Jean-Baptiste ANDREA : Ma reine (Ed L’iconoclaste)
Étrange livre qui peut faire « flop » tout de suite ou qui nous embarque dans un monde étrange de légèreté.
« Shell » est le surnom d’un jeune garçon un peu attardé qui travaille dans une station service où ses parents mènent une vie besogneuse et retirée. Il est « beau comme une Alfa Roméo mais avec un moteur de deux-chevaux » dixit son père.
Pour échapper à l’école spécialisée qu’on lui destine et aux quolibets de ses camarades, il s’enfuit pour aller faire la guerre. Où ? dans la montagne… juste derrière chez lui. La nature est alors une révélation qu’il nous fait partager d’autant qu’il y rencontre Viviane une fillette de son âge avec qui il vivra des moments merveilleux : sa Reine
Un livre tendre, plein de poésie et de tendresse et de dures réalités aussi et qui laisse une belle émotion dans les cœurs, si l’on a joué le jeu de le suivre dans son terrible rêve.
Ce premier roman, primé*, à l’atmosphère étrange, est une ode à l’imaginaire enfantin, à la singularité.
On oscille entre rêve et réalité.
*Prix du premier roman 2017 – Prix Fémina des lycéens 2017.
Daniel MENDELSOHN : Une odyssée, un père, un fils, une époque (Ed Flammarion)
Traduit de l’Anglais (US) par Clotilde Meyer et Isabelle D. Taudière
Intellectuel reconnu et parfait helléniste Daniel Mendelsohn, nous livre ici un récit personnel émouvant et passionnant autant par sa forme que par son fond.
Professeur d’université, fou de grec et de mythologie, l’auteur organise un séminaire consacré à l’Odyssée. Dans l’amphithéâtre, parmi ses étudiants, un homme de quatre vingt un ans, écoute. Daniel Mendelsohn a invité son père à participer.
C’est un peu un défi, une dernière chance que les deux hommes se donnent pour enfin parvenir à se comprendre.
Le père, Jay, remarquable mathématicien, chercheur en technologie optique numérique, père de l’aérospatiale n’a jamais partagé ouvertement les intérêts de son fils pour la littérature et la mythologie. Et pourtant…
Le génie de l’écrivain consiste à nous faire vivre les échanges dans l’amphithéâtre. Les étudiants sont spontanés et naïfs, le professeur érudit, et le père contestataire. Nous apprenons beaucoup également.
Les chants nous sont racontés, nos souvenirs scolaires rafraîchis ; Ulysse, Pénélope, Télémaque, les dieux de l’Olympe ainsi qu’Athéna et Calypso peuplent le discours. Nous n’échappons pas non plus à « l’hexamètre dactylique »ni aux termes grecs expliqués aux nuls.
Reprenant alors la technique narrative d’Homère, Daniel Mendelsohn, nous livre dans une composition circulaire faite de digressions et d’apartés, ses souvenirs, ses impressions et les éléments si particuliers de sa relation à ses parents.
Une croisière en Méditerranée, sur les traces d’Ulysse, clôt ce récit chargé de réminiscences
familiales.
Télémaque à retrouvé Ulysse, Daniel a retrouvé son père.
Une belle histoire d’hommes, un beau partage.
Patrick DEVILLE : Taba-Taba, (Ed le Seuil)
Tout commence en 1858 au Caire, à la naissance d’Eugénie-Joséphine, arrière grand-mère de l’auteur. A quatre ans, elle quitte définitivement l’Egypte pour s’installer avec ses parents à Saint-Brévin où fut créé le Lazaret en 1862, face à Saint-Nazaire, port d’embarcation, lieu de passage et donc de richesse.
Patrick Deville retrace la vie de ses ancêtres, leurs destins chahutés par les guerres, celle de 1870 mais surtout la Grande Guerre, la seconde guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui cette guerre sans nom contre le terrorisme.
A la mort de sa tante Simone qu’on appelle Monne le narrateur découvre dans la villa de celle-ci : « trois mètres cubes d’archives familiales de quatre générations ».
Ces « petites traces », comme il les nomme, l’aident à remonter le temps et à reconstituer les lieux d’habitations de ses ancêtre. A travers l’histoire familiale le narrateur rappelle les grands évènements historiques qu’ont vécu, subi les personnages proches de lui comme ce malgache, pensionnaire du lazaret, psalmodiant sans cesse « Taba-Taba », expression énigmatique dont le lecteur va découvrir le sens à la fin du roman.
Ce roman est d’une grande richesse, on y apprend beaucoup, en particulier sur les liens entre histoires et Histoire, passé et présent, rencontres avec des auteurs contemporains, mais aussi des hommes politiques côtoyés en France mais beaucoup en Afrique et en Amérique du Sud
Le lecteur pourrait se sentir noyé dans toutes ces informations et surtout un peu déçu de ne pas entrer plus avant dans l’histoire familiale, ou de s’en tenir à quelques remarques sibyllines sur sa vie, dans ce « roman sans fiction « .
Mais on est loin du fouillis que toutes ces pistes pourraient faire craindre, au contraire « Taba-Taba, agit comme une drogue douce dont le lecteur a du mal à se séparer.
René-Jean VAN DER PLAESTEN : La Nostalgie de l’honneur (Ed Grasset)
Récompensé successivement par le prix Jean Giono, puis Erwan Bergot et enfin Interallié, le premier livre de René Jean Van Der Plaesten ne laisse pas indifférent.
Le lecteur y trouvera matière à s’enthousiasmer à l’évocation d’une conception de l’honneur esthétique, romantique et moral, ou à l’inverse, à considérer comme anachronique toute forme d’engagement sacrificiel dont il est question dans ce portrait d’un homme d’exception: le grand- père de l’auteur.
Élevé dans le souvenir des engagements du général Jean Crépin, René Jean Van Der Plaesten raconte l’histoire de ces hommes qui en 1940 ont dit non à la défaite de la France.
Son héros maternel, polytechnicien, génie d’artillerie, gaulliste de la première heure et bras droit du général Leclerc commandait la 2e DB à la libération de Paris. L’auteur l’associe à bon nombre d’officiers français qui après avoir libéré l’Europe des nazis sont partis lutter contre les partisans indépendantistes en Indochine et en Algérie.
Si certains faits de guerre sont relatés avec grande précision, avec lieux, dates et acteurs, la relativité des choix de l’époque n’est jamais évoquée. L’auteur reste inconditionnel des engagements militaires de ces années troubles. « Vérité, absolu, idéal, honneur », « Vivre libre ou mourir » sont ses formules, jamais il ne doute. Et puis, « l’artillerie est un art », il adhère ; « les troupes sont comme les femmes, il y a les coquettes et les autres », il cautionne.
Cette réflexion enthousiaste sur les valeurs traditionnelles de notre culture peut inquiéter.
Rien d’équivalent chez nos contemporains dit l’écrivain. Il affirme alors écrire pour que le courage, la fidélité et le panache de ces preux chevaliers inspirent notre époque.
Son constat est inconditionnel.
Mais, avec si peu de recul, peut-on être aussi pessimiste sur l’organisation de notre société ?
Les choix de ces années terribles sont ils vraiment indiscutables ?
Nos contemporains manquent-ils à ce point d’idéal ?
En montrant trop de complaisance à l’égard du passé, on redoute le futur… et ce personnage adulé, apparait alors comme surmonté d’une auréole, sans doute le dernier témoin d’une aristocratie bien pensante et sacrificielle.
Un récit sincère et nostalgique, en complet décalage cependant avec nos aspirations.
Jean-Marie BLAS DE ROBLES.- Dans l’épaisseur de la chair (Ed Zulma)
Le narrateur, à la suite d’une dispute avec son père, part à la pêche avec le bateau de celui-ci. Du petit port provençal de Carqueiranne, il suit la côte.
Arrivé en pleine mer, il tombe à l’eau et ne peut remonter sur le bateau. Au lieu de se remémorer sa propre vie, c’est surtout celle de son père-chirurgien qui défile et, à travers elle, toute l’histoire de cette famille pieds-noirs d’origine espagnole et surtout l’histoire de l’Algérie au XXème siècle (1890 jusqu’au rapatriement).
C’est un roman passionnant, émouvant, tout en retenue, parfois drôle, accessible et très instructif, u style brillant.
Il interroge l’Histoire autant que la fiction dans un jeu de miroirs et de mémoire qui nous dévoile tout un pan de l’histoire de l’Algérie.
Le plus objectivement possible, l’auteur montre bien la volonté des algériens de retrouver leur liberté et le déchirement des pieds-noirs de quitter leur terre natale.
Jean-Marie LE CLEZIO : Alma ( Ed Gallimard)
Une fois encore Jean-Marie Le Clezio enfourche ses vieux démons, les raisons qui ont fait que sa riche famille a dû abandonner Maurice, l’île originelle des Felsen : Alma le domaine qu’il n’a jamais pu oublier. C’est donc un retour vers ses ancêtres qu’il évoque à la recherche des traces familiales et de ce qu’il reste de ces temps révolus.
Deux voix bercent , martèlent cette évocation : l’une sortant de la bouche d’un voyageur égaré dans le temps et qui escalade les branches de son arbre généalogique mauricien alors qu’alterne une seconde voix, sortie de la bouche d’un pauvre hère, vagabond lépreux sans paupières et sans lèvres qui ne s’exprime qu’au présent pour évoquer sa vie de miséreux qui s’exclut du monde .
Les sujets abordés sont d’une actualité brûlante car ils touchent à toutes les problématiques actuelles qui hantent nos consciences d’occidentaux , de l’inégalité sociale à l’esclavage, des drames croisés d’enfants reconnus ou pas ; Maurice apparait comme le creuset où se mêlent tous les problèmes fondamentaux de notre époque.
Jean-Marie Le Clézio excelle à nous parler de la beauté des lagons et des forêts, à égrener les noms des familles ou des sites comme une litanie mais surtout à évoquer la douleur profonde de destins qui s’entrecroisent et qui nous laissent pantelants par notre incapacité à faire quelque chose.
Beau livre douloureux