Ce n’est pas un conte de fées.
Elle n’a ni les yeux bleus, ni le front blond, Belinda… ni une vie de rêve.
Non, c’est, au départ, la gamine d’une famille nombreuse d’une cité populaire alsacienne, issue de la communauté Yeniche.
Elle a 9 ans au début du film, et vit en foyer avec une de ses sœurs. De temps en temps, elles fuguent.
On la retrouve à 15 ans, revenue au milieu de ses frères et sœurs, pour aider ses parents, des gens simples et braves, à élever les plus petits. Car dans cette famille, il y a beaucoup d’amour.
Enfin, à 23 ans, elle tombe amoureuse d’un beau forain gentil, pas très futé, qu’elle épousera durant son internement en prison, elle-même y ayant fait un court séjour. Aujourd’hui, elle attend sa libération, pleine de rêves et d’espoirs d’une vie future plus heureuse.
C’est la caméra de Marie Dumora qui suit, au fil des années, cette famille malmenée par la vie mais heureuse et aimante, et Belinda, fille-courage qui prend la vie comme elle vient, avec fatalité, avec optimisme, sans jamais en vouloir à quiconque.
C’est la vie. C’est « sa » vie.
Une vie que la réalisatrice nous fait découvrir par petites touches délicates, sans jamais prendre parti, sans juger non plus. Un film plein d’émotion et de délicatesse, un joli portrait d’une fille d’aujourd’hui pleine d’espérance.
Belinda est une héroïne grecque, qui plie mais ne rompt jamais, qui encaisse, qui résiste à une vie pas souvent rose, qui garde l’espoir malgré les bourrasques qui bousculent sa jeune vie.
C’est un film d’amour et plein d’humanité sur une fille parmi tant d’autres dans cette vie d’aujourd’hui, qui, malgré l’adversité, ne se plaint pas, qui respecte et aime les autres.
Une belle âme dont on suit chaque événement de sa vie avec tendresse.
Et un film d’où l’on sort bouleversé.
Rencontrer Marie Dumora, invitée par l’ssociation « Lumières du Sud », c’est prolonger le film car elle-même est une femme et une réalisatrice pleine de délicatesse et d’humanité, qui nous parle de son héroïne avec infiniment de tendresse.
« Je n’ai jamais perdu de vue Belinda depuis que j’avais tourné avec elle « Avec ou sans toi ». Elle avait alors 9 ans. Je l’ai retrouvée à 15 ans pour « Je voudrais aimer personne » et je la retrouve pour la troisième fois à 23 ans. Au début, je ne pensais pas que je continuerais avec elle mais en la revoyant j’ai pensé qu’il y avait vraiment quelque chose qui méritait d’être filmé, ne serait-ce que pour lui rendre hommage car je pense qu’elle est une véritable héroïne. Elle me fait penser, petite, à Paulette Goddard, cette héroïne du cinéma muet, très expressive, très naïve, qui jamais ne se plaint, qui est en fait une belle personne.
Comment arrivez-vous à la filmer ainsi, presque au jour le jour ?
Il y a eu de longues périodes où nous ne nous sommes pas vuse mais je crois que nous avons gardé une grande confiance mutuelle. Elle, elle croit en la vie, aux valeurs qui la portent. Moi, je crois au cinéma… Nous étions faites pour nous entendre !
C’est vrai que je me suis appuyée sur les événements de sa vie, en m’y adaptant, en improvisant souvent. Par exemple, je devais tourner le mariage, avant qu’il ne soit reporté parce qu’ils étaient en prison. J’ai toujours été à ses côtés et je tournais en fonction des événements.
Vous parlez de cette communauté Yéniche, dont elle est issue et qu’on connaît peu.
Moi-même je ne la connaissais pas. C’est une communauté qui vient du nord de l’Europe. d’Allemagne, de Suisse, de Belgique. Une communauté rurale très pauvre qui, au début du XIXème siècle est partie sur les routes, qui y a rencontré les tsiganes, les juifs errants. Ils se sont mélangés, ont créé une langue de défense car personne ne les a aidés. Ils ont dû se débrouiller tout seuls. Cette famille s’est donc retrouvée en Alsace, vivant comme elle pouvait. C’est comme un chœur antique dans ce film, le fil rouge du film.
Vous n’avez pas filmé les épisodes qui se passent en prison, dont son mariage.
C’était un parti pris, ça ne m’intéressait pas. Je préférais une voix off qui racontait cet épisode et les conversations téléphoniques. Je voulais me concentrer sur elle, être au plus près d’elle. Ce moment d’intimité était trop personnel et n’appartient qu’à elle.
A-telle vu le film ?
Oui et toute la famille l’a vu et même son directeur, qui s’occupait d’elle au foyer et qui ne l’a jamais quittée était là, entouré de tous les petits qui ont grandi. Elle a été très applaudie. C’est une reconnaissance pour elle et tout le monde a été bienveillant… Comme tous l’ont toujours été.
Un moment bouleversant : lorsque son père lui raconte comment, enfant, il a connu sa mère dans un camp de concentration.
Oui, je ne voulais pas en faire le sujet principal mais, tout part un peu de là et c’était aussi une façon de parler d’un génocide dont on n’a pas parlé. Lors de la présentation du film à Berlin, les Allemands y ont été très attentifs. D’ailleurs, beaucoup de choses sont parties de ce festival car nombre de distributeurs étrangers ont vu le film et ont voulu le montrer. Il est allé jusqu’en Egypte !
Présenter ce film au festival de Cannes n’était-ce pas prendre des risques ?
(Elle rit). Il est vrai que ça a été une grande peur de me retrouver dans un tel festival avec un documentaire et un tel sujet. Mais déjà, c’était dans le cadre de l’ACID, une association qui défend le cinéma indépendant. En fait j’ai eu une presse formidable qui m’a bouleversée. Les journalistes ont eu de belles réactions.
N’avez-vous pas pensé réaliser ce film pour le télévision ?
Non, jamais. J’aime le cinéma, je viens du cinéma, c’est lui qui me nourrit et j’y trouve un espace de liberté dont j’ai besoin. A la télévision on m’aurait imposé des tas de choses dont un timming, ce que je ne voulais pas. Ce film est une narration classique qui, je crois, a un aspect romantique. Ce n’est pas vraiment ce qu’on appelle un documentaire. C’est un film à part dans lequel on peut s’identifier. C’est magnifique de pouvoir faire du cinéma !
Comment définiriez-vous Bélinda ?
D’abord comme une belle personne, une femme qui fait face avec courage et optimisme contre l’adversité, qui pense que demain sera plus beau qu’hier et qui, comme Pénélope, attend son homme avec confiance et pugnacité. Elle est belle physiquement comme à l’intérieur.
Pensez-vous suivre encore longtemps Belinda ?
Non, je crois que le sujet est clos. Aujourd’hui elle a su construire sa vie, elle vient d’avoir un bébé et sa vie lui appartient. Mais je continuerai à travailler autour de ces lieux qui sont mon inspiration et dont chaque film m’a été inspiré par un personnage ou un événement du film précédent, un peu comme un fil rouge.
Propos recueillis par Jacques Brachet