
Véronique OVALDE & Johann SFAR : A cause de la vie : (Ed Flammarion)
C’est un conte moderne qui se déroule en 1984 à Paris dans un immeuble où habitent deux adolescents Nathalie et Eugène, que leur différence avec les autres enfants va rapprocher : Nathalie, qui s’est rebaptisée « sucre de pastèque » s’ennuie avec les enfants de son âge tous nuls selon elle et Eugène dont les autres se moquent parce qu’il bégaie
Leur rencontre se fait autour d’une pompe à vélo qu’Eugène vient demander à sa voisine, il est subjugué par cette grande fille si sûre d’elle et elle pense retrouver le chevalier de ses lectures dont le bégaiement devient un » intéressant maléfice ». Elle décide de lui imposer des épreuves comme dans l’amour courtois au terme desquelles le chevalier pourra obtenir les faveurs de la dame. Eugène obéit et remporte vaillamment trois épreuves mais « à cause de la vie », les choses ne se passent pas comme dans les livres.
Au-delà d’un conte moderne, de nombreux problèmes actuels sont évoqués : difficultés des rapports entre enfants, entre adultes, le poids des préjugés mais toujours avec légèreté et humour
L’originalité vient également de la bande dessinée qui n’est pas seulement illustrative mais qui, par ses couleurs, ses personnages attachants et peu conventionnels donne, avec humour, une lecture complémentaire du roman.
Tous ces éléments font de « A cause de la vie », roman doublé d’une BD, une œuvre originale et d’une très grande richesse.

Jeanne BENAMEUR : L’enfant qui (Ed Actes Sud)
C’est l’enfant qui, depuis le départ de sa mère marche dans la forêt avec son fidèle compagnon, un chien que nul ne voit mais qui le guide et le protège. C’est l’enfant dont le père a mal aimé la mère, la femme à la jupe rouge délavée rencontrée un jour de marché à bestiaux et qui lui a lu les lignes de la main. La femme qui a toujours marché sur les routes. La femme qui a expliqué à l’enfant ,dans sa langue incompréhensible pour les autres, la maison de l’à-pic. Cette maison qu’il faut atteindre, cette maison au fond de chaque être, cette maison d’où il faudra redescendre sans peur pour reprendre la marche de la vie.
C’est l’enfant dont la grand-mère n’a jamais su ni voulu communiquer avec la mère, cette grand-mère violée dans sa jeunesse qui affronte sa blessure profonde et désormais relève la tête.
C’est l’enfant dont le père a perdu sa liberté le jour où il a giflé la mère, cette liberté insoutenable au village, cette liberté qui est la vie et que le père n’a pas vécue.
C’est l’enfant qui a entendu sa mère parler de grande ville, de bateau, de mât. C’est l’enfant qui, sans parler, a su retenir les noms innombrables enfouis à jamais, la langue qui appartient à tous, la langue de l’enfant, la mère, le père, la grand-mère. La langue de l’univers.
Un nouveau petit bijou d’écriture de Jeanne Benameur, plein de beauté, de poésie, d’imaginaire mais aussi d’une violente réalité.
Un livre d’espérance porté par l’enfant qui marche vers la liberté, vers son horizon lointain. Magnifique.
Denis BENEICH : D’accord (Ed Actes Sud)
Dans ce petit livre de seulement 95 pages, l’auteur parle à la première personne.Il se souvient des coups de gueule fréquents et souvent incohérents de son père.
Il lui rend visite dans sa maison de retraite et y a emmené son fils.
Le père a débranché d’avec le monde qui l’entoure. Encore quelques ruades verbeuses dans lesquelles il cherche ses mots et son souffle. Le fils a un contact plus facile avec le grand père.
En repartant ils tombent sur une vieille dame en roue libre qui semble s’enfuir en robe de chambre … et le récit devient moins sinistre ….
Avec une écriture d’une étonnante justesse l’auteur raconte une histoire totalement contemporaine, malheureusement banale.
A lire de préférence avant le quatrième âge !

Joolz DENBY : Billie Morgan (Ed du Rocher) – Traduction Thomas Bauduret
Nous sommes en Angleterre dans le Yorkshire, de nos jours. A Bradford.exactement.
Billie Morgan raconte ses mémoires, « La vérité telle qu’elle existe dans mon souvenir » dit-elle en préambule.
Nous sommes alors entraînés dans un thriller infernal mêlant étude sociologique et parcours personnel où le réalisme dérangeant et le style particulièrement adapté de l’auteur nous captive.
Certes nous savons que Billie a assassiné. Elle dit : « J’ai pété un plomb, j’ai mis fin à sa vie, je l’ai éliminé ». Elle s’en est sortie.
Mais elle porte toujours en elle le fardeau de ses secrets.
L’intrigue se résume donc à : Qui ? Comment ? Pourquoi ?
Les dernières pages nous le révèleront alors que peu à peu nous avons été amenés à cerner l’univers de la délinquante.
Née d’une famille dysfonctionnelle, d’un petit milieu anglais, abandonnée très jeune par son père, rejetée par sa mère, l’adolescente rebelle rejoindra un groupe de bikers, le Devil’s Own.
Dans cet univers dérangeant et violent elle trouvera un mari, Micky, membre du gang, qui aurait pu la protéger et la sauver.
Le destin basculera un soir… Il ne lui restera de cet univers artificiel et sans projet que l’affection qu’elle porte à Nat l’enfant de Jas, une jeune noire inconséquente.
Parce qu’il est cru et réaliste, profond dans le regard porté sur l’humanité, ce thriller autorise le lecteur à s’attacher à ses personnages en déshérence.
Le livre refermé, Billie Morgan nous manque déjà.
Stéphanie DES HORTS : Paméla (Ed Albin Michel )
Paméla, petite aristocrate anglaise sans le sou, a épousé dans les années 50, le fils de Winston Churchill. C’était un bon à rien, ils ont eu un fils et ont divorcé . Par contre elle a toujours été appréciée et soutenue par son beau père .
Ambitieuse , intelligente et très belle, elle va se marier plusieurs fois à des hommes importants dont elle espère de l’amour et de l’argent. Devenue américaine elle va contribuer à l’élection de Bill Clinton qui la nommera ambassadrice à Paris.
A part les nombreuses amours de Paméla, on a droit à une impressionnante liste de personnages plus ou moins célèbres, plus ou moins connus qui ont tous fait la joie des potins mondains et des tabloïdes du XXème siècle.
L’auteure est très documentée .
La personnalité de Paméla est évidemment assez extraordinaire pour justifier qu’on s’y attarde mais tout ça finit par devenir lassant.

Emmanuel DONGALA : La sonate à Bridgetower (Ed Actes Sud)
On est surpris dès le départ par les personnages de ce roman : un jeune violoniste de neuf ans, polonais par sa mère et dont le père est originaire de la Barbade. Un métis donc que son père pousse et exhibe dans les cours aristocratiques de Vienne, de Paris puis de Londres. Un prodige qui galvanise son public et qui met en lumière un noir.
Une autre idée que l’on avait alors d’un esclave ou d’un domestique.
Le roman est passionnant par l’évocation de la vie de cet enfant, d’abord exploité par son père mais qui s’émancipe vite, assez opportuniste pour se libérer de ce joug. C’est l’occasion pour de côtoyer des personnages connus des cours aristocratiques d’Europe, ouvertes au progrès et la culture et au mécénat mais aussi à l’existence d’un certain racisme.
C’est l’occasion de bâtir un roman historico-musical où le jeune prodige, élève de Haydn au départ, va devenir l’ami de Beethoven qui lui a d’abord dédié cette « Sonata Mulatica » avant de se fâcher et de l’offrir à Kreutzer qui ne l’interprètera jamais.
Emmanuel Dongala brosse un tableau fort bien documenté du siècle des lumières, de la passion des princes pour la musique, mais aussi de l’évolution des sciences avec la définition du mètre étalon et, toujours en filigrane, le grave sujet de l’esclavage que l’auteur a sans doute lui-même vécu. Un style coloré, enlevé, une foule de personnalités, de détails historiques et musicaux en font une épopée richement documentée.
Arthur LOUSTALOT : Ostende 21 (Ed Les escales)
Ce roman est l’histoire passionnelle et passionnée d’un jeune couple même pas trentenaire. La passion de deux jeunes vies qui s’ennuient un peu à Paris parmi leurs amis et qui, suite à une escapade à Ostende vont tomber amoureux de cette ville un peu désuète et grise et de ses vieux hôtels charmants. Ils reviendront plusieurs fois et ivres de sensations fortes ils s’essayeront au jeu, au casino, au Black Jack en se promettant de ne jamais déraper, de garder le sens de la mesure à ne pas dépasser. Mais ils joueront avec le feu et le croupier qui les suit dans leurs aventures va nous faire partager leurs engouements puis leur addiction jusqu’à la remise en question de leur couple.
De très belles descriptions des paysages du Nord autant que de la fougue de ces jeunes gens passionnants, ponctuent le récit très enlevé.

Santiago PAJARES : Imaginer la pluie (Ed Actes Sud) – Traduit par Claude Bleton
Suite à un accident d’avion dû à un cataclysme, une mère, et son fils qui vient de naître se retrouvent seuls au milieu du désert. La mère construit une baraque rudimentaire, creuse un puits au pied d’un palmier. Elle enseigne à son enfant toutes les connaissances du monde d’avant car cet enfant doit survivre à sa mère qui retournera à la poussière. Elle décrit un monde détruit par la folie des hommes, un monde qu’il devra affronter pour l’aventure de la vie sans mode retour.
Le lecteur pense tout de suite au Petit Prince de Saint Exupéry, merveilleusement illustré par la couverture de Carole Henaff. C’est l’innocence de l’enfant qui ne peut imaginer la pluie !
Ce roman de Santiago Pajares apporte espérance, joie, bonheur ; le lecteur ne lâche pas le livre, il reste captivé par ce petit d’homme découvrant le monde, un monde qui n’est pas seulement un puits, un appentis, deux palmiers et un potager minuscule.
Non le monde est à ceux qui sauront le sauvegarder.
Beaucoup d’émotion, de poésie dans ce roman très contemporain.
Baptiste ROSSI : Le roi du Sud (Ed Grasset)
Ce deuxième long roman écrit par un jeune auteur de 22 ans, est certes très documenté et très travaillé. Il met en scène un lieu indéfini et où sont mêlés faits réels et romanesques mais certainement très fondés. Le narrateur, jeune homme né dans une famille désunie par l’abandon du foyer par la mère et du désintérêt d’un père qui l’abandonne à des internats, réapparait donc à 20 ans dans la vie de son père originaire du Nord de la France mais solidement installé sur la Côte entre Monaco et Marseille, ville dont il est le maire. Livré à lui-même dans l’aisance et l’oisiveté, il va faire son apprentissage de la vie aux côtés de son père parmi toutes les magouilles et les intrigues, dans ces années 70/80, dans une ville qui ressemble à Toulon. Tout y passe : sombre panorama autour du SAC, intrigues pour obtenir le pouvoir et être au top de la renommée, de la puissance et de l’argent.
Un très long roman qui ne nous épargne rien, très documenté car on reconnait les évènements mais écrit avec une certaine maladresse dans le détail et une écriture fastidieuse, criblée d’une abondance de virgules qui cassent et ralentissent encore la lecture très longue de cette triste reconstitution.

Jean-Christophe RUFIN : Le tour du monde du roi Zibeline (Ed Gallimard )
Un couple vient raconter à tour de rôle l’histoire de leurs aventures à Benjamin Franklin, immobilisé dans un fauteuil et soumis à la vigilance de sa fille qui veut lui éviter toute fatigue. Mais l’histoire d’Auguste et d’Aphanasie est fabuleuse
Parti de Hongrie où Auguste a vu le jour et d’où il s’enfuit vers la Sibérie, il y rencontre sa femme. ils rejoignent à travers mers et océans des contrées hostiles et peu civilisées avant d’arriver à Madagascar où les attend un destin fabuleux . C’est l’occasion d’évoquer rapines et colonisatio, de revisiter une époque où le but était d’établir des relations commerciales et d’installer des bases territoriale , avec, souvent, le désir d’éclairer le monde et d’y apporter les lumières de ce XVIIIème siècle .
Roman intéressant comme toujours avec Jean-Christophe Rufin, où l’on retrouve les finesses de l’auteur, sa connaissance à la fois de l’Histoire, de la Géographie et de l’Homme. Au fil de la lecture on se sent redevenir un enfant aussi enthousiaste qu’on l’était en lisant « Les enfants du capitaine Grant » !
Michel TREMBLAY : Conversations avec un enfant curieux ( Ed Léméac /Actes Sud)
« Michel, commence pas avec tes « questionnages », là ! » est la phrase qui résume le dernier roman de Michel Tremblay.
Tout d’abord, parce que l’auteur rapporte les interrogations qu’il formulait petit garçon, jouant avec la patience de ses proches et, aussi parce que le vocabulaire utilisé dans le texte est issu du parler populaire québécois.
L’ensemble réunit, sous forme d’une trentaine d’instantanés, les échanges que Michel, alors âgé de dix ans, a eu avec ses parents, ses grands-mères et tantes, ses amies, ses enseignantes.
Avide de connaissances, le gamin pose sans cesse des questions.
Et pourquoi ? Et pourquoi ?
Les questions sont percutantes. S’il s’intéresse au « Bambi » de Disney, au couronnement de la Reine Élisabeth II, il lui faut aussi comprendre les usages de la langue ou les mystères de la religion. Avec opiniâtreté et rationalité, l’enfant provoque.
Que répondre ? Les tentatives de digression et la mauvaise foi des adultes n’y mettent pas un terme.
De ces anecdotes le lecteur retiendra la formidable énergie, la pertinence et la vitalité de ce jeune esprit.
En revanche si certains mots nous deviennent familiers au cours du récit, il est, pour des européens, bien difficile de lire le « joual « dans le texte !
Parce qu’inspiré de sa vie privée, il reste ce regard critique mais attendri de l’auteur sur le peuple ouvrier du quartier de Montréal dont il est issu.
Un peu lassant tout de même parfois dans sa formulation.