Il sont sept gars, entre 35 et 50 ans, tous plus ou moins paumés, en pleine déprime, mal dans leur peau, mal dans leur vie, mal dans leur travail… Bref, c’est la loose. A la dérive, ils sont en train de plonger dans tous les sens du terme car ils ont trouvé une occupation hors norme en se retrouvant autour d’une piscine : monter une équipe de natation synchronisée, sport plutôt réservé aux femmes mais sous l’impulsion de Delphine (Virginie Effira), tout aussi paumée qu’eux et d’Amanda (Leïla Bekhti) qui vit sur un fauteuil roulant.
Loin d’être des Chippendales ni des as de la natation et de la grâce, ils vont pourtant tous s’accrocher entre eux autour de ce projet fou : se présenter aux championnats du monde.
Gilles Lellouche, ici co-scénariste avec Ahmed Hamidi et Julien Lambroschini et réalisateur, nous offre une comédie douce-amère sur le temps qui passe, le moral et le physique qui se dégradent, les habitudes, les lassitudes, et pourtant la vie qui est la plus forte. Il suffit d’une motivation pour que tout reparte, pour que la confiance et l’optimisme reviennent et prouvent qu’à mi-vie, on a encore plein de choses à vivre.
Pour ce film, intitulé « Le grand bain », film de deux heures qui, présenté hors compétition à Cannes, a fait un tabac, Gilles Lellouche nous offre une belle histoire, une sorte de conte de fée, sans mièvrerie, avec beaucoup d’émotion, souvent court-circuitée par des moments d’humour et, disons-le, de grâce.
Quoique quelquefois énervants, on s’attache à ces personnages, à leur histoire, à cette quête de s’en sortir, même si le moyen semble insurmontable.
C’est un film choral avec une distribution éclatante : Mathieu Amalric, Guillaume Canet, Benoît Poelvoorde, Jean-Hugues Anglade, Philippe Katerine, Felix Moati, Alban Ivanov, Balansingham Thamilchelvan. Un film d’hommes mais où les femmes ne sont pas en reste puisque, outre Virginie Effira et Lzïla Bkhti, l’on retrouve Marina Foïs en femme aimante devant un mari au bout du rouleau et, pour de petits rôles, Mélanie Doutey, et Claire Nadaud.
C’est un film plein de bons sentiments, d’amour et d’amitié, à la fois drôle et touchant, qui sort des sentiers battus et que Gilles Lellouche maîtrise magnifiquement.
Gilles, qu’on a rencontré au Pathé la Valette avec un vrai plaisir, accompagné d’un de ses co-scénaristes Ahmed Hamidi.
Gilles, la genèse de ce film ?
C’est une idée qui m’est venue tout simplement en regardant autour de moi, en observant les gens mais plus inspiré d’impressions. Il y a plein de gens bloqués, paumés, solitaires, dépressifs, empêtrés dans leur vie, des gens qui ont le don de se pourrir la vie et pourrir celle des autres. Et suite à ces observation j’ai eu l’idée de les réunir autour d’un projet fou qui vont retrouver à la fois le goût de l’effort et le goût de la vie à travers un projet commun et une chaleur humaine qu’ils ont perdu.
Vous avez deux co-scénaristes, dont Ahmed ici présent…
Nous sommes potes depuis longtemps, il a écrit pour beaucoup de gens, des sketches pour Jamej Debouzze, Omar et Fred, les Guignols et si ses sketches me font hurler de rire, dans la vie il me fait plus rire encore.
Durant deux mois, nous avons quitté pays et famille pour écrire.
Pourquoi ?
Pour ne pas subir l’environnement de Paris, pour être loin de tout, loin du bureau, redynamiser l’envie en partant loin.
Loin c’est où ?
Ahmed : Ca a été Los Angeles, le Maroc mais aussi le Sud-Ouest… Ca a été une super aventure. Je savais qu’avec ce film, Gilles prenait des risques. Je le connaissais surtout en tant que comédien et, très touché par son histoire, j’ai eu tout de suite envie d’y participer et vivre ensemble durant deux mois a été un véritable plaisir.
Vous avez un casting incroyable… Avez-vous pensé à eux dès l’écriture ?
Surtout pas ! Je me souviens d’avoir fait ça lorsque j’ai fait « Narco », il y a 15 ans et c’est très inhibant car on fantasme sur des comédiens et on ne peut pas, pour diverses raisons, les avoir à l’arrivée. Et c’est très emmerdant !
Là, j’y ai pensé après et j’ai eu une chance incroyable car aucun n’a refusé. C’est même allé plus loin puisque, grâce au bouche à oreille, certains m’ont appelé spontanément pour y participer ! Ca a été une espèce d’emballement collectif et définitif que je n’ai jamais connu et qui m’a rassuré. C’est Jean-Hugues Anglade qui a été le premier et tout s’est enchaîné.
Aucun n’a posé de problème pour être tout le temps en maillot de bain ?
C’est incroyable mais aucun n’a posé de question à ce sujet. Nous n’en n’avons jamais parlé. Ils avaient tous lu le scénario et savaient que ce que je cherchais, ce n’étaient pas des athlètes mais des mecs entre 30 et 50 ans, qui se mettent à nu, dans tout le sens du terme, devant la réalité des corps et non des images qu’on nous en donne et qui nous polluent.
Le seul problème que j’ai eu, c’est que, pour le championnat, il fallait qu’ils se rasent et pour certains, comme Philippe Katerine, ce n’était pas gagné. Il m’a d’ailleurs offert le sachet contenant ses poils !
Comment avez-vous vécu Cannes ?
Ca a été les montagnes russes. D’abord la surprise lorsqu’on m’a proposé de l’y montrer. Les producteurs n’étaient pas chaud, d’abord parce qu’il n’est pas vraiment dans le droit fil de ce qu’on y présente et que, si les critiques sont mauvaises, le film est mort avant d’être sorti.
Il y a donc eu l’incertitude de le présenter au comité de sélection, qu’ils l’aiment puis qu’ils le prennent. Et là j’ai été fou de joie. Puis il y a eu l’angoisse de la présentation au public et je dois avouer que j’étais plus à l’aise en descendant les marches après une ovation, qu’en les montant. J’ai adoré les redescendre, car les rires, les applaudissements ont été une libération.
Même si le rôle des femmes est moindre, elles ont une belle carte à jouer !
Ahmed : C’est presque ce qu’il y a de plus beau dans le film car elles ont des rôles-clef et elles sont toutes très touchantes d’autant qu’elles n’ont pas des rôles très glamour. Virginie est en pleine détresse, avec peu de maquillage et ça passait par un certain naturalisme. Leïla était sur un fauteuil et en plus, elle était enceinte ! Marina est aussi en détresse car elle doit porter un mari qui est en train de sombrer. Mais je pense que c’est aussi ce qui leur a plu.
Comment de simples comédiens, en fait-on des nageurs de championnat ???
En les entraînant un maximum avec Julie Fabre, entraîneuse olympique de la natation synchronisée ! Au départ ce n’était pas gagné, elle était très dubitative. Mais ce qui a tout déclenché c’est que tous les comédiens se sont beaucoup rencontrés, ont beaucoup parlé, une synergie s’est installée, les heures de piscine les ont soudés et surtout, comme on sait qu’il y a beaucoup d’ego chez les comédiens, chacun mettait un point d’honneur à être le meilleur. Ca les a beaucoup auto-excités !
Il faut aussi savoir que Balasingham (dit Thamil) avait « oublié de me dire qu’il ne savait pas nager ! Je l’ai pris parce que j’adorais sa tête ! Il s’y est mis comme tout le monde et le résultat est là !
Gilles, n’avez-vous pas eu envie de vous donner un rôle ?
J’avoue que j’y ai pensé. J’aurais bien aimé jouer ceux de Philippe Katerine ou Benoît Poelvorde. Mais c’était trop compliqué, je ne pouvais pas être à la fois dans la piscine et derrière la caméra et, préparant le film, je n’aurais pas eu le temps de m’entraîner.
Vous êtes donc des hommes heureux ?
Ahmed : Heureux d’un bout à l’autre : d’avoir passé deux mois avec Gilles, le tournage a été un plaisir, Cannes une grande émotion. Et puis, Gilles est un formidable chef de bande. Etant comédiens il en connaît les problèmes et sait les manier, communiquer avec eux et l’ambiance sur le plateau a été des plus joyeuses. Attendons donc la suite car le film sort le 24 octobre.
Pourquoi alors faire une promo si tôt ?
Parce qu’on n’avait rien d’autre à faire ! Je viens de tourner plusieurs films et j’étais libre à ce moment là. J’adore d’ailleurs aller ainsi de ville en ville présenter un film. Je suis toujours preneur. Mais pour revenir à l’ambiance du film, tout était là : le rire, la bonne humeur, la bonne volonté, et Poelvoorde qui est d’une folie, d’une générosité sans bornes, qui a le goût des autres et qui est totalement dissipé. Et j’adore ça car je n’aime pas la discipline, j’aime vivre dans le désordre et l’excès et là j’étais servi ! Ce qui n’empêche pas de faire du bon boulot ! »
La preuve !
Propos recueillis par Jacques Brachet