Laurent GAUDE : Salina,les trois exils (Ed Actes Sud – 151pages)
Marqué par le personnage de Salina qu’il avait mis en scène dans la pièce de théâtre éponyme qu’il a écrite en 2003, Laurent Gaudé a voulu retrouver son héroïne en adaptant sa première histoire en un roman court et dense.
Quelque part en une Afrique saharienne imaginaire, à une époque indéterminée, dans le village du clan Djimba, arrive un cavalier qui y dépose un bébé ne cessant de pleurer. Sissoko,le chef du village, refuse de recevoir cet enfant dont le sort sera d’être mangé par les hyènes si le soleil ne l’a pas tué de ses rayons, avant. Mais une femme nommée Mamanbala se laisse toucher par ce nourrisson et le recueille. C’est une fille qu’elle nomme Salina, du fait des traces de sel laissées par ses pleurs.
Puis l’auteur nous transporte au moment de la mort de Salina qui s’éteint auprès de son fils Malaka Ce dernier, en cherchant un lieu pour lui donner une sépulture, arrive dans une ville auprès d’un lac sur lequel se trouve une île cimetière. Salina pourra y être enterrée si le récit de sa vie que devra faire son fils le justifie.
Commence alors l’histoire d’une femme forte, rebelle et fascinante dont la vie aura été nourrie de haine, de colère, de vengeance sauvage mais aussi de réconciliation, de consolation et d’amour.
Par les thèmes abordés ( mariage forcé, viol conjugal, vengeance, exils, liens filiaux, duel fratricide, culte dû aux morts), par les aspects fantastiques du récit, par son style proche du poème épique, ce conte tragique envoutera le lecteur.
Laurence TEPER : Un cadenas sur le cœur (Ed Quidam – 188 pages)
Laurence Teper est professeur de Français dans un lycée parisien et travaille en parallèle dans l’édition. Ceci est son premier roman.
Ce roman est un condensé de la vie de l’auteure. Elle annonce en préface citant Honoré de Balzac « Sachez-le ce drame n’est ni une fiction, ni un roman . All is true ».
Acte 1. c’est la jeunesse de Claire Meunier née au début des années soixant, fille aimée d’une famille française apparemment ordinaire. D’un ton léger elle évoque sa jeunesse studieuse et sa joie de vivre lors des vacances communes avec une autre famille qui se retrouve tous les étés dans la même station balnéaire de la cote Atlantique. Neuf adultes six enfants, qui continuent de se fréquenter toute l’année puisque sa propre mère est l’employée du chef de la famille amie et d’où vont découler peu à peu des indices, des soupçons, des questionnements sur le type de relations bizarres qui se jouent sous ses yeux.
Acte 2. les soupçons s’alourdissent, le ton change et le drame sous-jacent commence à pointer son nez. Période compliquée pour la jeune femme devenue mère de famille, qui entreprend des recherches qui, au travers des recoupements du passé, des ascendants, laissent apparaitre des évènements tragiques de collaboration et de faits peu glorieux. C’est la recherche de la vérité. Pour reconstituer le puzzle dépareillé et dispersé de sa vie, elle brave interdits familiaux et mensonges. Elle perce à jour le secret de sa naissance, remonte aux origines de cette nouvelle famille mettant en danger sa vie de couple qui explose.
Acte 3. C’est la reconstruction de l’héroïne qui redresse la tête et qui fait jaillir la Vérité à la face de ses proches .
Roman bien écrit, bien monté, psychologique, dans lequel on se laisse prendre au jeu de l’auteure dont on comprend qu’elle sait de quoi elle parle.
Harold COBERT : Belle-Amie (Ed Les Escales – 410 pages)
En cette rentrée littéraire le dernier roman d’Harold Cobert, va surprendre par son originalité et la qualité de son écriture.
Il fallait oser rédiger une suite possible au chef d’œuvre de Maupassant. Ainsi Bel-Ami devient-il Belle-Amie, au féminin et à la manière de… presque comme un copié/collé !
Nous retrouvons Georges Duroy, l’ambitieux personnage installé dans le Paris du XIXème siècle, attablé dans un grand restaurant en conversation avec ses amis, tous engagés en politique. Accéder au pouvoir à l’occasion des prochaines élections anime le débat.
Les personnages nous sont présentés dès les premières pages dans un style et une syntaxe dignes du grand maître. L’écriture nous emporte dans cette même atmosphère, où cynisme, arrivisme et froide cruauté mettent les hommes à l’épreuve, les brisent au profit des plus calculateurs.
Léon Clément est déjà député, médecin de son état et propriétaire du journal « Le Glaive », Paul Friand, également député, est avocat et fin stratège, il donne des pistes pour contrer leur adversaire Eugène de la Barre. Le combat se fera lorsque la souscription publique pour le canal du Nicaragua de Ferdinand de Lesseps sera lancée.
Un monde d’hommes où Georges Duroy prend toute sa dimension. Devenu Ministre des Finances, sa réussite est cinglante. Ainsi, comme l’avait imaginé Maupassant, Bel-Ami, jouant de ses promotions amoureuses et professionnelles pourra jouir de la gloire, la fortune et la considération dont il rêvait.
Mais le romancier veille, et les femmes reprennent la main.
Elles sont toutes encore présentes dans le roman d’Harold Cobert : conquêtes, maîtresses, épouses que sont Madame Forestier, Madame de Marelle, Madame Walter et sa fille Suzanne.
Le texte prend alors des allures de vaudeville. On le regrette presque.
Et c’est Belle-Amie sous les traits de Siegfried/Salomé/Laurine, en réalité petite fille de Madame de Marelle, seule et même personne, qui va faire chanceler notre héros. Sa vie privée scabreuse aura raison de son statut. Sa vie familiale détruite, Georges Duroy n’est plus ce qu’il était.
La belle écriture, classique, peut être un peu datée d’Harold Cobert, se relâche. Et si le lecteur adhère néanmoins à ce dénouement, c’est parce qu’il est conscient, que Ministère des droits des Femmes oblige, il faut bien priver de ses acquis, un si abominable macho !
Georges Duroy n’avai- il pas dit, évoquant une terre convoitée en vue de son élection : « Je la prendrai, quel que soit le prix à payer, je la prendrai comme j’ai toujours pris les femmes, de force s’il le faut ». Dérangeant au XXIème siècle !
A lire aussi pour l’envie qu’il nous donne de retourner dans notre bibliothèque, au rayon Maupassant.
Simonnetta GREGGIO : Elsa mon amour ( Ed Flammarion- 237pages)
Afin de bien préciser que ce livre est un roman l’auteure le commence par la biographie d’Elsa Morente en préface. Première femme récompensée par l’équivalent du Goncourt en Italie pour son œuvre « Storia ».
« Elsa mon amour » est l’histoire romancée de cette italienne, mariée à Alberto Moravia. Leur mariage durera jusqu’à la mort. L’auteure redonne sa voix à Elsa, car ce roman est écrit à la première personne du singulier. Ce roman intime et sensuel est l’histoire de sa vie. Elsa fût au centre de la vie culturelle de l’Italie des années 1950–1970. A six ans, petite fille sauvage, arrogante, effrontée, elle commence à écrire des nouvelles où elle décrit son enfance dans un quartier populaire.
Les chapitres courts, mais denses, à l’écriture poétique et imagée sont ponctués de fragments de journaux, de poèmes, de lettres. Des scènes brèves, où le réel se mêle à la fiction, se succèdent sans transition. Nous croisons Pasolini, Maria Callas, Anna Magnani.
C’est un livre mélancolique, profond et lumineux.
Un grand roman d’amour et de passion très bien rendu par Simonnetta Greggio.
Juliette BENZONI : Les chevaliers – L’intégrale (Ed. Plon – 949 pages)
*Le roi lépreux paru en 2002
**La malédiction. Paru en 2003
***Les trésors des templiers paru en 2003
Réédition en un seul volume des trois grands romans que Juliette Benzoni a regroupé en seul ouvrage mais qui n’apportent rien de plus à l’histoire
Il s’agit bien des croisades de 1176-1320 où sont mises en scène trois générations à la recherche des trésors perdus des religions monothéistes : La Vraie Croix, l’Arche d’Alliance et le Sceau de Mahomet. Toujours égale à elle-même Juliette Benzoni nous entraine dans une épopée monumentale à travers mers et continents, toujours avec verve et précision au plus près de l’Histoire et dans les méandres des épopées religieuses et guerrières de ses personnages.
Lecture réservée aux amateurs d’Histoire et de grandes mises en scène comme nous l’offre cette éminente historienne
Il est à noter que l’ouvrage comporte 949 pages et pèse un kilo, écrit en petits caractères denses ce qui le rend peu maniable !
Gaëlle JOSSE : Une longue impatience (Ed Notabilia – 191 pages)
En moins de deux cents pages, Gaëlle Josse décline une ode à l’amour, l’amour qu’une femme a pour ses enfants, son mari, son pays la Bretagne.
Cette femme, jeune veuve d’un marin pêcheur mort en mer, s’est remariée avec le pharmacien, déjà amoureux d’elle en classe primaire, lui le nanti, elle l’enfant battue, la sauvageonne.
Mais Louis, l’enfant du premier mariage devient un obstacle à l’amour exclusif que lui porte son mari, surtout après la naissance de deux autres enfants. Et lorsqu’une scène extrêmement violente oppose Louis à son beau-père c’est la rupture, une rupture qui se traduit par la fuite de l’enfant sur un bateau cargo, un bateau parti à l’aube et qui devrait revenir. En attendant ce jour, la jeune femme prie, espère, souffre et, telle la proue du navire, va ausculter chaque jour l’horizon pour accueillir son fils tant aimé qu’elle n’a pas su retenir. La vie continue en surface mais une partie d’elle est en train de mourir, elle tait son impatience et attend. Et dans ses espoirs chaque soir déçus mais chaque matin renouvelés, elle survit en écrivant le festin grandiose qu’elle offrira à son fils à son retour. Rien ne sera trop beau, ce sera une apothéose et pour cela cette femme retourne dans sa petite maison de pêcheur aux volets bleus et travaille dans la plus grande discrétion à un chef d’œuvre.
Gaëlle Josse choisit des mots qui bouleversent le lecteur, des pages d’un amour de mère qui engloutit tout autre sentiment.
C’est généreux, digne, superbe.