Voilà 60 ans que cette lilloise aux cheveux d’or, au regard océan et à la voix d’ange, nous charme, nous enchante, nous émeut.
Isabelle Aubret, c’est un coup de cœur que j’ai en en 65, alors en tournée avec Adamo où elle y partageait la vedette. Quelques autres rencontres de ci, de là puis les tournées « Âge Tendre », ont resserré des liens d’amitié avec elle et son compagnon Gérard Meys, également son producteur et celui de Jean Ferrat.
Tournée « Âge Tendre » avec Eric Charden, Bobby Solo, Stone, Frank Alamo
Elle a gardé sa voix de cristal, son sourire émerveillé, sa gentillesse, ae simplicité, toujours heureuse et étonnée que le public, « son » public, soit toujours là à l’ovationner, comme je l’ai vu dans les Zéniths pleins à craquer, lui offrant à chaque soir une standing ovation.
Nous avons passé de merveilleux moments ensemble, Isabelle et Gérard m’ont même fait la joie et l’honneur de venir parler de « Tonton » alias Jean Ferrat, lors d’une journée à la Seyne sur Mer, chose qu’ils n’avaient alors jamais faite.
Pour tout cela je les aime et je suis désolé de l’entendre dire qu’elle fait cette année et l’an prochain sa tournée d’adieu.
« Il ne faut pas faire la tournée de trop et je préfère entendre dire aux gens qu’ils le regrettent plutôt qu’ils ne pensent qu’il était temps ! »
C’est vrai que certains étaient étonnés de la voir arriver dans cette tournée « Âge Tendre », au milieu se Sheila, Michèle Torr, Hervé Vilard, Richard Anthony ou encore Frank Alamo, artistes surnommés alors « yéyé » alors qu’elle ne le fut jamais.
Mais elle me rappelle en riant qu’elle existait bel et bien dans ces années 60 :
« Mais mon cher, à cette époque je chantais ! Je gagnais l’Eurovision en 62 avec « Un premier amour », je rencontrais Ferrat qui me donnait « Deux enfants au soleil » puis plus tard, « C’est beau la vie ». Je faisais l’Olympia avec Brel en 63. J’étais en tournée avec Salvatore Adamo en 65… Par contre, je ratais «Les parapluies de Charbourg» à cause de mon accident. J’ai toujours eu quelque chose de formidable et qui ne m’a jamais une fois manqué : la tendresse du public et ça, ça me bouleverse toujours.
Le twist ou le rock, ça ne m’a pas gênée pour faire mon métier car j’ai quand même eu de beaux succès, de belles récompenses. J’ai eu, comme tout le monde, des hauts et des bas mais j’ai toujours été une fonceuse, je n’ai jamais baissé les bras et ce caractère, ce tempérament, ça me vient du sport car j’ai été une championne de gym avant mon accident.
Ce qu’on appelle « yéyé » c’est très loin de mon univers musical. J’ai toujours défendu des musiciens, des auteurs, des chanteurs, des poètes comme Brel, Ferrat, Aragon, pour ne citer qu’eux. Je continue à les défendre et pour cela, il faut se faire entendre. Je pense donc que j’ai largement ma place sur cette tournée. La preuve : le public suit !
Je compare ce spectacle à un puzzle ou mieux, à un arc en ciel. Il est fait de couleurs plus ou moins violentes et puis il y a une petite note pastel qui arrive et c’est moi. J’ai trouvé ma place dans cette tournée.
J’aime bien être là où l’on ne m’attend pas, tout comme j’en ai surpris plus d’un lorsque j’ai joué « Les monologues du vagin ! »
Justement : pourquoi ?
Parce que, d’abord, le texte est drôle, à la fois délirant et troublant… Il va très loin. Déjà, le titre m’a donné envie de le faire. Il y a un texte très fort, très savoureux et quelques petites phrases qui m’ont totalement fait craquer car il faut savoir que j’ai eu sept sœurs, c’est dire si j’en connais un bout sur les femmes et leurs problèmes ! J’ai retrouvé dans ce texte, plein de choses de ma propre vie et j’ai beaucoup pensé à ma mère, ce petit bout de femme de 1m46 et 43 kg, qui a été déchirée par des césariennes car, sortant de l’orphelinat, elle ne connaissait pas grand chose à l’amour et à la sexualité. Pour toutes ces raisons, je crois que j’avais ma place dans ce spectacle, comme je l’aie sur cette tournée.
C’était ton premier rôle de comédienne ?
Au théâtre, oui mais je suis avant tout une interprète et par ce biais là je suis aussi comédienne. Il faut l’être pour chanter ce que je chante. Interpréter Aragon ou Brel, c’est très proche du théâtre…. «La Fanette», «Il n’y a pas d’amour heureux»… pour moi, c’est du théâtre.
Parlons de cette grande rencontre que fut celle avec Brel
C’est Brel qui m’a choisie alors que nous ne nous connaissions pas. On lui avait proposé, en première partie de sa tournée, Michèle Arnaud. Il a seulement dit : C’est la petite que je veux…». Je croyais rêver, jamais je n’aurais pensé à un tel geste. Après, nous sommes devenus amis et je l’ai beaucoup chanté. Je lui ai consacré un disque.
J’ai encore une autre jolie histoire avec lui : Alors que je venais d’avoir mon accident, que j’étais explosée de partout, il est venu me voir à l’hôpital et a dit à mon entourage : «Je lui donne «La Fanette». Jolie histoire, non ?
Autre rencontre tout aussi importante : Jean Ferrat !
C’est grâce à Gérard Meys que je l’ai rencontré. Gérard vient un jour me dire : « Je crois avoir une chanson pour vous3. C’était « Deux enfants au soleil » que chantait Ferrat mais qui n’avait pas fait un succès avec. Je lui ai répondu : «Je fais l’Eurovision, après on en parle !»
J’ai gagné l’Eurovision, on en a parlé, j’ai rencontré Jean, j’ai enregistré sa chanson… Elle est restéE 27 semaines au hit parade ».
De ce jour, une amitié indéfectible est née…
Ferrat a écrit de magnifique choses sur moi. Certaines m’on fait pleurer de joie, d’émotion. Il savait toujours choisir le mot qu’il fallait en toute circonstance, tout en restant très pudique.
Isabelle, parle-moi de cette première rencontre avec Ferrat
Avant l’Eurovision, Gérard me propose donc « Deux enfants au soleil ». Je décide de l’enregistrer sur le 25 cm d’alors, où se trouvait « Un premier amour » qui m’avait fait gagner l’Eurovision. Lors de l’enregistrement, jean Ferrat passe dans le studio, me fait un petit signe mais, aussi timides l’un que l’autre, ça en reste là. Je pars en tournée avec Brel, j’ai mon accident et, toujours aussi timide, Jean Ferrat n’ose pas venir me voir. Lorsque je recommence à marcher, je me rends compte à quel point c’est beau la vie. Ca inspire l’auteure Michèle Senlis (qui avait déjà signé « Deux enfants au soleil ») qui me la propose, sur une musique de Jean Ferrat. Je l’ai entendue pour la première fois chantée par Jean, s’accompagnant à la guitare. Je l’ai enregistrée, lui aussi et dans la foulée nous avons aussi enregistré « Nuit et brouillard », ce qui était déjà une chanson dite « osée » à l’époque, interdite d’antenne d’ailleurs, d’autant plus par une femme qui venait de gagner l’Eurovision !
De ce moment, nous ne nous sommes plus quittés et j’ai enregistré quelque 80 chansons signées Ferrat !
A la Seyne sur Mer avec Alice Dona, Isabelle &
Il y a également eu la rencontre avec Aragon
Je l’ai rencontré après mon accident car il m’avait invitée pour son anniversaire et c’est un souvenir très fort.. J’étais très émue et honorée qu’il m’invite. Et puis il me propose de lire « Aimer à perdre la raison ». De ce jour nous avons créé des liens et je ne me suis pas privée de le chanter. D’autant qu’avec ses poèmes, Ferrat a fait un travail de dentellière, c’est magnifique de précision, de délicatesse et de respect pour son oeuvre. Et je précise que j’ai lu toute l’œuvre d’Aragon. Son dernier poème s’intitule « L’épilogue ». C’est tellement fort et déchirant que Ferrat a mis trois ans pour en écrire la musique. « J’ai l’impression de lire son testament – m’a-t-il dit – plus jamais je ne mettrai l’un de ses poèmes en musique ».
Isabelle, difficile de ne pas parler de l’Ardèche, qui est « mon pays » et est un peu devenu le tien et celui de Gérard, grâce à Ferrat !
C’est le directeur de la Maison de la Culture de Nice d’alors, Gabriel Monet qui parle à Jean d’Antraigues où il a de la famille. Il cherche un coin tranquille pour se reposer de 200 à 250 galas par an mais surtout pas sur la côte. Il l’emmène le visiter et c’est le coup de foudre. Il appelle alors Gérard en lui disant : « Voilà, il y a deux maisons à vendre, la belle est pour moi, la moche est pour toi ! ». Et c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés là-bas !
Nous avions envie de rejoindre Jean, d’habiter pas loin de lui mais… assez loin au cas où on se serait fâchés ! Et nous sommes à notre tour tombés amoureux de cette belle région…
Quant à lui, là-haut, on ne l’a jamais considéré comme une vedette. Un jour, un habitant m’a dit : « Ce n’est pas un artiste qui chante mais un homme qui chante ». Il a été heureux dans ce village. ».
Avec Herbert Léonard
Isabelle m’avoue qu’aujourd’hui, elle a de mal à retourner là-bas sans Tonton. Mais notre montagne est belle et j’espère un jour l’y retrouver.
Propos recueillis par Jacques Brachet
Photos Christian Servandier