Jean-Marie ROUART: La vérité sur la comtesse Berdaiev (Ed Gallimard – 208 pages)
Nous sommes en France dans les années 50. Le pays, tout juste remis des deux dernières guerres, s’enlise maintenant dans le conflit algérien et la IVème république vacille. A Paris la communauté des russes blancs exilés depuis la révolution de 1917 cherche sa place. Parmi eux la comtesse Berdaiev, aristocrate belle et libre, s’est assuré la protection et l’affection du président Marchandeau. « La politique la passionne » nous dit l’auteur, « pas seulement comme une comédie amusante mais parce que c’est elle qui tisse les fils du destin.
Pour la génération d’après guerre, cette intrigue, plus connue sous le nom de « ballets roses » fait écho à ce scandale. Jean-Marie Rouart est très subtil: aucun nom n’apparaît vraiment, les descriptions et les fonctions des différents protagonistes sont habilement suggérées. Il sait exprimer le fond de la nature humaine très complexe, la nostalgie de ces russes blancs cosmopolites, imprégnés de foi ainsi que la magie des rencontres, les choses troubles. Nous applaudissons l’écrivain talentueux, sa connaissance et sa critique d’un milieu qu’il côtoie sans illusion. Le récit simple argumenté, rationnel, est porteur d’une force tranquille qui rassure, même si passion, pouvoir et morale ont du mal à coexister, nous le savons.
C’est une belle incursion dans l’histoire de notre société.
Juliette BENZONI : Par le fer et le poison (Ed Perrin – 426 pages)
Alain Decaux préface ce roman déjà édité en 1973 par ces mots qui résument toute son œuvre : « Chère Juliette Benzoni, vous suivez la même voie qu’Alexandre Dumas, vous aidez à faire aimer l’histoire aux français ».
En fait il ne s’agit pas là d‘un roman mais de seize courts récits retraçant le portrait de femmes qui ont marqué l’histoire. Dans chacun d’eux le fer brille, la hache s’abat ou le poison s’insinue dans le cadre des femmes qui ont fait parler d’elles, d’Aggrippine à Marie Tudor, de Marguerite d’Anjou à la princesse d’Eboli, le sang coule.
L’auteur raconte avec verve complots et assassinats qui furent terribles mais qui sont réjouissants à lire puisque sa renommée à fait d’elle une des plus grandes vulgarisatrice de l’Histoire.
Milena AGUS : Terres promises (édit. Liana Levi – 175 pages)
Traduit de l’Italien par Marianne Faurobert
Une couverture attractive avec un bateau avançant sur un fond bleu, séparant en deux le titre, Terres-Promises, à la manière d’un brise glace, et le ton est donné. A la recherche du bonheur, il y aura de l’errance sans doute, mais de l’espoir aussi dans ce texte.
En Sardaigne, la vie est dure au XXème siècle dans les années 50. Raffaele fils de paysans n’a d’autre destin que l’agriculture. Ester sera donc femme d’ouvrier agricole.
Alors que l’Italie du nord est en plein boum industriel, tous deux se mettent à rêver d’une terre d’accueil, pleine de promesses à Milan. La vie dans les quartiers pauvres d’une grande ville sera décevante et la mer manquera à la jeune femme.
Le retour au pays effacera cette épisode, d’autant plus qu’Ester a donné naissance à Felicita, la bien nommée qui puise sa force dans la joie et la diffuse autour d’elle. C’est l’héroïne de ce roman. Eprise de liberté, elle revendique le droit de croire que la gentillesse est la meilleure arme pour survivre en ce monde
Dans ce court roman, l’auteur parvient avec finesse à conter une véritable saga familiale. L’intrigue est simple, le vocabulaire sans effets spéciaux, le style souple et fluide.
Rien que de très ordinaire en apparence, mais le lecteur est conquis. Il ne s’agit pas de mièvrerie mais plutôt d’une leçon d’optimisme face au tragique de certains destins. Les ailleurs sont illusoires, nous aurons des rêves brisés, mais notre acceptation va nous permettre de résister et de trouver la paix.
Une belle leçon de vie.
Jérôme CHANTREAU ; Les enfants de ma mère (Ed Les escales – 476 pages)
Dans ce roman où Paris se fait personnage, l’auteur nous offre un portrait sans complaisance de la France mitterrandienne aux accents violents et poétiques. Ce 10 Mai 1981, jour de l’élection de François Mitterrand, le mari de Françoise lui annonce qu’il quitte leur domicile, rue de Naples dans le VIIIème et qu’il divorce. Une nouvelle vie s’ouvre à elle.
A 40 ans, sans emploi, elle se remet à la peinture. Elle recueille chez elle des enfants du quartier en perdition, accueille les amis de ses enfants et se noie dans les bras de ses amants.
Une époque s’achève, celle de la femme au foyer pour qu’une autre commence, celle de l’artiste peintre en sommeil depuis quinze ans. Ces enfants grandissent, elle les délaisse sans s’en rendre compte. Laurent, son fils, avec sa bande et sa musique, occupe le centre du roman.
Livre déroutant qui dresse le portrait d’une mère inconsciente, capable de recueillir des enfants en souffrance dans la rue et d’oublier de remplir le réfrigérateur. Les cent premières pages étaient prometteuses, puis l’écriture devient méandreuse.
Vincent VILLEMINOT : Fais de moi la colère (Ed Les Escales – 280 pages)
Ce roman surprend par son style et sa conception.
Un prologue nous présente l’héroïne : Moi, dix huit ans, attend un bébé «un enfant qui nage en elle et qui cessera bientôt d’être aquatique ». Comment va-t-elle l’appeler : Crocodile, Convoitise, « Empire ?
Le ton est donné ! On mise sur l’originalité.
Nous sommes sur les rives du lac Léman. Moi, c’est Ismaëlle.
Dix huit mois plus tôt, elle a perdu son père. Ce dernier, pécheur de métier, n’est pas revenu d’une sortie sur le lac ; son corps reste à jamais disparu. L’héritage est lourd pour l’adolescente qui devra à son tour lancer ses filets.
Le texte s’organise en chapitres courts, sous forme de deux monologues alternés (une typographie les différencie), de poèmes ou de récits dans une organisation qui peut surprendre sans déconcerter toutefois.
En revanche lorsqu’il s’agit du fond, tout bascule. Le lecteur, bousculé, abasourdi, ahuri, est transporté dans un univers improbable.
Il revit La nuit des Morts Vivants, avec l’apparition soudaine de centaine de corps flottants autour de l’embarcation, puis se retrouve poursuivant Mammon, « la bête », « le monstre », désormais maître du lac. Enfin, comme un clin d’œil à la baleine du capitaine Achab, nous voilà plantant des harpons sur le dos de ce Moby Dick de circonstance, dans une ambiance d’Apocalypse Now avec l’arrivée d’une flottille d’hélicoptères et son concert de mitrailleuses !
Ismaëlle n’est heureusement plus seule désormais, forte de sa rencontre opportune avec Ezéchiel, fils d’un « ogre africain » mix de Amin Dada et de Boccassa. Lui saura diriger l’embarcation et veiller au repêchage des corps à la dérive.
Inévitablement l’amour s’en mêle et nous n’échapperons pas à quelques digressions sur la sexualité naissante et ambitieuse de la pêcheuse/pécheresse… Bonne chance au bébé à naître !
Il serait sans doute intéressant de chercher dans cette accumulation d’incongruités un quelconque enseignement derrière une forêt de symboles, mais le courage manque au lecteur lambda, qui n’aura qu’une hâte : en finir avec ce roman.
Virginie JOUANY : Petit cœur d’opium (Ed Cairn – 192 pages)
L’auteure, Virginie Jouany découvre dans le cimetière du petit village de Thonac en Périgord, la tombe d’un empereur d’Annam. Elle enquête et malicieusement crée autour de Ham Nghi une fiction sympathique mais surtout plonge le lecteur dans la guerre coloniale que la France a menée au Vietnam actuel. Un personnage central mais complètement fictif, Judith, permet le lien entre les dernières années d’un empereur déchu, retenu prisonnier en Algérie après sa capture au Vietnam, et la carrière éblouissante, joyeuse et généreuse de Joséphine Baker, chanteuse, danseuse noire américaine reniée dans son pays puisque noire. Rappelons-nous que cela se passe fin XIXème, début XXème siècle !
Judith sera le dernier amour de Ham Nghi mais sera aussi l’habilleuse, la dame de confiance, l’amie de Joséphine Baker à qui elle voue une admiration sans borne.
Une occasion merveilleuse pour l’auteur de dérouler avec précision, humour, générosité, la vie de ces deux personnages bien réels.
Roman attachant qui nous replonge dans l’histoire coloniale française un peu oubliée, il est vrai.
Claude SERILLON – Un déjeuner à Madrid – Cherche Midi – 154 pages
Le journaliste Claude Serillon imagine la rencontre entre Franco et de Gaulle et nous fait entrer dans les coulisses de ce fait historique méconnu.
En 1970 de Gaulle n’est plus au pouvoir et décide de voyager. Il souhaite connaître l’Espagne catholique, pays chargé d’histoire qui le fascine. Le 08 Avril 1970 il arrive avec sa femme à Madrid et rencontre Franco au Palais du Prado. Le seul témoin de l’échange est le traducteur. Franco, l’allier des nazis est toujours au pouvoir, et de Gaulle symbole de la Résistance ne l’est plus depuis un an. Tout semble les opposer. Qu’ont-ils pu se dire ?
Ce déjeuner dont la teneur est restée secrète, interroge, intrigue et fascine. Quel sens donner à ce voyage ? Comment le résistant de la première heure, l’homme du 18 juin peut-il oublier la rencontre Franco/Hitler, la visite d’Himmler et tous les Républicains espagnols qui ont combattu pour la France libre.
L’auteur reconstitue cet entretien imaginaire qui regorge d’anecdotes et de références.
Et c’est très agréable à lire.
Sylvain TESSON : Un été avec Homère (Ed Équateurs – 253 pages)
A l’origine, une série d’émissions diffusées l’été depuis 2013, sur France Inter.
Il s’ensuit une très jolie collection, au format de poche, proposée par les Éditions Équateurs Parallèles reprenant les émissions enregistrées.
Cette année, aux cinq premiers numéros parus, s’ajoute « Un été avec Homère » de l’écrivain Sylvain Tesson, un ouvrage hautement réussi.
Nous voilà donc nous replongeant dans nos souvenirs de lycée, en classe de sixième, à la redécouverte de l’Iliade et l’Odyssée. La sensation est étrange car loin de nous re-raconter la Guerre de Troie et le Voyage d’Ulysse, sous la forme d’un « Homère pour les Nuls », l’auteur s’attache à nous présenter la mythologie comme un manuel de survie pour les hommes du vingt et unième siècle.
«Homère continue de nous aider à vivre» nous dit Tesson.
Ainsi, commentant l’actualité, avec érudition, verve et humour, dans un style particulièrement pétillant, l’écrivain, faisant fi des deux mille cinq cents ans qui nous séparent d’Ulysse, observe, analyse, rapproche, traduit, la grande épopée pour nous éclairer sur la conduite de nos contemporains.
Le Moyen Orient se déchire, à Troie, les hommes engagés par Achille se déchaînent ; les Kurdes se battent pour reconquérir leurs terres, Ulysse tente de reprendre le pouvoir à Ithaque ; nous subissons des catastrophes écologiques, Homère raconte la nature en fureur. Tout évènement contemporain trouve son écho dans le poème.
L’ouvrage est court, agréable, vif et pertinent, c’est le bijou de l’été.
Jean-Noël PANCRAZI : Je voulais leur dire tout mon amour (Ed Gallimard – 129 pages)
Jean-Noël Pancrazi a été, dès son plus jeune âge, fasciné par le cinéma.
Né à Sétif en Algérie, il allait dans la salle mythique où arrivaient avec beaucoup de retard les fameuses palmes d’or du festival de Cannes. Avec cinquante ans de décalage, une occasion se présente à lui de revenir en Algérie qu’il a quittée en 1962 pour participer en tant que juré du festival du Cinéma Méditerranéen d’Annaba. Un retour souhaité, malgré tout mêlé de crainte, mais un festival qui servira de pont entre le passé et le présent et sera un prétexte pour dire à l’Algérie et aux algériens tout son amour.
Mais l’Algérie est un pays où les projets sont souvent déçus. Une profonde mélancolie se dégage de la lecture de ce roman. En remontant le temps l’auteur redonne vie à un peuple qui a souffert, payé le prix du sang et vit la liberté à travers la magie du cinéma.
Mais cette liberté est-elle possible ? Il semblerait que non.
Valentin MUSSO : Dernier été pour Elsa (Ed Seuil – 399 pages)
Ce thriller très noir mais pas sanguinolent nous entraîne dans une paisible bourgade américaine sur les bords du lac Michigan. Nick le héros est un écrivain qui vit à New York. Le décès de son père le rappelle dans sa ville natale afin d’assister aux obsèques au sein de sa famille, sa mère, son frère Adam et Véra. C’est à ce moment là que se produit la libération d’Ethan son ami de collège suspecté de la mort de Lisa leur amie commune assassinée au bord du lac le dernier été 2004 et libéré pour vice de procédure).
Pour Nick c’est le plongeon vers le passé qu’il avait un peu occulté. Mis en présence d’un policier qui enquête sur les erreurs judiciaires non élucidées il va reprendre le parcours des derniers instants de Lisa afin de faire jaillir la vérité douze ans après. Ce sera l’occasion d’évoquer la vie de cette bourgade un peu endormie, de ses habitants taiseux, pleins de secrets et de rebondissements. A l’aide de flash-back qui vont nous faire voyager entre cette soirée d’été 2004 et le présent, on va peu à peu comprendre et imaginer combien beaucoup de monde avait de raisons de faire disparaitre Lisa, la jeune fille aimée de tous.
L’enquête est prenante, la découverte psychologique des divers protagonistes haletante par leur diversité et le dénouement imprévu bien sûr et loin du point de départ. Un peu de lenteur toutefois due aux nombreux retours en arrière mais un bon moment passé en compagnie de ce jeune auteur…
Michel Grèce de : La Bouboulina (Nlle Ed Plon)
Michel de Grèce, descendant lui-même des Romanov et de la famille d’Orléans, est un passionné de sujets mythiques des grands personnages de l’histoire du monde. Il est connu pour ses nombreux romans à succès dont « La Bouboulina » édité en1993 et qui est réédité en Juin 2018 dans une belle collection illustrée qui nous renvoie à ce fantastique personnage qui a existé : Lascarina Bouboulina.
Née en 1771 elle fut une grande figure héroïque lors du soulèvement du peuple grec contre leurs oppresseurs de toujours, les Turcs. Aventurière dans l’âme malgré ses six enfants plus ceux d’un de ses maris, pirate, maîtresse-femme, amoureuse de liberté surtout, rebelle toujours, mais résignée parfois par la convoitise des hommes. Elle traverse une vie de tueries et de guerres fratricides que l’auteur nous livre à grand renfort de scènes dramatiques et passionnées.
D’une écriture flamboyante l’auteur nous emballe encore une fois dans le drame romanesque dans lequel il a l’art de se déplacer.