une rencontre de deux mondes si différents, deux peaux si contrastées, l’une blanche, l’autre noire ébène, si jeune, si lisse, la peau de Maïsha qui n’a jamais connu l’Afrique et qu’Adelphe contemple à en devenir fou.
Car la folie est là, elle le mène même en hôpital psychiatrique après une crise de délire mystique, où la vue de la Méditerranée, mare nostrum, la douceur des vers du poète lisboète Passoa rêvant comme lui «de départs définitifs vers le large, mais demeurant immobile sur son malheureux quai» n’apaiseront en rien une rupture butant sur une explosion de violence. Car si Adelphe vit enfin, à soixante ans, en se noyant dans la beauté de la peau noire de Maïsha, il fait remonter à la surface la douleur infinie de l’enfant d’esclaves, ces noirs violentés, vendus, soumis au bon vouloir du blanc.
Maïsha voudra revoir Adelphe qu,i rentré chez lui, apaisé, joue toujours son répertoire baroque au clavecin dans le château familial. Elle veut sceller la paix entre eux, le remercier de lui avoir ouvert les yeux sur son peuple et donc sur elle-même.
Ce roman truffé de références psychanalytiques est dérangeant par la brutalité des deux amants. L’auteur, par des phrases alambiquées et beaucoup trop longues se complaît à décrire la destruction d’un couple, un couple qui s’automutile, phénomène d’attraction, répulsion bien connu.
Roman pessimiste, dégageant un malaise permanent tant dans l’atmosphère que dans l’écriture.
Gilles MARTIN-CHAUFFIER : L’ère des suspects (Ed.Grasset – 286 pages)
Un jeune flic d’un commissariat des banlieues nord de Paris, accompagné de sa jeune stagiaire «bobo» parisienne titulaire d’un master de droit, font une tournée de quartier. Accrochés par deux jeunes branchés s’ensuit interpellation, vérifications de papiers algarades et geste incivique qui entrainent une course poursuite dans la ville pour récupérer un portable volé compromettant. Course qui s’achève par la chute du jeune homme que l’on retrouve mort au bas d’un talus. Pour tout le monde le jeune flic est le coupable. Ce sera le point de départ de cet accident vu et revu de toute la société française, chacun donnant son point de vue, sa version des faits, avec chacun son langage et ses codes : avocats, juge, journalistes, famille, amis, entourage. Chaque communauté va reprendre l’enquête en utilisant son langage, ses valeurs, ses vérités et ses mensonges ou ses non-dits. En fait chacun est suspect par l’interprétation qu’il en fait afin d’illustrer sa version
Cette histoire mouvementée autour d’un incident au départ mineur rend ce roman vif et très actuel et démontre l’art de faire du «buz» autour d’un fait mineur, qui devient une affaire et qui passe du local à Paris.
Un bien écrit, bien étudié et très actuel.