Russel BANKS : Continents à la dérive (Ed Actes Sud)
Traduit de l’américain par Pierre Furlan
Bob un jeune père de famille trentenaire, ouvrier chauffagiste dans une petite ville du New Hampshire convainc sa femme de tout plaquer : leurs paysages, leurs habitudes et leurs amis pour rejoindre la Floride où son frère a fait fortune, où il espère échapper à sa modeste condition et rejoindre le mirage d’une nouvelle vie. Commence alors une espérance démesurée dans son nouveau job. C’est la course aux gains et à la quête de la respectabilité qu’il peine à acquérir parmi ces jeunes noirs tous voleurs et violeurs vivant armés, sans pour autant négliger l’amour brulant pour une femme noire. Menant une double vie, il trafique avec son meilleur ami dans des affaires de plus en plus louches et s’enfonce de plus en plus.
En parallèle, la jeune Venise, âgée de vingt et un ans, accablée par la misère, les catastrophes climatiques, la ségrégation, la violence, fuit Haïti avec son bébé sans père et son jeune neveu pour gagner à son tour la Floride en embarquant clandestinement et où les attend le père de son neveu
La vie et la tragédie feront se rencontrer ces deux personnages qui, espérant trouver le pays de cocagne, s’effondreront dans le drame de l’univers impitoyable réservé aux abandonnés de l’existence.
Ce roman âpre et bouleversant, écrit il y a plus de vingt ans et nouvellement traduit par Pierre Furlan n’a rien perdu de son actualité. Il nous entraine dans la dérive des populations sinon des continents et dresse un bilan bouleversant de l’échec du rêve américain. L’écriture imagée et colorée nous fait parcourir les continents et les mers à travers le désarroi de ses héros. Malgré certaines longueurs le roman de Russel Banks est une radioscopie d’un peuple en désarroi et d’une Amérique terre d’asile utopique.
Isabelle DESESQUELLES : Un jour on fera l’amour (Ed Belfond)
Si le titre du dernier livre d’Isabelle Desesquelles peut agacer, la lecture de ce roman reste touchante par sa sincérité et son écriture à la fois sensible et efficace.
La perspective dudit « jour » tient certes le lecteur en attente, mais au fil des pages, la relation sexuelle n’apparaît plus comme essentielle, c’est une étape en quelque sorte, « une escale, qui ne fait pas le voyage » !
Il s’agit bien alors de raconter l’émotion que provoque une rencontre entre deux personnes et la construction qui en résulte.
Elle, c’est Rosalie Sauvage, du type énergique, efficace et collectionneuse d’amants. Lui, c’est Alexandre, gentil rêveur sentimental, héritier d’une salle de cinéma, le Rosebud, et nostalgique des héros, amants inoubliables observés lors des projections de films alors qu’il était enfant.
La rencontre se fait par miroir interposé alors que Rosalie, de dos, essaie une robe en magasin; Alexandre, subjugué par « cette nuque dévoilée » n’a que vingt quatre heures pour en faire » la femme de sa mort parce que c’est ça, non, la femme d’une vie ? »
Le récit banal de cette quête devient alors prétexte à disserter sur le thème où le sentiment qu’il soit filial, amical ou amoureux, devient un but de recherche et d’exigence avec sincérité et désir d’absolu.
Des personnages fictifs mais un vrai sujet de réflexion.
Julien DUFRESNE-LAMY : Deux cigarettes dans le noir (Ed Belfond)
Ouvrière dans une usine de parfums dans le nord de la France, Clémentine vit seule dans une cité de la banlieue parisienne après avoir rompu avec le père de l’enfant qu’elle porte. Au moment d’accoucher elle part en voiture vers la maternité mais elle percute une ombre longiligne aux grands cheveux gris en train de fumer une cigarette dans la nuit. Elle ne s’arrête pas mais apprend quelques jours après que la célèbre danseuse Pina Bausch dont elle suit la carrière est morte. C’est elle qui l’a tuée. Clémentine va se laisser happer par l’univers de la danseuse, elle va vivre dans une réelle obsession. A travers les chorégraphies elle s’ouvre à la vie, s’échappe de sa cité lugubre. La maternité, la danse, la vie, la mort se côtoient. S’ensuit alors un roman à deux voix où elle va évoquer sa propre vie de fille adoptée, son ratage malgré toutes ses bonnes intentions de réussite, l’incompréhension dont elle est entourée, et la vie de la danseuse à la recherche de l’absolu et de la perfection des expressions parfaites du corps.
C’est une vraie découverte d’appréhender la danse à travers cette artiste idéalisée et l’échec de la petite ouvrière pétrie de fantasmes. Une histoire folle, touchante, fascinante, dont la fin est surprenante.
Magnifique petit roman à l’écriture brillante, simple et envoutante dont l’auteur n’a pas fini de faire parler de lui je pense.
Eric FAYE : Eclipses japonaises (Ed Le Seuil)
C’est une histoire d’espionnage entre Nord Coréens et Japonais, à partir de faits réels et peu connus, le Japon étant considéré comme l’ennemi numéro un de la Corée du Nord.
Des disparitions étranges d’hommes et de femmes, ont lieu dans les années 60 jusqu’à nos jours, capturés par la Corée du Nord pour « convertir » des espions coréens en parfaits japonais. Le but ayant été atteint, les capturés restent sous le joug du pouvoir coréen et demeurent en Corée contre leur gré.
Ce roman révèle quelques-uns des parcours de ces disparus qui s’entrecroisent, des petits récits qui restituent leur vie à des êtres oubliés. Telles ces deux japonaises Naoko Tabane, enlevée à treize ans et Setsuko Okada, qui voulait être infirmière, ou un archéologue qui n’a jamais pu envoyer sa thèse ayant été enlevé. On suit leur destin sur plusieurs années sous le régime dictatorial de la dynastie des Kim.
Combinant avec brio fiction et réalité l’auteur lève le voile sur ces pages particulièrement sombres de l’Histoire en donnant la parole à tous ces mystérieux volatilisés.
Fascinant dans sa forme ce roman au style sobre est construit comme un puzzle. Un roman bien documenté, au suspense digne des plus grands romans d’espionnage.
Laurent GOUNELLE : Et tu trouveras le trésor qui dort en toi (Ed Kéro)
Elle est athée et conseillère en communication. Il est prêtre et son église est pratiquement vide. Ils sont amis d’enfance.
Elle lui suggère d’utiliser ses méthodes pour attirer les fidèles. D’abord réticent, il constate vite le bien fondé de ses conseils et son église se remplit. Quant à elle, cette décision l’amène à étudier différentes religions et cette plongée dans la spiritualité ne reste évidemment pas sans conséquences pour son égo.
On assiste aux réflexions engendrées par ce parcours sans que cela devienne fastidieux pour le lecteur, les réflexions en question étant toujours à la portée du lecteur lambda.
Une note d’humour est de temps en temps générée par les réactions des paroissiens.
Lecture facile sans plus.
Hubert HADDAD : Premières neiges sur Pondichéry (Ed Zulma)
Hochéa Meintzel décide de quitter Israël après l’attentat qui a coûté la vie à sa fille adoptive. Violoniste mondialement reconnu, il accepte l’invitation du festival de musique carnatique à Chennaï en Inde du Sud. Accompagné de la douce Mutsuwani, de confession Jaïniste, il traversera tout le sud de cet immense pays fort de contrastes, de personnages improbables, de couleurs, de sonorités et de surprises comme ces étonnants flocons de neige sur Pondichéry, triste phénomène dû à la pollution du phosphore sur la mer.
Hubert Haddad écrit sur la tradition juive mais surtout sur la musique, la richesse des sons, festival de la vie qui se perpétue à travers les quelques notes d’une musique oubliée et entendue derrière une cloison, des notes qui évoquent les douleurs enfouies du passé du vieil homme, rescapé du ghetto de Lodz.
Somptueux roman où musique, écriture et peinture sont intimement mêlés.
Jessica L.NELSON : Debout sur mes paupières (Ed Belfond)
Le titre du roman de Jessica L. Nelson, premier vers emprunté au poème « L’Amoureuse » de Paul Eluard, présage d’une lecture complexe puisque le lecteur va s’embarquer dans une réflexion sur l’obsession et la réalité qui s’imposent à l’artiste créateur.
Difficile donc de suivre ce récit, à la fois genèse de la création artistique, où narratrice, artiste, et modèle inspirant, se confrontent dans une proximité troublante entrecoupée d’échanges avec l’éditrice du livre en écriture !
Qui est réellement l’héroïne de ce roman ?
On hésite entre Elisabeth M, sculptrice illuminée retrouvée à moitié nue et endormie dans un parc parisien, son modèle référent Lee Miller, muse des surréalistes, ou tout simplement la création artistique.
S’ajoute à ces considérations, un état des lieux de la place de la femme artiste dans la création, ses combats pour se dédouaner de son rôle d’épouse et de mère génitrice mal assumé.
Le dernier chapitre du roman s’intitule « Une vraie fin ».
Ultime « aventure ahurissante » pour le lecteur !
Luka NOVAK : Le métro, inconscient urbain (Ed : Léo Scheer)
Pour Luka Novak fils d’un correspondant d’un grand journal slovaque à Paris, la découverte du métro parisien fut une révélation. Il raconte ses incursions dans des stations mythiques comme Passy et le grand bouleversement qui le chavire mêlant esthétisme, modernité, complexité. Il compare les différentes lignes aux synapses du cerveau, l’érotisme, la faille de Passy, la praticité : chaque station n’est pas éloignée de plus de cinq cents mètres de la suivante. Pluriel, il s’infiltre dans tous les quartiers.
Bref il le définit comme le « Best of » de tous les métros du monde, mieux que Londres, mieux que Tokyo.
Essai original et enlevé sur le rôle du développement de la capitale française en fonction de son métro, mêlant urbanisme, sémiologie, psychanalyse et philosophie et tout cela non sans humour.
Agréable à lire et très réconfortant… Cocorico !